"Rapt sur le France" est le sixième tome de "Ric Hochet", la série policière culte, créée par le Belge André-Paul Duchâteau et le Français Gilbert Gascard (1931-2010), alias Tibet. À ce jour, ce titre compte soixante-dix-huit numéros, le dernier en date étant sorti en 2010, et s'étend ainsi sur presque cinquante ans.
Cet album a paru aux éditions Le Lombard en mars 1968, après avoir été prépublié dans "Le Journal de Tintin" (dans l'édition belge) en premier lieu, entre le 28 juin (dans le nº26/66) et le 25 octobre 1966 (nº43). Duchâteau écrit le scénario ; Tibet en produit la partie graphique (dessin, encrage, mise en couleur). En revanche, il ne réalisait pas les décors, qu'il confiait à des assistants - dans ce cas-ci à Jean "Mittéï" Mariette (1932-2001).
Par une belle soirée de mai, vers la fin des années soixante. Attablé à son bureau, Bourdon, rêveur, contemple une photo du paquebot France. Une croisière sur ce navire, ça serait formidable ! C'est ça, les vacances idéales. Ric, le sourire aux lèvres, acquiesce. Bourdon continue ; le France est une véritable ville flottante, avec deux piscines, une salle de théâtre, et un des meilleurs restaurants du monde. Mais comme il le conclut lui-même : inutile de rêver au-dessus de ses moyens. Ric, toujours d'accord, suggère un séjour sur la Riviera italienne, mais Bourdon a horreur des pâtes, et cette destination est trop onéreuse pour son traitement de commissaire de la police judiciaire. Bourdon doit se résigner ; il n'a plus qu'à choisir entre un clair de lune à Maubeuge ou la plage de Boulogne-sur-Mer. Ric essaie de le réconforter. Le principal est qu'il se repose, et qu'il oublie ses enquêtes pendant quelques jours. Bourdon se range à l'avis de son ami, qui a raison comme toujours. Plein d'entrain, Ric lui propose de l'aider à préparer ses bagages sinon Bourdon ne sera jamais prêt. Son attention est alors attirée par un recueil format italien. Bourdon précise qu'il s'agit d'un album-souvenir...
"Rapt sur le France" est plus qu'un simple huis clos, c'est une partie de cache-cache policier dans un cadre d'exception, le paquebot France, "symbole de la grandeur et du prestige de la France gaullienne des années 1960". L'album se découpe en trois actes ; le premier est long d'une vingtaine de planches, et sert à poser le contexte : des malfrats veulent enlever le professeur Hermelin, un scientifique dont la découverte permettra à la France de jouer un rôle dans la course à l'espace. Hermelin doit participer à une conférence aux États-Unis, et la police décide de lui faire traverser l'Atlantique sur le France, sous l'escorte de Bourdon et Ric Hochet ; c'est le second acte. Il dure une trentaine de planches. Viennent enfin le crescendo ultime et le dénouement : une dizaine de planches. L'équilibre est donc relatif ; l'introduction est longuette, le passage sur le France finit par traîner, et les lecteurs, après l'action et la course-poursuite finales, ne seront pas mécontents de voir arriver la conclusion. Duchâteau répète des choix scénaristiques déjà employés dans "Piège pour Ric Hochet" : en reprenant certains personnages (il sera utile de relire "Défi à Ric Hochet"), et en continuant l'étoffement de la galerie de protagonistes de sa série, puisque Hermelin reviendra dans d'autres tomes (Nadine est absente ; sa présence eut été une invraisemblance). Duchâteau, ici plus que dans les albums précédents, cherche à engendrer une atmosphère plus légère en insufflant un esprit comique dans l'histoire, avec la caractérisation de Hermelin, un savant bourru, intransigeant, sans tact et qui est persuadé de la supériorité de son intellect. Cela contraste fortement avec un Bourdon souvent maladroit, naïf, qui fait rire à ses dépens, bien qu'il ne soit pas là seulement pour faire le clown. L'auteur propose un second jeu de miroirs, entre Ric Hochet et l'antagoniste principal. Duchâteau a le métier et le talent nécessaires pour produire une intrigue généreuse en rebondissements, qu'il émaille de nombreuses scènes d'action même si elles sont parfois téléphonées. Les malfaiteurs sont assez drôles, originaux, mais pas suffisamment exploités. La qualité de la partie graphique met en évidence les progrès de l'équipe artistique. L'expressivité des personnages de Tibet n'est plus à démontrer. Son Bourdon est particulièrement abouti ; l'affection de l'artiste pour le commissaire et son plaisir à le dessiner semblent flagrants. La variété des cadrages est remarquable. Enfin, Mittéï profite du cadre du scénario pour représenter le France sous de nombreuses facettes, dont une splendide vue de nuit.
La lourdeur de la linéarité, quelques longueurs, la révélation du pot aux roses dès la deuxième planche, hélas, de grosses ficelles, et une tonalité comique un peu trop appuyée sont les défauts d'un sixième volume passable, voire décevant, finalement.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
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C'est horrible : dès que je vois parler du France, le refrain de la chanson de Michel Sardou s'incruste dans ma tête pour au moins un quart d'heure. :)
RépondreSupprimerL'affection de l'artiste pour le commissaire : voilà quelque chose qu'il y a encore quelques années j'aurais bien été incapable de déceler. Or l'attachement ou l'investissement d'un auteur dans un personnage le rend bien sûr beaucoup plus présent pour le lecteur.
Mittéï représente le France sous de nombreuses facettes. - De ce point de vue, peut-dire que ce tome est même devenu un témoignage historique ?
Mon Dieu, nous voilà à discuter des chansons de Sardou ☺ !...
SupprimerBonne question. J'ai bien vu que Mittéï représentait les ponts, la salle des commandes, le restaurant, le bar, la crèche (et oui), les cuisines, les cabines, les couloirs, le théâtre, et le bateau lui-même, bien sûr. Il y a également une superbe vue de coupe avec légende sur une (demi) double page. Je suppose que Mittéï a dû se documenter. On peut dire que c'est un témoignage historique, oui, mais plus sous l'angle de ce que le France représentait à l'époque : le prestige de la France gaullienne des années soixante.