Publié aux éditions Dargaud en septembre 2003, "OK Corral" est le vingt-septième tome de "Blueberry" ; c'est un album de quarante-six planches, à couverture cartonnée, au format 22,5 × 30,0 centimètres. Après "Arizona Love", "Blueberry" avait changé de titre une nouvelle fois, pour "Mister Blueberry". Dargaud, finalement, intégrera les épisodes de ce cycle-ci dans la série "classique", qui compte désormais vingt-huit numéros.
"Blueberry" est une série lancée par le scénariste belge Jean-Michel Charlier (1924-1989) et l'illustrateur français Jean "Gir" Giraud (1938-2012) dans "Pilote" en 1963. Giraud, depuis le décès de Charlier, préside seul aux destinées du titre. C'est son troisième volume réalisé en solo en tant que scénariste ; il produit également la partie graphique (les dessins et l'encrage). C'est Claire Champeval qui compose la mise en couleur, enfin.
À l'issue du tome précédent, Clum file vers Tombstone répéter les dires de Geronimo à Crook. C'est alors qu'il surprend une réunion entre le banquier Strawfield, les Clanton, et McLaury.
Tombstone, la nuit ; après une longue chevauchée, Strawfield et Johnny Ringo arrivent à la Lucky Hand Mine. Un dénommé Barnett les accueille. Strawfield lui demande si les hommes qu'il attend sont arrivés. Barnett lui répond qu'ils sont dans son bureau. Trois hommes d'âge moyen sont en effet installés. Le premier, Hon-le-Muet, porte un manteau et une casquette de l'armée sudiste ; il s'exprime par grommellements. Clark - le second - est habillé comme un joueur professionnel. Hemrich, le dernier, est vêtu comme un citadin. Strawfield leur explique alors que s'ils ont été sélectionnés, c'est qu'ils représentent "la crème de la crapulerie entre Denver et Kansas City". L'insulte soulève des réactions, mais Strawfield coupe court à tout débat : il les a engagés "pour sortir une arme et rien d'autre"...
Avant-dernier tome d'un cycle qui n'en finit plus à force de s'étirer et de tourner en rond. Le lecteur l'aura clairement réalisé à ce stade : Giraud est bien loin d'avoir le talent de conteur de Charlier. Giraud essaie de pimenter sa trame en faisant venir trois tueurs. Mais c'est surtout dans la gestion de la vraisemblance que le bât blesse. À peine relâché par Geronimo en pleine nuit, Clum se donne ainsi la peine de suivre Strawfield et Ringo afin de les espionner ; soyons indulgents et mettons cela sur le sens du devoir de notre journaliste. Il s'ensuite quelques embrouilles politiques qui commencent à germer, les notables de Tombstone étant passablement échaudés par les méthodes de la fratrie Earp. Voilà une sous-intrigue dont il est important de suivre les développements, car ils seront amenés à gagner en ampleur dans le scénario de Giraud. Cela prend un virage inattendu avec l'évolution du personnage de Johnny Ringo ; Giraud surprend clairement son monde avec ce pistolero froid et décharné qui se révèle être bien plus, et bien pire. Est-il possible que Giraud ait voulu rendre hommage au "Dragon rouge" ("Red Dragon", 1981), de Thomas Harris, ou n'est-ce là qu'une coïncidence ? Bien qu'audacieuse, la métamorphose, pour autant, ne viendra pas entièrement à bout du scepticisme du lecteur. Blueberry, de son côté, n'assure que le minimum. Le rôle qu'il joue est secondaire, sauf dans le dernier quart. Il ne quitte guère l'hôtel où il a élu résidence. Giraud multiplie les intrigues parallèles au détriment les unes des autres ; le déficit de rythme de la trame est flagrant. C'est à peine s'il est encore question (dans une case seulement) des suites de la rencontre entre Blueberry et Geronimo, tant l'auteur s'éparpille. L'action à la fin du recueil et l'ouverture de la fusillade tant attendue évitent la noyade à l'album ; la conclusion du tome laisse entrevoir le bout du tunnel. Qu'elle est lente, l'immersion dans le quotidien agité de cette bourgade de l'Ouest avant cet affrontement de légende !
Gir compose ici une partie graphique d'une richesse admirable ; cela inclut non seulement la variété des physionomies - bien que Wyatt Earp et Johnny Ringo aient des visages très similaires -, mais aussi le soin apporté aux détails et aux décors (certains arrière-plans sont rationalisés, néanmoins), la diversité des expressions faciales, les contrastes entre ombre et lumière, et l'encrage minutieux, mais irrégulier. En revanche, Champeval a opté pour une palette de tons qui donnent un aspect terreux aux visages et à sa mise en couleur en général ; un choix pour le moins curieux. Et enfin, ces phylactères à cheval sur les gouttières pourront perturber la lecture.
"OK Corral" est le quatrième des cinq volets qui constituent cet ultime cycle, celui de "Mister Blueberry" ; au fil des tomes, les lecteurs fidèles au titre depuis le début réaliseront toute l'ampleur du talent de conteur que Charlier apportait à cette saga.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
J'ai l'impression que tu es à deux doigts de regretter de t'être lancé dans cet ultime cycle ?
RépondreSupprimerLorsqu'un dessinateur devient scénariste (pour reprendre la formulation simpliste employé dans le monde des comics), je me demande toujours s'il en a l'étoffe. En lisant ton article, je me dis que je devrais plutôt me demander s'il en a donc les compétences, et donc peut-être la formation. Du coup j'apprécie beaucoup ta conclusion : les lecteurs fidèles réaliseront toute l'ampleur du talent de conteur que Charlier apportait à cette saga.
Je me dis également que c'est un cas d'école où la qualité de la narration visuelle ne palie pas le niveau du scénario.
Je confirme ton impression. Pire : ce n'est pas que je suis à deux doigts de regretter de m'être lancé dans ce dernier cycle, c'est que je le regrette sincèrement. Ça m'irrite même de penser que ces cinq tomes que j'ai lus auraient pu être ceux d'autres titres ou séries.
SupprimerFinalement, je rejoins le parti de ceux qui pensent qu'une série périclite au départ de son scénariste si celui-ci est très bon. Il y a sans doute une floppée d'exceptions à la règle, mais là le problème est que Charlier avait emmené "Blueberry" à des sommets que Giraud seul ne pouvait atteindre. Du coup, je m'interroge sur une autre série de western que j'affectionne : "Bouncer". Il me reste un dernier tome avec Jodo ; on verra si je lirai la suite, écrite par Boucq.
J'avais fait cette supposition sur le ton de la taquinerie.
SupprimerUne série périclite au départ de son scénariste si celui-ci est très bon : or on est souvent attiré par une série, ou captivé après l'avoir essayée, par son scénariste. Là, comme ça, tout de suite, il ne me vient qu'une seule exception en tête (et encore à confirmer parce que je n'en ai lu qu'un seul tome) : Léonard, repris par Zidrou.
Bouncer : si tant est que je reprenne un jour la lecture de cette série, ce sera pour Jodorowsky. Donc je ne lirai pas ceux après son départ.