"Les Contes du septième souffle" est une série en quatre tomes parue chez Vents d'Ouest (Glénat) entre 2002 et 2006, dans la collection "Équinoxe" de l'éditeur grenoblois ; elle propose les transpositions de quatre contes européens emblématiques - dans l'ordre, "La Barbe bleue", "Blanche-Neige", "Pinocchio" et "Le Vaillant Petit Tailleur" - à l'époque d'Edo, au crépuscule du Japon féodal. "Ayatsuri" est le troisième volume. C'est un album format 24,0 × 32,0 centimètres à couverture cartonnée, qui comprend cinquante-quatre planches en couleurs au total.
"Ayatsuri" a été entièrement écrit par Éric Adam ; ce Louviérois est connu pour avoir scénarisé des recueils de "Lucky Luke", "Rantanplan" et "Marsupilami" et coécrit "Le Triangle secret : Hertz". Le dessin et l'encrage sont signés par Hugues Micol. Le Parisien avait déjà travaillé avec Adam, sur "D'Artagnan !". Il a été révélé par "Scalp" - un "one-shot" -, pour lequel il s'est vu attribuer le prix Töpffer international 2017. La mise en couleur a été composée par Ruby (Véronique Dorey), qui a collaboré avec : Frank Margerin, Nicolas de Crécy, Dupuy-Berberian, etc.
À l'issue du tome précédent, Katsuo se résout à sauver la vie à Daisuke et Shiro Yuki, parce que Daisuke lui doit un duel. Les samouraïs trouvent un champ isolé et s'y affrontent au katana.
Yukiko et Karayuka font une halte sur leur route ; ils doivent retrouver Daisuke à un sanctuaire. Alors que Karayuka examine l'étal d'un vendeur de rue, un vieillard l'interpelle en le prenant pour un "petit garçon". La méprise vexe le nain, et l'homme s'excuse. Karayuka s'éloigne en marmonnant puis rejoint Yukiko, assise à l'ombre. Il se plaint auprès de la jeune femme, car il a trente-sept ans, quand même ; Yukiko ne peut réprimer un sourire discret. Karayuka constate qu'ils ont tout ce qu'il leur faut pour continuer leur chemin ; ils reprennent donc la route...
Après "La Barbe bleue" dans "Aohige" et "Blanche-Neige" dans "Shiro Yuki", Adam adapte très librement "Les Aventures de Pinocchio" (1881), le roman pour enfants écrit par le Toscan Carlo Lorenzini (1826-1890). Le même traitement qu'aux deux contes précédents est appliqué : allègement de la trame et transposition à l'époque d'Edo. "Ayatsuri", en japonais, peut signifier "manipulation" ou "marionnette". La marionnette, ici, c'est l'être humain, qui semble prêt à accepter n'importe quel jugement de valeur, n'importe quelle rumeur comme une vérité quasi absolue, sans même avoir assisté aux événements, et sans prendre la peine d'analyser les faits objectivement, d'en questionner l'authenticité. Un mécanisme s'instaure alors - parfois par facilité, paresse intellectuelle ou par intérêt dans certains cas - qui colporte les mensonges de personnes souvent malveillantes. En procédant de la sorte, chacun se soumet ainsi au risque - inconsciemment la plupart du temps - de devenir un pantin dirigé par un marionnettiste, par un manipulateur. Or, dans ce Japon encore féodal, Adam évoque l'importance de l'honneur ; il souligne à quel point il est vital - de surcroît pour un samouraï - pour tenir sa place dignement dans la société. Mais l'honneur doit-il être au centre de tout ? Ne faut-il pas en repousser la tentation face à une situation où le plus grand nombre est menacé ? Au fond, le véritable honneur n'est-il pas dans le sacrifice de soi ? Autant d'interrogations auxquelles le lecteur se livrera, tout en accompagnant Daisuke dans ses dilemmes, sa tristesse, ses réflexions, et son choix, à propos du mystère qui entoure la mort de son père, l'ombre de celui-ci étant une autre thématique. L'ouvrage n'est pas uniquement bâti sur une invitation à l'introspection ; il est, à l'instar des précédents, généreux en action et en combats. Le texte est soigné, aucun dérapage stylistique. Adam cisèle aussi la structure de sa narration en utilisant des analepses pour réduire le poids de la linéarité.
Le lecteur retrouve dans les planches de Micol ce style visant à reproduire l'atmosphère des estampes japonaises. L'encrage est assez marqué, presque à la manière de touches de fusain. Une nouvelle fois, l'absence de figuration du mouvement peut s'avérer perturbante, voire gênante pour la compréhension des séquences de bataille, de combats au katana, ou de corps-à-corps ; mais cet effet ne dure guère. Le lecteur apprécie ce naturalisme qui fait aussi le charme de la série, notamment la scène de pêche, avec un joli découpage en gaufrier et celle de la découpe de la baleine, trop courte. La minutie prodiguée aux paysages est remarquable.
"Ayatsuri" est une réussite autant scénaristique que graphique : des trois premiers volumes, c'est indubitablement le plus abouti, mais aussi le plus émouvant. L'auteur choisit de préserver jusqu'au bout une partie du mystère autour du père de Daisuke.
Mon verdict : ★★★★★
Barbüz
Beaucoup de choses à piocher dans ce commentaire, et donc de particularités à apprécier dans cette BD.
RépondreSupprimerL'être humain, qui semble prêt à accepter n'importe quel jugement de valeur, n'importe quelle rumeur comme une vérité quasi absolue : un thème toujours d'actualité, tant et plus même avec les réseaux sociaux, leur fonction de caisse de résonnance, et l'art et la manière de tout monter en soufflé. Voilà une élégante manière d'interpréter le pantin de bois et la manifestation physique de son mensonge.
J'ai trouvé le paragraphe sur les dessins très enrichissant, avec une analyse très imagée : les estampes, l'absence de figuration du mouvement, la scène de pêche, tes formulations sont très parlantes.
Merci ! J'ai hésité entre quatre et cinq étoiles. Mais les passages émouvants de cet album ont fini par me convaincre de lui en attribuer cinq.
SupprimerIl me reste le dernier tome à lire, celui qui est inspiré du conte du "Vaillant Petit Tailleur", des frères Grimm ; j'espère bien qu'il me procurera autant de plaisir qu'avec celui-ci.