vendredi 29 mai 2020

Ric Hochet (tome 5) : "Piège pour Ric Hochet" (Le Lombard ; septembre 1967)

"Piège pour Ric Hochet" est le cinquième volume de "Ric Hochet", série culte conçue par le Belge André-Paul Duchâteau et le Français Gilbert Gascard (1931-2010), alias Tibet. À ce jour, ce titre policier en compte soixante-dix-huit, le dernier en date étant sorti en 2010, et s'étend ainsi sur presque cinquante ans.
Cet album a paru aux éditions Le Lombard en septembre 1967, après avoir été prépublié dans "Le Journal de Tintin" (édition belge) en premier lieu, entre le 20 août 1965 (dans le nº29) et le 8 février 1966 (nº6). Duchâteau écrit son scénario. Tibet en produit la partie graphique (dessin, encrage, mise en couleur). En revanche, il ne réalisait pas les décors, qu'il confiait à des assistants - dans ce cas-ci à Jean "Mittéï" Mariette (1932-2001). 

Un soir de pluie, dans un village de la Marne. Le commissaire Sigismond Bourdon, en convalescence, passe son congé chez sa sœur Élodie, à l'Auberge des Trois Clefs, en compagnie de sa nièce Nadine et de son petit-neveu Christian. Tout le monde est installé devant le poste de télévision. Le policier est fébrile ; qu'attendent-ils donc ? C'est pourtant l'heure ! Nadine tente de le calmer ; peut-être veut-il fumer sa pipe ? Élodie estime que son frère a suffisamment fumé aujourd'hui et elle lui ordonne de cesser de se ronger les ongles. Vraiment, quel exemple pour Christian ! Bourdon rétorque qu'il a le droit d'être impatient. Au même moment, à Paris, Ric Hochet s'installe dans un studio de l'ORTF. Il est l'invité d'un magazine télévisé pour présenter "J'ai relevé le gant !", un recueil d'histoires policières qu'il vient de publier aux éditions Le Lombard. L'animateur revient sur ces affaires qui ont fait la réputation de Ric Hochet, un jeune reporter, mais qui affiche un parcours déjà remarquable : ses démêlés avec Caméléon, le mystère de Porquerolles, l'enlèvement du petit Marc Chevallier, au Havre, ou le complot échoué contre l'industriel Valloire. Mais comment est née sa vocation ?... 

"Piège pour Ric Hochet" serait-il un numéro charnière ? Curieusement, dès la première planche, Duchâteau évoque les quatre albums précédents, comme s'il souhaitait procéder au bilan de sa série, en parallèle à celui de Ric Hochet en tant que journaliste d'enquête. Car tous les épisodes sont cités : les affaires avec Caméléon, "Signé Caméléon" et "L'Ombre de Caméléon", puis les autres, "Traquenard au Havre", "Mystère à Porquerolles", et "Défi à Ric Hochet". Avant d'entamer cet album, il sera donc utile d'avoir en mémoire les principaux protagonistes de ces tomes. La chose peut s'expliquer de deux façons de la part de Duchâteau : il aspire à créer une continuité dans les histoires, avec des liens, même ténus, entre ses différents récits, et il désire étoffer la galerie de personnages secondaires de son titre. La seconde hypothèse semble se confirmer par deux points ; primo, c'est ici que Ric et Nadine se rencontrent pour la première fois ; deuzio, les lecteurs en apprennent plus sur la famille de Bourdon, qui a donc au moins une sœur, Élodie, une nièce, Nadine, et un petit-neveu, Christian. Concernant l'intrigue, Duchâteau choisit la Marne. Utiliser - fictives ou pas - de petites villes de province comme cadre est l'une des caractéristiques de la série. Là, l'enquête est lancée par un accident de la route ; un chauffard qui heurte le petit Christian et qui prend la fuite. S'ensuit une chasse au suspect, dans laquelle Ric et Bourdon sont confrontés à des témoins qui n'ont pas aperçu grand-chose, au fond, et à la gendarmerie, dont le représentant, un brigadier vieillissant aux faux airs de Pétain, ne brille pas par sa perspicacité. Quant à Nadine, aucun second degré possible dans la caractérisation : bien qu'elle soit candide et impulsive, la jeune femme est intelligente, astucieuse, et courageuse. L'identité du coupable est dévoilée plus tôt que d'habitude par rapport aux autres albums de la série, et le pot aux roses n'est révélé qu'à la fin ; une situation inhabituelle pour une intrigue policière, car les lecteurs savent qui est le méchant, sans connaître ce qu'il complote réellement. Malgré cela, et bien qu'il n'évite pas quelques invraisemblances (cf. la scène de la visite du garage), Duchâteau parvient néanmoins à maintenir le rythme de ce scénario poussif, dont le dénouement tarde. Tibet a soigné la diversité des physionomies. Il traite l'expressivité de ses personnages avec minutie. Toutes les voitures ne sont pas représentées à la perfection : sa Renault 16 est à géométrie variable. Le travail de Mittéï sur les bâtiments est impeccable ; il l'est moins sur les scènes en plein air. 

Ce cinquième album pâtit d'une gestion des enjeux de l'intrigue et de quelques longueurs, qui pourront soulever le scepticisme des lecteurs difficiles. Mais il s'agit d'un numéro important puisque c'est celui dans lequel le personnage de Nadine est créé. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Continuité & Personnages secondaires : passionnant article qui met en lumière un enjeu éditorial sur les éléments nécessaires pour faire envisager une série dans la durée. Sans parler de tournant de la série :) , y aurait-il eu des échanges ou des réflexions avec le responsable éditorial sur les nouveaux éléments à inclure dans la série, à commencer par un personnage féminin ?

    Toutes les voitures ne sont pas représentées à la perfection. - Surprenant : je croyais avoir compris qu'il s'agissait d'une caractéristique forte, voire essentielle, de la série

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    1. Je ne peux pas répondre à ta question. D'après l'article Wikipédia, il semblerait que le rôle de Nadine "s'estompe dans la résolution des intrigues au fil de la série". Le personnage est-il devenu encombrant à la longue, au point que Duchâteau ne savait plus quoi en faire ? Je l'ignore. Il est possible que Nadine ait été victime du conservatisme du milieu de l'époque, notamment celui des responsables éditoriaux. J'en reparlerai au fil des tomes.

      Oui, c'est une caractéristique forte. Mais disons que les proportions de la Renault 16 m'ont piqué les yeux. Souvenirs d'enfance obligent, je ne pouvais pas laisser passer ça. Désolé, Tibet.

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