"Défi à Ric Hochet" est le troisième volume de "Ric Hochet", série policière culte créée par le Belge André-Paul Duchâteau et le Français Gilbert Gascard (1931-2010) alias Tibet. À ce jour, le titre compte soixante-dix-huit numéros - le dernier en date étant sorti en 2010, et s'étend ainsi sur presque cinquante ans.
Cet album a paru aux éditions Le Lombard en septembre 1965, après avoir d'abord été prépublié dans le "Journal de Tintin" (l'édition belge) entre le 8 octobre 1963 (dans le nº41) et le 28 avril 1964 (dans le nº17). Duchâteau écrit le scénario. Tibet produit la partie graphique (dessin, encrage, mise en couleur). En revanche, il ne réalisait pas les décors, qu'il confiait à des assistants - dans ce cas-ci à Jean "Mittéï" Mariette (1932-2001).
Un aéro-club en banlieue parisienne, par un bel après-midi ensoleillé. Ric Hochet et le commissaire Bourdon viennent juste d'arriver sur place. Ric, en garant sa Porsche jaune, tâche de convaincre Bourdon que "tout ira très bien". Son ami rétorque qu'il se serait volontiers passé de ce baptême de l'air, et il s'agace de ce nouveau loisir du journaliste, qui, lui, ne dissimule pas son exultation. Bourdon en a eu assez avec sa conduite sportive au volant de sa nouvelle Porsche, mais Ric le rassure ; leur Jodel ira plus haut, c'est vrai, mais surtout moins vite. Un homme entre deux âges l'interpelle de loin ; il s'agit de Rémy Valloire, un autre membre du club. Cet industriel est justement spécialisé dans la conception de moteurs d'avions. Ric ne le considère pas tout à fait comme un ami, mais les membres du club font connaissance assez rapidement ; et puis Valloire, un mordu, est très cordial. Tandis que Bourdon s'inquiète de leur coucou, Ric le lui montre, puis l'invite à y grimper. Le policier s'alarme soudainement de l'absence de parachute. Ric lui explique alors avec naturel que c'est inutile ; l'altitude à laquelle ils voleront est trop basse pour qu'un parachute puisse s'ouvrir...
"Défi à Ric Hochet" est un album de soixante planches, d'une longueur identique à celle de ses deux prédécesseurs, "Traquenard au Havre" et "Mystère à Porquerolles". Ici, le journaliste est invité à enquêter sur les tentatives d'assassinat dont un industriel est victime. Rapidement, le public et notre héros en viennent à se demander si l'homme d'affaires, Valloire, est bien la cible d'un complot, ou s'il s'agit d'une mise en scène qu'il a lui-même orchestrée. Et c'est d’ailleurs là qu'est toute la question centrale : Valloire dit-il la vérité ? Duchâteau, par une excellente astuce, entame le capital confiance que Ric Hochet et les lecteurs peuvent éprouver pour Valloire. Il en résulte un récit passionnant aux retournements imprévus, dans laquelle le lecteur est ballotté du début à la fin, jusqu'aux dernières pages. Car aucun protagoniste n'échappe aux soupçons, et l'on pourra voir le coupable et des mobiles valables en chacun, dans une intrigue bien pensée où la victime supposée devient l'accusé et le coupable idéal, jusqu'à un procès surprenant et inattendu. Une autre réussite est d'opposer Ric Hochet au détective privé américain Bex Turner, qui n'est, en réalité, qu'un reflet de lui-même, et qui rappellera "Arsène Lupin contre Herlock Sholmès" (1908), de Maurice Leblanc (1864-1941), et son choc des cultures. Ces histoires en deux actes sont difficiles à gérer et présentent souvent des longueurs ; là, l'auteur évite l'écueil et tient le public en haleine jusqu'à la course contre la montre finale. Il y parvient en variant les lieux (la maison, puis le bateau) tout en y développant la même atmosphère tendue de huis clos où chacun se suspecte. D'ailleurs, alors que les deux albums précédents se déroulaient beaucoup en province, ici, l'action se produit en majeure partie à Paris et dans sa banlieue, malgré une balade en yacht au départ du port de Cannes, un rapide détour par Toulon, et un passage assez court par Palerme. Enfin, "Ric Hochet", comme de nombreuses séries, possède son propre "gimmick" de page finale, en l'occurrence un instant comique où Ric et ses complices jouent un tour à Bourdon. La partie graphique est très satisfaisante. Tibet livre un découpage classique, parfois très cinématographique, avec une action lisible et savamment articulée. La scène de l'ascenseur, spectaculaire, démontre un sérieux sens de la perspective. Tibet apporte un soin maniaque aux véhicules : la Porsche, la Mercedes rouge, la Fiat, la Peugeot 404, ou la Citroën DS. Notons qu'il recourt au petit truc de la surface plane pour représenter les motifs à carreaux des vêtements.
"Défi à Ric Hochet" est une intrigue policière solidement construite, captivante et imaginative, dans laquelle Duchâteau mène les lecteurs par le bout du nez et gère le suspense de main de maître jusqu'à la fin. Tibet n'est pas encore au faîte de son art.
L'altitude à laquelle ils voleront est trop basse pour qu'un parachute puisse s'ouvrir... - J'aime beaucoup cette phrase, effectivement très rassurante. :)
RépondreSupprimerTon article m'a beaucoup impressionné : bourré d'a priori, j'avais d'office catalogué cette série comme une production d'artisan peut-être un peu limité. Or tu en loues l'intelligence du scénario, l'efficacité de la mise en page, la précision des éléments techniques des dessins, la variété des environnements. Si ma pile de lecture n'était pas déjà si haute, j'y aurais intégré cet album.
J'avais une perception différente de la tienne, mais sans pouvoir la définir clairement. Peut-être était-ce celle d'une série commerciale sans véritable ambition artistique ? Je ne sais pas pourquoi, mais pour moi "Ric Hochet" a toujours été un peu à part dans la BD. Est-ce dû à la longévité de la série ? Au personnage lui-même ?
SupprimerToujours est-il que je suis très content de (re)lire ces albums ; j'ai l'impression de leur "rendre justice", quelque part, en corrigeant cette perception strictement personnelle qui n'était pas fondée sur grand-chose, au fond.
Je comprends bien cette envie de rendre justice à une œuvre marquante pour le lecteur que l'on est, de faire acte de témoignage sur ce qu'elle nous a apporté.
RépondreSupprimerÉvidemment, cette démarche est entièrement personnelle et répond uniquement à ma propre perception de l’œuvre, entendons-nous bien.
RépondreSupprimerJe pense que j'avais bien entendu, en tout cas je l'avais entendu comme ça. :)
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