mardi 14 septembre 2021

"Le Banquier du Reich" : Tome 2 (Glénat ; septembre 2020)

"Le Banquier du Reich" est un diptyque de bande dessinée, dont ce recueil - qui n'a aucun titre, et ne porte que le numéro - est le second volume. Il est sorti en septembre 2020 chez Glénat. C'est un album relié à couverture cartonnée, format 240 × 320 millimètres. Il compte cinquante-six planches en couleurs. 
Le scénario est signé Pierre Boisserie et Philippe Guillaume. Auteur prolifique, Boisserie a écrit plus de soixante-dix albums. Il est connu principalement pour "La Banque", "Dantès", "La Croix de Cazenac", "Saint-Barthélemy" et "Philby". Guillaume est ou a été journaliste aux "Échos". Collaborateurs fidèles, Boisserie et lui avaient scénarisé ensemble "La Banque" et "Dantès". Cyrille Ternon (confer "Silien Melville", "La Conjuration des vengeurs", "Private Liberty" ou "Placerville") produit le dessin et l'encrage. Céline Labriet, enfin, a composé la mise en couleur. 

À l'issue du tome précédent, Hitler démet Schacht de ses fonctions de ministre de l'Économie et président de la Reichsbank. Lui et d'autres dignitaires projettent de faire chuter le Führer. 
Iran, Téhéran, 1952. Un chauffeur dépose Hjalmar Schacht à l'hôtel. L'économiste le remercie et lui donne l'ordre de passer le prendre le lendemain matin à l'heure habituelle. Il entre dans le bâtiment, et commande au réceptionniste un dîner pour 19h30 dans sa chambre ; l'employé acquiesce avec déférence. Schacht arrive à sa chambre. À peine a-t-il ôté son pardessus que le téléphone sonne. Il répond : c'est son épouse Manci qui vient aux nouvelles. Schacht lui raconte que la journée a été longue, mais fructueuse. Il a persuadé Mossadegh de renégocier à nouveau les contrats pétroliers avec les Américains et les Anglais ; ils y retournent demain. On frappe à sa porte. Il demande à Manci de patienter un instant ; cela doit être le dîner, il la reprend "tout de suite". Il pose le combiné sur la tablette... 

Suite et fin de ce diptyque consacré à Hjalmar Schacht (1877-1970). L'introduction ressemble fortement à celle du premier tome. C'est un artifice narratif pour ajouter un enjeu - et donc du suspense - et alléger la linéarité. Le lecteur suit Schacht en Asie, notamment en Inde. Tombé en disgrâce, il a décidé de partir en voyage. Lui qui a toujours réclamé que l'Allemagne récupère ses colonies perdues en 1918 prend alors toute la mesure de la puissance matérielle de l'Empire britannique ; une période d'introspection. Au retour une autre révélation l'attend : l'Allemagne prépare l'invasion de la Pologne. Le financier, naïf ou trop sûr de lui, pense pouvoir faire entendre raison à Hitler ; puis le lecteur assiste à la métamorphose de la mise à l'écart en surveillance rapprochée. Boisserie et Guillaume, ensuite, compressent leur narration ; trois planches pour 1940, deux pour 1941... Les auteurs font passer le temps rapidement, leur objectif étant de se focaliser sur les éléments-clés de la vie de Schacht. Pourtant, le lecteur n'éprouve pas le moindre sentiment de déséquilibre dans le récit. De toute façon, tout s'accélère : le complot du 20 juillet 1944 et l'internement à Ravensbrück - un mois et six jours - où il subit des interrogatoires. Lors de ses sorties, il aperçoit les prisonnières et voit la cheminée s'échapper des fours crématoires, apparemment sans comprendre ce qui se trame là. Les auteurs mettent en scène un dignitaire devenu ennemi du régime, qui connaîtra les geôles de la Gestapo, avant d'être transféré au camp de concentration de Flossenbürg. Il y a quelque chose de lugubre et de crépusculaire dans cette réunion de personnages déchus qui attendent la mort dans le froid. La libération de Schacht n'en est pas vraiment une, son calvaire continue au-delà de son jugement à Nuremberg. Le lecteur s'émeut difficilement de la condition de Schacht pour autant, car plusieurs informations l'obligent à relativiser (Ravensbrück, les pendaisons de Flossenbürg) ; à aucun moment, l'économiste n'est malmené physiquement et son discours et ses réparties cinglantes démontrent qu'il n'est aucunement diminué mentalement malgré toutes les épreuves subies. Le lecteur, enfin - et surtout s'il se documente -, ne pourra que s'interroger sur l'efficacité de cette gigantesque machine judiciaire qui fut déployée à Nuremberg. 
Le style réaliste de Ternon est parfaitement adapté à cette histoire. Son trait se caractérise par sa finesse, son élégance, son exactitude, et sa régularité. Son encrage consiste en de petits coups de crayon et touches de noir habilement répartis et par l'application de légères zones d'ombres probablement apportées par Labriet lors de sa mise en couleur. Le soin consacré à la représentation d'édifices connus est prodigieux : le Taj Mahal Palace, les temples de Kapalishvarar et de Mînâkshî, le camp de Ravensbrück et la maison d'arrêt de Nuremberg. La même remarque s'applique aux portraits de personnages historiques, aux uniformes et aux véhicules. L'expressivité n'est pas toujours convaincante. Enfin, la luminosité des paysages iraniens contraste avec l'atmosphère de fin de monde des derniers jours du Troisième Reich. 

Hjalmar Schacht, un génie de la banque et de l'économie qui a échoué en pensant contrôler le Troisième Reich par la finance : Boisserie, Guillaume et Ternon livrent là un diptyque intéressant, ainsi qu'une conclusion claire sur les intentions de Schacht. 

Mon verdict : ★★★★☆ 

Barbüz 

2 commentaires:

  1. Visiblement, les qualités présentes dans le premier tome le sont dans le second, à commencer par la représentation des édifices.

    Il aperçoit les prisonnières et voit la cheminée s'échapper des fours crématoires, apparemment sans comprendre ce qui se trame là. - Je me pose régulièrement la question de savoir si à l'époque l'existence et l'utilisation des fours crématoires tombaient sous le sens, comme une évidence pour le peuple allemand, ou si l'énormité de ces tueries de masse faisait que l'esprit du vulgum pecus ne pouvait même pas en avoir l'idée.

    Il y a quelque chose de lugubre et de crépusculaire // La luminosité des paysages iraniens : je suppose que même à plusieurs pages d'écart, l'effet doit être saisissant.

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  2. Les chambres à gaz n'ont été installées à Ravensbrück qu'en janvier 1945 ; or, Schacht avait déjà quitté le camp. En revanche, à voir toutes ces femmes maltraitées et molestées, il me paraît improbable qu'il n'est pas fait le lien avec les fours crématoires. L'article Wikipédia fait étant de trois mortes par jour en 1944 ("160 à 180 détenues périssent chaque mois"). Mais comme il l'exprime dans la BD : lui-même étant détenu, son empathie était limitée.

    C'est un bon diptyque, vraiment intéressant, et je suis très content de l'avoir lu. Si je souligne cela, c'est que j'ai longtemps hésité avant de l'acquérir et encore plus avant de le lire. J'ai surtout apprécié cette conclusion sur l'idéologie de Schacht.

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