Publié dans la collection "DC Deluxe" d'Urban Comics en avril 2016, "Des cris dans la nuit" est un recueil au format 21,5 × 28,5 centimètres et à couverture cartonnée qui comprend la version française d'un "graphic novel" de quatre-vingt-dix planches. Il s'agit de la réédition d'un ouvrage déjà sorti en France chez Comics USA, en mars 1993, dans leur collection "Spécial USA". En VO, ce récit était sorti en août 1992, sous le titre "Night Cries".
Le scénario a été écrit par Archie Goodwin (1937-1998), et les illustrations (aquarelle et gouache, en couleur directe) ont été réalisées par Scott Hampton. C'est la première fois que Hampton - surtout connu pour "Simon Dark" - travaille sur une histoire de Batman, un personnage qu'il ne retrouvera que douze ans plus tard avec "Outre-tombe" (2005-2006). "Des cris dans la nuit" comprend quelques références à "Année un", et se déroule six ans après. C'est, à peu de chose près, la période écoulée entre la publication de "Year One", en 1987, et celle de "Night Cries".
Gotham City. Batman est réveillé par ses cauchemars. Assis à l'arrière d'une limousine, le commissaire Gordon s'est assoupi. À son côté, Latham - le directeur du cabinet du maire de la ville - s'enquiert du travail de Gordon concernant la restructuration du comité d'audit : il lui faut ses recommandations pour le lendemain. Gordon émerge. Il s'excuse auprès de Latham. Il avoue qu'il n'est pas encore habitué à cumuler heures de boulot et banquets politiques ; Latham lui suggère de ne rien manger à ces repas et de déléguer davantage. Désormais Gordon est cadre, il n'est plus "un flic de rue". Alors qu'il évoque la conférence de presse du maire, il est interrompu par Gordon qui demande au chauffeur s'il y a "quelque chose" sur les fréquences de police. C'est effectivement le cas ! On rapporte un homicide multiple : au nord de Robinson Park, dans le quartier des Heights. Selon Latham : un crime dans les Heights est sans valeur médiatique...
"Des cris dans la nuit" est assurément l'une des enquêtes de Batman les plus sombres jamais écrites. Goodwin conçoit un récit sans concession sur les monstres à visage humain. Nul besoin d'un super-vilain pour évoquer les horreurs infligées aux enfants - maltraitance et pédophilie - et la démence de leurs bourreaux ; les tortionnaires, eux-mêmes souvent d'anciennes victimes qui reproduisent le même schéma ; et le mal omniprésent, car touchant les couches les plus huppées de la société comme les classes les plus défavorisées. Goodwin développe une trame à la linéarité imperceptible, qui commence avec une série de meurtres brutaux et un soupçon de trafic de drogue. Puis l'histoire prend une tournure différente, beaucoup plus noire. Pris à témoin, les lecteurs sont exposés à la crudité et la dureté des faits. Certains pourront ressentir une forme de malaise à plus d'une reprise, d'autant que l'auteur utilise Gordon pour montrer que la frontière avec l'irréparable est extrêmement ténue et que les déclencheurs ne demandent qu'à être activés (par de la tension dans le couple ou au travail ; par du surmenage) pour que la violence déferle. La caractérisation du commissaire, qui assiste - impuissant - à la désagrégation de sa vie conjugale, est plus convaincante que celle de Batman en proie à ses démons. Mais découvrir la mise en parallèle des introspections respectives des deux personnages est fascinant et les voir travailler ensemble sans maniérisme, échafauder des hypothèses et échanger des déductions qui vont les conduire, progressivement, à la résolution de cette tragique affaire et à la révélation de ses surprenantes facettes est passionnant.
Le style de Hampton se situe dans un registre réaliste. Bien qu'il s'agisse certainement d'un effet désiré, le manque de luminosité qui se dégage des illustrations pourra gêner la lecture, voire la déranger. De nombreuses séquences se déroulent dans la pénombre : les lecteurs devront mobiliser toute leur attention afin de les décrypter, un choix artistique qui participe largement à l'atmosphère lugubre de cette histoire. Cela étant, le découpage de l'action est limpide, même s'il faut reconnaître que la rareté des scènes de combat rend cet exercice moins ardu. Certaines touches de la mise en couleur (les nez rouges à cause du froid) n'ont pas l'effet escompté.
Globalement satisfaisante, la traduction d'Alex Nikolavitch est meilleure que celle de Comics USA - même si le texte ne sonne pas toujours de façon juste ou naturelle. Il y a une faute de nombre : "multiples homicides" (page 9) devrait être au singulier.
Goodwin et Hampton réalisent une histoire qui glacera le sang et qui marquera durablement son public. À la fin, pas d'autocongratulations, ni du côté de Batman ni de celui de Gordon. En cela "Des cris dans la nuit" a l'envergure d'un authentique polar.
Mon verdict : ★★★★★
Barbüz
Une des enquêtes de Batman les plus sombres jamais écrites : tout à fait mon ressenti. Cette histoire m'avait mis mal à l'aise en 1992, et sa relecture il y a 10 ans m'avait tout autant bouleversé.
RépondreSupprimerDe nombreuses séquences se déroulent dans la pénombre : les lecteurs devront mobiliser toute leur attention afin de les décrypter, un choix artistique qui participe largement à l'atmosphère lugubre de cette histoire. - Belle mise en lumière de ce mécanisme dont j'ai ressenti l'effet que tu décris.
Les nez rouges à cause du froid : ce peintre est coutumier de ces nez plus rouge, et ce choix graphique ne fait pas sens à mes yeux, mais n'est pas assez marqué pour diminuer mon plaisir de lecture
Un authentique polar : 100% d'accord. Et une fin glaçante.
J'aime beaucoup l'aspect détective, aussi.
SupprimerJ'ai découvert cette œuvre avec l'édition Comics USA. J'attendais une réédition pour avoir une traduction de meilleure qualité. Elle est meilleure, certes, mais ce c'est pas non plus ce que Nikolavitch a fait de mieux.