Publié en mars 2018, "L'Échine du dragon" est le onzième tome de "Bouncer", série française de western créée et lancée par Alejandro Jodorowsky et François Boucq. Bien que Jodorowsky l'ait quittée au numéro précédent, elle est toujours en cours à ce jour. Boucq en assure désormais les scénarios en plus de la partie graphique. Les sept premiers recueils sont sortis chez Les Humanoïdes associés ; celui-ci et les suivants chez Glénat.
C'est Boucq qui écrit le scénario de cet ouvrage de soixante-dix-huit planches, donc ; le Lillois réalise les illustrations aussi. Grand prix 1998 de la ville d'Angoulême, il a travaillé notamment sur "Little Tulip", "Le Janitor", "XIII Mystery" et "Bouche du diable". Il produit la couleur avec son filleul, Alexandre Boucq.
À l'issue du tome précédent, la mère d'El Cuchillo prie le Bouncer de lui ramener son fils, mort ; celui-ci continue son trajet avec la comtesse. Yin-Li impose sa présence aux croque-morts.
Escortée par ses sbires, la carriole d'El Cuchillo - le bandit tient lui-même les rênes - file à une allure soutenue, provoquant une protestation d'Esperanza, qui tolère mal "toute cette poussière et cette chaleur insupportable" ; l'assassin la rassure en lui affirmant que dans quelques milles, ils auront atteint les canyons, où ils retrouveront la fraîcheur. Mais pour cela, il faut que Pepe Gonzalo, leur guide (qui est assis à côté d'El Cuchillo), émerge de son sommeil d'alcoolique. El Cuchillo l'insulte et le gifle afin de le réveiller : voici venu le moment où il va "mettre ses talents en pratique". Ils arrivent en effet au pied d'un imposant massif rocailleux particulièrement abrupt. El Cuchillo prévient la comtesse : qu'elle s'accroche, car cela "risque de chahuter". Gonzalo descend avec sa chèvre, commence à gravir un sentier, et invite le convoi à le suivre d'un geste du bras. Mais certains expriment de la méfiance à l'égard du "clochard"...
"L'Échine du dragon" présente en gros les mêmes défauts et qualités que "L'Or maudit", le premier volet de ce diptyque. Boucq écrit là un récit très linéaire du début à la fin, et ce malgré la division de son scénario en deux fils narratifs parallèles, le Bouncer et ses compagnons, El Cuchillo et sa bande. Du côté d'El Cuchillo, les hyènes commencent à s'entredévorer ; l'appât du gain n'est plus assez fort - ou au contraire peut-être l'est-il trop - pour que les rangs restent serrés. Une piste insuffisamment exploitée au goût de certains. Boucq a en général des idées intéressantes, dont par exemple une superbe utilisation de l'espace et du terrain ou le rôle et l'importance qu'il accorde au dernier Skull, qui intervient toujours au moment et à l'endroit où le lecteur s'y attend le moins ; mais la constance de Boucq varie au sujet des seconds rôles. Souvent, le sort que l'auteur a imaginé pour plusieurs d'entre eux décevra ; le lecteur espérait assurément autre chose de la participation du capitaine Ledrillant à cette expédition, entre autres, idem à propos de la comtesse Esperanza ; comme si cet endroit hostile devait non seulement les faire redevenir poussière, mais aussi les renvoyer à l'anonymat. Quoi qu'il en soit, l'inspiration de l'auteur n'est pas toujours à son meilleur : en témoigne la séquence avec la tribu d'Amérindiennes sauvages et castratrices, qui n'apporte vraiment rien à l'histoire, si ce n'est d'offrir à Boucq la possibilité d'atteindre son quota de scènes-chocs et provocantes. Pour finir, la non-utilisation des onomatopées (explosions, coups de feu) rend la compréhension de certaines scènes moins immédiate surtout lors des affrontements dans le désert. Mais c'est probablement cet épilogue qui surprendra sans doute le plus le lecteur, avec son accumulation d'événements heureux, qui ressemble fort à une conclusion finale, au "clap" de fin de la série. Cependant, il serait franchement étrange que Boucq n'ait choisi de continuer ce titre que pour un seul "petit" diptyque ; et puis, l'humanité de "Bouncer" étant ce qu'elle est, et le chaos, la sauvagerie, et la violence n'étant jamais éloignés de Barro City et de notre manchot, tout reste envisageable.
Le dessin, dans "Bouncer", est caractérisé par l'immensité de la nature et la figuration des grandes étendues de l'Ouest américain, mésas, forêts, etc. Dans "L'Échine du dragon", la notion de lieu étant particulièrement importante, Boucq pousse l'approche jusqu'à un point culminant. Ainsi, sur les soixante-dix-huit planches que compte l'album, la plupart se déroulent dans la zone de la fameuse échine : une courbe rocheuse, saillante, presque infranchissable, qui débouche sur un redoutable désert de sable blanc. Boucq met ce paysage en valeur en variant plans et perspectives, le représente de nuit comme de jour, révèle l'hostilité de ce site, et illustre à quel point il est difficile d'y parvenir. Pour le reste, la qualité est au rendez-vous grâce au talent et à l'expérience de l'artiste. Cela signifie - sans ordre distinctif - une densité de détails très satisfaisante, la diversité des physionomies (certes : beaucoup de protagonistes sont déjà présents dans "L'Or maudit"), des compositions soignées.
"L'Échine du dragon" est à l'image de "L'Or maudit", mais la fin résolument optimiste du diptyque - elle invite le Bouncer à la retraite - questionne aussi quant à l'avenir de la série, qui pourrait s'arrêter ici ; mais Dieu sait ce qui peut arriver à Barro City.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
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Il serait franchement étrange que Boucq n'ait choisi de continuer ce titre que pour un seul petit diptyque : ça me surprend moins que toi parce que ça reste une sacrée aventure de consacrer au moins 3 ans à un tel projet avec la certitude que tout le monde comparera le résultat au scénario de Jodorowsky.
RépondreSupprimerDu coup, je suis allé jeter un coup d’œil sur la page wikipedia de Boucq et j'ai pris conscience qu'il est scénariste depuis les années 1980.
La non-utilisation des onomatopées : je suis assez partagé sur ce choix. D'un côté, j'associe plus volontiers les onomatopées aux comics qu'à la BD franco-belge d'aventures (mais je me rends bien compte que c'est dans ma tête), avec des orfèvres en la matière comme Ken Bruzenak ou Dave Sim. En outre, ça fait plus naturaliste, une narration sans onomatopée. D'un autre côté, il n'y a pas beaucoup d'autres possibilités pour rendre compte du sens de l'ouïe sur une planche de papier.
La fin invite le Bouncer à la retraite : pourquoi pas, une alternative à des séries comme Blake & Mortimer où il y a maintenant plus d'albums réalisés par d'autres équipes que par EP Jacobs. Au débotté, je pense aussi à une série comme Algernon Woodcock où le départ du scénariste a mis fin prématurément à la série et qui ne me semble pas reprenable.
Quoi qu'il en soit, je vais suivre l'actualité de François Boucq pour savoir s'il va plancher sur un nouvel album de "Bouncer". De toute façon, malgré mon interprétation de la conclusion de ce diptyque, rien, absolument rien n'indique que le Bouncer prend sa retraite.
SupprimerGlénat a annoncé le tome 12 Hécatombe pour le 02/11/23.
Supprimerhttps://www.glenat.com/24x32-glenat-bd/bouncer-tome-12-9782344030141
Diantre, quel titre évocateur !
SupprimerMerci pour l'info ; je n'étais pas au courant.