Sorti en novembre 2003, "La Justice des serpents" est le troisième tome de "Bouncer", série française de western créée par Alejandro Jodorowsky et François Boucq. Bien que Jodorowsky l'ait quittée au neuvième volume ("And back", 2013), elle est toujours en cours à ce jour, Boucq assurant désormais le scénario en plus du dessin. Les sept premiers tomes ont été publiés aux Humanoïdes associés, le huitième et la suite, chez Glénat.
Le scénario de cet album cartonné de cinquante-six planches est signé par le Franco-Chilien Alejandro Jodorowsky, connu, entre autres pour "L'Incal", "Les Technopères" ou "La Caste des Méta-Barons". Les illustrations sont du Lillois François Boucq, grand prix 1998 de la ville d'Angoulême, qui a travaillé sur "Little Tulip", "Le Janitor", "XIII Mystery", ou "Bouche du diable", notamment. Enfin, Nicolas Fructus façonne la mise en couleur.
À l'issue du tome précédent, Seth épouse Deborah. Ralton meurt en découvrant le diamant dans la dépouille de sa mère. Le Bouncer le récupère puis va le cacher dans l'autel d'une église.
Barro City, à l'aube. Ce matin-là, le bourreau de la ville doit pendre Ogre Jim, un mangeur d'enfants. Mais son cadavre est retrouvé sans sa chambre, en chemise de nuit, sur le plancher. À son cou, bien qu'il l'ait tranchée d'un coup de couteau, la tête d'un "coral verde", un serpent corail, est encore accrochée ; sa main droite serre toujours le reste du corps de l'animal. L'exécution doit être différée, mais la foule gronde, et les esprits des habitants entrent en ébullition. Regroupés devant le bureau du shérif, ils réclament la pendaison de l'assassin, sous peine de le lyncher eux-mêmes. Arrive le Bouncer. Il attache son cheval et se fraye un chemin à travers l'assemblée vers la baraque. Un garde armé lui intime de se hâter. À l'intérieur, il retrouve les notables Barro City, qui attendent impatiemment...
"La Justice des serpents" est la première partie d'un nouvel arc. C'est un album spectaculaire et généreux en événements, qui, à première vue, n'ont pas de lien direct. Jodorowsky imagine une remarquable cascade d'incidents dont les conséquences sont insoupçonnables, puis il en révèle la teneur progressivement, laissant le lecteur médusé devant cette chute de dominos. À l'origine du drame, l'exécution d'un meurtrier, et le décès du bourreau de la ville. À cette situation de départ ira d'abord se greffer un couple de parvenus, de nouveaux riches vulgaires qui pensent pouvoir tout acheter un méprisant ceux avec qui ils veulent faire affaire. Leur projet poussera Lord Diablo, le propriétaire du saloon (que l'on découvre) à prendre une décision au sujet de ses biens, et la vie, l'espace d'un instant, semble enfin sourire au Bouncer. Hélas, de l'autre côté de la ville, la détection d'un filon d'or va venir bouleverser cette fragile félicité. L'auteur utilise une succession de hasards pour faire accoucher ces revirements de situations en tragédie vicieuse et cynique, envoyant ainsi son personnage dégringoler en enfer. Évidemment, Jodorowsky connecte les intrigues les unes aux autres pour révéler que les notables de Barro City, pourtant d'apparence respectable, péchèrent dans le passé. Le scénariste revient sur les outrances de la Guerre de Sécession (souvenons-nous que la série se déroule juste après cette période de belligérance) et sur la façon dont les conflits brisent et balayent certains destins. Cela va finir par s'imbriquer dans un récit singulièrement cruel qui soumet le Bouncer, cet homme avide d'amour, à un spectre émotionnel particulièrement étendu et terriblement éprouvant : l'espoir (surtout celui de tourner la page de son passé et de ses souffrances), la haine de soi, le besoin d'oublier et de s'oublier, puis la résurrection, la colère et, enfin, la rage froide. Et comme si tout cela ne suffisait pas, il le rend esclave de deux addictions. On est très loin du héros trônant sur un piédestal : Jodorowsky, probablement par volonté iconoclaste, désacralise son héros en le traînant dans la fange avant de le faire renaître, le nimbant ainsi d'une authentique et indiscutable humanité. Boucq présente une partie graphique à nouveau très satisfaisante, au découpage cinématographique, avec des bandes parfois étroites et des vignettes de dimensions variées. L'artiste propose une belle diversité de plans et de perspectives. Le lecteur appréciera les cases soignées et un niveau de détail très suffisant, sans surcharge (le saloon, le bureau du shérif, la cellule...).
"La Justice des serpents" est un album touchant, captivant, et prégnant. Jodorowsky, en malmenant son héros (peut-être trop ?), évoque ici la cruauté du destin et la perversité du hasard, et prend plaisir à mettre à l'épreuve la compassion du lecteur.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Cases soignées et un niveau de détail très suffisant, sans surcharge - Un point d'équilibre pas si facile que ça à trouver, entre lisibilité facile et description fournie.
RépondreSupprimerL'espoir, la haine de soi, le besoin d'oublier et de s'oublier, puis la résurrection, la colère et, enfin, la rage froide [...] de deux addictions : les personnages de Jodorowski souffrent énormément et pas que dans leur chair. D'un autre côté j'aime bien le portrait que tu brosses de Bouncer, un héros pas lisse, pas en position de supériorité.
Je te présente mes meilleurs vœux pour l'année 2020 : réussite de tes projets professionnels et personnels, et de bonnes lectures.
Merci de tes bons vœux.
SupprimerÀ mon tour de te présenter les miens ; je te souhaite d'aboutir dans tout ce que tu entreprends, ainsi qu'une bonne santé.
Et bien sûr, j'espère que nous continuerons à converser au fil de tes articles et des miens, en bonne intelligence.