lundi 13 avril 2020

Durango (tome 3) : "Piège pour un tueur" (Soleil ; janvier 1983)

"Durango" est une série de western "spaghetti", créée en 1981 par le Belge Yves Swolfs, connu également pour : "Dampierre", "Légende", "Le Prince de la nuit", etc. "Durango" est d'abord publié par : Les Archers, puis par Dargaud, Alpen Publishers, Les Humanoïdes associés, et enfin, par Soleil (du groupe Delcourt) depuis 2003. La maison continue la publication et a réédité la somme. Si Swolfs a réalisé les treize premiers numéros en solo, ou parfois avec un coloriste, il s'est fait remplacer au dessin à partir du quatorzième album, "Un pas vers l'enfer" (de 2006). 
"Piège pour un tueur" est le troisième volet de "Durango". C'est un recueil cartonné au grand format ; il compte quarante-six planches. Il est d'abord sorti aux Archers en janvier 1983, sans prépublication. Swolfs en écrit le scénario, et il en produit les dessins et l'encrage, ainsi que la mise en couleur - à confirmer. 

À l'issue du tome précédent, Durango abat Callahan, leader et dernier survivant de sa bande. Le redresseur de torts s'éclipse avant que le shérif et les renforts n'arrivent à Peaceful Church. 
Juin 1898. Durango "le Pacificateur" rend visite à Hans, un armurier allemand. Il vient d'essayer un Colt ; un très bon modèle, mais Durango, bien que tirant fort correctement de la main gauche, restera désavantagé. En revanche, s'il est prêt à mettre les moyens, l'artisan peut lui proposer une alternative ; en effet, il a toujours une solution pour les professionnels exigeants. Ici, ce sont des prototypes européens auxquels il pense. Il lui présente ainsi un Bergmann, un Männlicher, un Webley Mars, et un Borchardt : des pistolets automatiques. Pour Durango et ses pareils, c'est l'avenir. L'attention de notre justicier est attirée par une autre arme, un Mauser : dix coups, rapide, et puissante. Hans lui explique qu'elle a déjà sa petite histoire : ses deux derniers propriétaires, un pistolero et son assassin, sont morts... 

Dans les deux volets précédents, Durango se retrouvait dans la position de redresseur de torts et affrontait les tueurs jusqu'au dernier. Swolfs construisait ces intrigues sur un modèle identique, au risque de se répéter à peine la série débutée. Dans "Piège pour un tueur", changement de décor ; il est évident que l'auteur s'est évertué à proposer un scénario plus fouillé, tout en conservant ses influences. Cet album est important : c'est ici que Durango, dont la main droite a perdu sa dextérité à la suite des blessures qui lui ont été infligées dans "Les chiens meurent en hiver", change d'arme et adopte le Mauser C96, déjà utilisé par le personnage de Silence, interprété par Jean-Louis Trintignant dans "Le Grand Silence" ("Il grande silenzio"), film de Sergio Corbucci de 1968. Dans ces pages, Swolfs pare le pistolet d'une aura fantastique, l'associant à une malédiction - la mort - qui touche son propriétaire (en tout cas, qui aura frappé les deux précédents). Cela permet à l'auteur de révéler que Durango, dont les lecteurs ne savent pas grand-chose, finalement, n'est pas porté sur les superstitions, ce qui peut induire qu'il n'éprouve qu'une forme de dédain pour l'idée de châtiment divin, et, par extension, pour la chose spirituelle. Autre utilisation, là encore, très limitée, du registre fantastique, le cauchemar de Durango, dans lequel il a séduit la Mort. Alors que notre as de la gâchette, dans les deux premiers volumes, était un justicier itinérant, ici, voilà qu'il vend ses services comme garde du corps, sans qu'il ait apparemment cherché à savoir qui l'avait embauché. Et donc, Durango n'est pas qu'un pistolero envoyé par le destin pour défendre la veuve ou l'orphelin, c'est aussi un mercenaire. Enfin - et c'est là une autre nouveauté qu'apporte l'album, la trame est moins binaire que dans les deux numéros précédents. Certes, il s'agit encore d'un assassinat, oui, des innocents sont en danger, mais Swolfs augmente le niveau de complexité de son intrigue en faisant intervenir une troisième partie dans la danse, ce qui lui permet d'intégrer un retournement de situation particulièrement inattendu à l'approche du dénouement. Swolfs mettant en scène les protagonistes chacun à leur tour, la linéarité de la narration est sans lourdeur. Les lecteurs seront à nouveau surpris par l'équilibre du scénario. Les dessins sont soignés, généreux en détail, en témoigne la séquence du saloon. Le trait réaliste de Swolfs n'évolue guère, mais son découpage est cristallin. Dommage que les deux principaux antagonistes se ressemblent. La mise en couleur est tour à tour saturée puis pâlotte, voire terne. 

