Publié aux éditions Dargaud, en mars 2005, "Dust" est le vingt-huitième et dernier tome de "Blueberry" ; c'est un recueil de soixante-huit planches, à couverture cartonnée, au format 22,5 × 30,0 centimètres. Après "Arizona Love", "Blueberry" avait changé de titre une nouvelle fois, pour "Mister Blueberry" ; Dargaud, finalement, intégrera les épisodes de ce cycle-ci dans la série "classique", qui compte désormais vingt-huit numéros.
"Blueberry" est une série lancée par le scénariste belge Jean-Michel Charlier (1924-1989) et l'illustrateur français Jean "Gir" Giraud (1938-2012) dans "Pilote" en 1963. Giraud, depuis le décès de Charlier, préside seul aux destinées du titre. C'est son troisième volume réalisé en solo en tant que scénariste ; il produit également la partie graphique (les dessins et l'encrage). La mise en couleur a été confiée à Scarlett Smulkowski, enfin.
À l'issue du tome précédent, les Earp et les Clanton et McLaury se font face à l'OK Corral, enfin ; les premiers ne voient pas Hemrich en embuscade sur un toit avec un fusil dans leur dos.
Tombstone, le 26 octobre 1881 : John Campbell a décidé de quitter la ville. Tom Dorsey, directeur du "Tombstone Epitaph", tente de le raisonner : il a tort de partir maintenant, "c'est en train de devenir intéressant". L'écrivain est encore choqué à l'idée d'avoir "pris la vie d'un homme" même s'il est vrai qu'il a abattu Hon-le-Muet alors que celui-ci s'apprêtait à tirer dans le dos de Blueberry ; Campbell ne veut pas rester une seconde de plus "dans ce trou à rats". Dorsey s'étonne qu'il ne veuille pas assister à l'arrestation des Clanton, mais Campbell ne s'en soucie guère ; quant au jeune Parker, dont Dorsey s'enquiert, Campbell regrette qu'il se soit mis à boire, fumer, jurer, jouer aux cartes et se battre "comme un chiffonnier". Ce n'est plus "le jeune Parker" ; ce n'est plus le jeune homme qu'il a connu...
Lorsque dans la première case de la première planche, Tom Dorsey affirme à Campbell, qui veut quitter Tombstone, que "c'est en train de devenir intéressant", Giraud ne pense pas si bien dire : car effectivement, voilà cinq volumes que les lecteurs fidèles s'efforcent de rester accroché au cycle le plus ennuyeux d'une série mythique qui, selon toute vraisemblance, n'a plus rien à dire et qui se repose sur ses lauriers avec la bénédiction de l'éditeur. Giraud arrive enfin à la conclusion de son exercice. Dieu que le cheminement aura été long. En plus de la multitude d'intrigues, il y a aussi un problème de tonalité ; humour et légèreté sont systématiquement latents et quand le sérieux est de mise pour une séquence particulière, cela provoque comme un décalage dans l'atmosphère. Il y a encore cette liberté historique que prend Gir avec le règlement de comptes de Tombstone, qui peut perturber le lecteur. Par exemple, l'aspect politique de toute cette affaire, traité avec humour, est surprenant ; il vient se greffer à un nœud d'intrigues déjà très dense, malheureusement. Cela étant, tout n'est pas à jeter pour autant, dans "Dust". Les lecteurs pourront apprécier la caractérisation de Campbell, bouffon à l'appétit gargantuesque, antihéros par excellence, et figure de la civilisation bourgeoise de la côte est, qui finit pourtant par se faire violence et à accepter l'idée de mal nécessaire le temps d'un instant. Mais ce qui sauve le volet du naufrage, c'est surtout la conclusion du récit de la première rencontre entre Blueberry et Cochise ; la question indienne revient au centre de la série, le temps de quelques pages, même si le souffle épique des premiers volumes est absent. Giraud boucle la boucle : il clôt la carrière de Blueberry avec sa participation - en filigrane - à un événement légendaire de l'histoire de l'Ouest et il évoque les circonstances tragiques qui révélèrent le personnage et ses valeurs, tel qu'il apparaît dans le premier tome, à la veille de son arrivée à Fort Navajo.
Le changement de coloriste a un résultat positif sur la partie graphique : Smulkowski a succédé à Claire Champeval pour le meilleur, c'est-à-dire des tons plus naturels. Pour le reste, Giraud, qui a alors soixante-six ans, termine la série en pleine possession de ses moyens artistiques. Cela implique le soin apporté aux décors, extérieurs comme intérieurs (la chambre d'hôtel de Johnny Ringo), le sens de la composition (malgré le maniérisme de la figuration de la fusillade de l'OK Corral), la diversité des physionomies, la variété des cadrages et des perspectives. Une invraisemblance technique : comment diable Ringo a-t-il pu réussir à se peindre le dos ?
En dépit de quelques pages intéressantes, bon nombre de lecteurs fidèles pourront ressentir une réelle amertume à la fermeture de l'ultime recueil. Fallait-il vraiment ajouter un dernier cycle à "Blueberry" - surtout sans Charlier - après "Arizona Love" ?
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
Comment diable Ringo a-t-il pu réussir à se peindre le dos ? Quand j'arrive à remarquer ce genre de détails (ce n'est pas mon fort), je mets ça sur le compte de la licence artistique, pour avoir une image plus frappante, et je consens bien volontiers le petit supplément de suspension d'incrédulité nécessaire.
RépondreSupprimerUn problème de tonalité : pas facile à gérer d'entremêler harmonieusement sérieux et humour, pathos et respiration, sans que l'un ne neutralise l'autre, ou sans que l'un écrase l'autre. D'autant plus dans un récit de genre, car l'humour peut vite dégénérer en tournant en dérision les conventions de genre.
Je me demande si tu chercheras à lire d'autres séries illustrées par Gir/Moebius, ou si les qualités de cet artiste ne sont pas suffisantes pour que tu souhaites explorer son œuvre.
J'avais commencé "L'Incal", mais j'ai vite arrêté ; je n'ai pas réussi à me plonger dedans. En revanche, concernant la période ou la facette Moebius de l'artiste, il y a deux œuvres qui m'intéressent et que j'aimerais lire : "Les Yeux du chat", avec Jodo au scénario, et "Arzach", qui fut une petite révolution en son temps.
SupprimerLes yeux du chat : j'avais parcouru cette histoire, trop rapidement pour la savourer.
SupprimerArzach : je ne l'ai pas lu. Je suppose que cela doit s'apprécier pour partie en replaçant le récit dans le contexte de la BD de l'époque.