"Durango" est une série de western spaghetti lancée en 1981 par le Belge Yves Swolfs, célèbre également pour "Dampierre", "Légende", "Le Prince de la nuit", etc. "Durango" sera d'abord publié par Les Archers puis par Dargaud, Alpen Publishers, Les Humanoïdes associés, et enfin par Soleil (du groupe Delcourt) depuis 2003. La maison continue la publication et a réédité la somme. Si Swolfs a réalisé les treize premiers numéros en solo, ou parfois avec un coloriste, il s'est fait remplacer au dessin à partir du quatorzième album, "Un pas vers l'enfer" (de 2006).
"Loneville" est le septième numéro ; il s'agit d'un ouvrage cartonné grand format (30,0 × 23,0 centimètres) de quarante-huit planches, qui est d'abord sorti aux Archers, en janvier 1987, sans prépublication. Swolfs en a écrit le scénario et produit les dessins et l'encrage, ainsi que la mise en couleur - à confirmer.
À l'issue du tome précédent, Durango et Ortega offrent une sépulture de fortune à la dépouille d'Amos puis ils se séparent ; Durango rentre aux États-Unis et Ortega demeure au Mexique.
Un cimetière enneigé, à l'extérieur d'une bourgade ; les croix et les stèles funéraires sont dispersées. Au fond, les collines ; tout est blanc. Une jeune fille, enveloppée dans un châle, se recueille devant une stèle : John et Anna Alsworth, assassinés en novembre 1899. Agenouillée, sans prêter attention aux flocons, elle leur parle : ils lui manquent, et elle se sent seule. Il ne lui reste d'eux qu'un livre qu'ils lui avaient offert et qu'elle lit souvent, l'histoire du chevalier Harold, qui arrive alors que plus personne n'espérait sa venue. Il entre dans l'antre du dragon afin de délivrer la princesse prisonnière, tue le dragon, le sorcier, et emmène la princesse sur sa monture, avant que leur pays retrouve enfin la paix. Tandis qu'elle parle, Durango, à cheval, passe à côté et continue son chemin à travers la neige...
Terminé, le Mexique - en tout cas, pour le moment - et finie, la période révolutionnaire. Avant tout, "Loneville" est un retour aux sources de la série, particulièrement ses deux premiers tomes, "Les Chiens meurent en hiver" et "Les Forces de la colère" ; mais c'est tout autant une évolution logique à la suite du désastre du "Destin d'un desperado". Le héros - Durango - s'éloigne des grandes causes et des idéaux romantiques et reprend le rôle qui lui était dévolu au départ : celui d'un pistolero itinérant qui rend la justice dans des lieux qui ont été abandonnés aux assassins et aux meurtriers de toutes sortes et où la loi n'a pas cours. Après les carnages à la mitrailleuse du triptyque qui a précédé, pas question pour Swolfs de baisser la violence inhérente à la série d'un cran. D'emblée, le lecteur est confronté à la brutalité crue et sans merci de ces contrées perdues : une horde de criminels, dirigée par un as de la gâchette qui dissimule une bien étrange affection, transforme en tragédie innommable la vie routinière d'une famille dont le seul tort, au fond, est d'avoir voulu habiter loin de tout et de tous. Le moins que l'on puisse dire, c'est que Swolfs n'y va pas avec le dos de la cuiller : l'auteur fait déferler la barbarie et la cruauté les plus abjectes, sans pitié, choquant le lecteur, qui ne peut que ressentir un malaise certain. Ceux qui craignaient qu'aux trois épisodes de guérilla mexicaine succèdent des aventures moins intenses en matière de violence seront servis ! Durango, évidemment mêlé à l'affaire, devra une fois encore affronter le mutisme et la lâcheté des notables de la bourgade de Loneville ; la pusillanimité du citoyen ordinaire - du bourgeois, en fin de compte - est l'un des thèmes récurrents de la série. L'intrigue du scénariste est linéaire, sans que cela se ressente : il y a là quelques trouvailles et elle compte bon nombre de scènes marquées par une tension forte. Swolfs essaie d'insuffler un peu d'humour avec la jeune fille, une tentative poussive qui n'apporte rien.
La partie graphique est dans la lignée de celle des premiers recueils, à savoir un style réaliste ; un travail notable sur l'expressivité du regard ; un quadrillage classique avec quelques incrustations çà et là ; une belle variété dans la dimension des cases ; de la diversité dans les plans et les perspectives ; un coup de crayon minutieux et précis ; et un niveau élevé de détail. L'artiste soigne les paysages enneigés. La mise en couleur est adaptée aux différentes situations, avec des séquences en intérieur, dont une grotte éclairée par des torches ; une difficulté technique qui peut causer un manque de luminosité et de contraste, mais surmontée avec talent.
Dans "Loneville", il y a une dimension psychologique peut-être plus importante - même si un peu maladroite - que dans les numéros précédents ; la violence aveugle et brutale et, en retour, la justice froide et implacable restent au centre de "Durango".
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
La barbarie et la cruauté les plus abjectes, sans pitié : je ne me souviens plus si je t'ai posé la question, Swolfs atteint-il le même degré violence que Jodorowsky dans Bouncer ? Est-ce pire ici parce que plus réaliste ?
RépondreSupprimerUn peu d'humour avec la jeune fille, une tentative poussive : c'est quelque chose que j'ai déjà remarqué, tous les auteurs ne sont pas à l'aise avec l'humour. C'est souvent le cas dans les comics, avec un humour poussif et peu imaginatif, à quelques rares exceptions près.
C'est amusant que tu me poses la question, parce que la comparaison m'est venue à l'esprit pendant la rédaction de mon article. Disons que Jodorowsky est outrancier, tandis que Swolfs ne l'est pas. Le premier met la brutalité en scène de façon ouverte, voire cynique, tandis que le second utilise plutôt le réalisme et la suggestion.
SupprimerJodorowsky outrancier, je crois que je vois ce que tu veux dire, il adopte souvent sciemment des procédés de la scène pour une théâtralité assumée dans sa narration. Du coup, ta distinction avec l'approche de Swolfs me parle bien. Merci pour cette analyse de littérature comparée.
Supprimer☺ ☺ ☺
Supprimer"Assumée", voire "pleinement assumée" ; c'est effectivement un qualificatif très juste qui ne m'était pas venu à l'esprit. Je n'ai pas forcément l'impression que c'est pareil pour Swolfs. Fin de l'analyse.
Cette sensation d filiation avec le théâtre m'était venue à l'esprit en lisant La caste des Méta-Barons dont le destin m'évoquait une tragédie grecque antique.
SupprimerMerci ; j'aurai cette idée en tête lorsque je le (re)lirai.
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