Par rapport aux deux histoires précédentes, "Piège pour un tueur" représente un véritable changement ; il semble évident que Swolfs a voulu produire une intrigue plus ambitieuse, plus complexe, aussi. La mise en couleur n'est pas une franche réussite. 

Mon verdict : ★★★★☆ 

3 commentaires:

  1. Un peu surpris par tes remarques sur la mise en couleurs, j'ai regardé la date de l'ouvrage (1983) en début de ton article. Je n'avais pas souvenir qu'il subsistait des difficultés techniques de reprographie dans ces années-là. Peut-être que l'éditeur originel n'avait pas assez de budget pour une technologie de reprographie adaptée ? Du coup, je me demande aussi si Soleil a pu mettre la main sur les planches originales de Swolfs pour les rééditions, ou s'il a dû se contenter de négatifs, puisqu'à l'époque de la première édition, il n'y avait pas encore de numérisation. J'ai déjà lu plusieurs articles où un artiste explique la problématique de conserver son patrimoine d'avant le numérique, ou de le récupérer s'il a vendu ses planches pour pouvoir les scanner, et obtenir une réédition à la hauteur du niveau attendu aujourd'hui de qualité de reprographie.

    J'ai bien aimé la présentation des différents modèles de pistolet dans le résumé. Est-ce un goût de l'auteur pour les armes à feu, ou le résultat d'une recherche bien faite ? Je me pose parfois la question quant aux centres d'intérêt réels du créateur.

    Faire intervenir une troisième partie dans la danse - Voilà qui me parle bien : il m'est déjà arrivé de ressentir ça à la lecture d'une BD, que le scénariste quitte la dichotomie bien /mal, ou héros/méchant pour s'aventurer dans un territoire moins manichéen.

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    1. Je ne peux pas commenter ton premier point. En revanche, en consultant les crédits, j'avais été surpris de voir que Stephan Swolfs (dont je n'ai pas réussi à établir de lien précis de parenté avec Yves), le coloriste du second tome, n'était pas mentionné. J'en ai déduis que c'était Yves qui avait réalisé la mise en couleur. Or, j'avais trouvé qu'elle péchait déjà dans le premier tome, a priori mis en couleur par Yves aussi. Je me suis demandé - sans chercher - pourquoi la collaboration avait cessé, à moins qu'il ne s'agisse simplement de crédits incomplets ou d'une interruption temporaire de leur collaboration.

      Concernant les armes, je pense que c'est un effort de documentation. Je ne connaissais aucun de ces modèles. Lire l'historique du C96, en revanche, a été instructif. Je penche plutôt pour le résultat d'une recherche bien faite. Après tout, il s'agit d'un modèle vraiment particulier déjà utilisé dans "Le Grand Silence", le film qui a inspiré la série.

      Quant au troisième point, je dirais que l'on reste dans un territoire manichéen, sauf que les alliés ne sont pas ceux que l'on croit et que l'on peut trouver pire que son ennemi juré, en fin de compte. Je me demande si l'on retrouve cet effort scénaristique dans le tome suivant.

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  2. Merci pour ces réflexions complémentaires.

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