"Ballade pour un cercueil" est le quinzième numéro de "Blueberry". Cet album à couverture cartonnée de soixante-deux planches (cette édition-ci comprend également une biographie de Blueberry de dix-sept pages en guise d'introduction) est sorti chez Dargaud en janvier 1974. C'est le troisième et dernier volet de ce que la maison d'édition appellera "Le Cycle du trésor des Confédérés", triptyque qui fut produit en 1973-1974.
"Blueberry" (anciennement "Lieutenant Blueberry") est une série franco-belge créée par le scénariste Jean-Michel Charlier (1924-1989) et par Gir, le dessinateur Jean Giraud (1938-2012).
À l'issue du tome précédent, Trevor révèle que l'or est caché à Tacoma. Ils laissent Blueberry et les autres sur place, à la merci de Lopez. Le discret colonel glisse un indice à sa femme.
La nuit est tombée. Finlay et ses Jayhawkers, guidés par Trevor, font une pause sur la route de Tacoma. Trevor s'inquiète de cette halte imprévue et s'enquiert de l'absence de Kimball. Finlay lui répond que c'est justement pour attendre Kimball qu'ils se sont arrêtés. Il avait chargé son camarade d'une mission ; celui-ci ne devrait pas tarder à les rejoindre. À peine quelques instants après, Kimball dévale la pente désertique au galop. Au rapport, il confirme à son chef qu'il a accumulé des traces entre l'accès au gouffre menant à la cachette de Trevor et la piste en provenance de Corvado. Il ajoute qu'il est impossible que les hommes de Lopez ratent cela, même ivres. Finlay félicite son second ; tant que Blueberry et les autres ne seront pas entre les mains des Mexicains, il ne se sentira pas tranquille. Kimball le rassure ; il n'y a pas à s'en faire, car il a poussé la précaution jusqu'à débroussailler l'entrée du sentier conduisant à la planque. Pendant ce temps, au fond de la caverne, MacClure et Red Neck rongent leur frein, sans avoir idée de la machination imaginée par les ex-Confédérés. Mais Chihuahua Pearl, elle, n'entend pas rester les bras croisés...
"Ballade pour un cercueil" - en tout cas, cette édition - commence avec une biographie illustrée de Blueberry, dont l'apport à l'album est discutable. Dans une prose dynamique et évocatrice à défaut d'être poétique, Charlier revient sur les "origines" du lieutenant et en fait, en quelque sorte, un héros romantique dont l'existence est bouleversée par une tragédie personnelle et par la guerre civile. Cette partie est enrichie par des photographies d'époque (surtout des figures historiques) et narre les événements qui ont précédé "Fort Navajo". Le récit qui suit est une aventure formidable, dans la lignée des classiques du genre. Tous les grands ingrédients y sont : la ville fantôme, l'insaisissable trésor, l'assaut au pistolet puis au canon (ici, c'est la tour de croisée d'une église en ruines qui représente le fortin assiégé), la course-poursuite dans les étendues arides, les embuscades, les fusillades, les (tentatives de) lynchages... "Ballade pour un cercueil" est un album dans lequel la poudre parle beaucoup pour mettre fin à des rivalités qui ont atteint leur point de résilience. Charlier ajoute une nature sauvage, indomptable, entre les plaines désertiques et la steppe brûlant sous le soleil, les pluies diluviennes, ou les fleuves déchaînés. À ce cocktail déjà explosif et savamment mis en valeur viennent se greffer quelques retournements de situations distillés avec une indéniable réussite, qui permettent d'équilibrer le rythme entre les scènes d'action - ou de générer celles-ci. Ces rebondissements, le scénariste les exploite jusqu'à la dernière page. Le lecteur sera surpris de voir Blueberry porter la main sur une femme ; aujourd'hui, un tel geste dans une publication de ce calibre serait impossible. Graphiquement, les progrès de Giraud sont perceptibles. Son découpage a gagné en limpidité. Le travail sur les visages est toujours remarquable ; le dessinateur multiplie d'ailleurs les gros plans. Mais ce sont surtout les scènes d'action, incroyablement évocatrices, qui sont admirables, avec ces cavaliers au teint buriné, émergeant de nuages de poussière et brandissant leurs armes sous un soleil de plomb ou dans les nuits froides. Cette période-là étant féconde, l'artiste recourt quelques artifices pour économiser du temps ; il utilise à nouveau la bichromie pour certaines cases à plusieurs reprises, mais de moins en moins au fil des planches, la mise en couleurs gagnant en majesté.
"Ballade pour un cercueil" clôt le "Cycle du trésor des Confédérés" de façon remarquable. Pour les amateurs du genre, l'album appartient à cette somme de bandes dessinées qu'il faut avoir lues. C'est indéniablement l'un des sommets de cette série.
Mon verdict : ★★★★★
Barbuz
Porter la main sur une femme - Cette précision me fait me demander s'il est possible de considérer ces bandes dessinées comme intemporelles (à l'exception de ce geste, et de certaines mises en couleurs), ou s'il s'en dégage une impression datée du fait de la narration.
RépondreSupprimerComme toi, je n'utilise pas souvent la qualification de bande dessinée qu'il faut avoir lue, ce qui lui donne plus de valeur.
C'est une question intéressante. Ça renvoie - toutes proportions gardées - à ce qui a été dit ou écrit sur "Tintin au Congo", etc. Ça m'a choqué - dans le sens de "surpris", "étonné". Sans doute parce que mon prisme a été soumis à l'actualité récente.
SupprimerNon, c'est vrai que j'essaie - et c'est assurément un point commun que nous avons, bien qu'à des degrés variés - d'avancer mes arguments de façon objective, analytique. Parfois j'échoue complètement à le faire.
D'un autre côté, il n'est pas surprenant qu'un homme ait pu porter la main sur une femme à l'époque où se déroule récit.
RépondreSupprimerAh non, ça c’est sûr. Autres temps, autres meurs. Surtout quand il y a 500 000 $ et la liberté à la clé !
Supprimer