Le onzième volume de l'intégrale que Panini Comics consacre à Captain America renferme les versions françaises - dans l'ordre - des numéros #201-214 de la série "Captain America and the Falcon" (de septembre 1976 à octobre 1977) et du "Captain America Annual" #4, de novembre 1977. Sorti en juillet 2021, cet ouvrage format 17,7 × 26,8 cm, avec couverture cartonnée et jaquette amovible, compte trois cents pages, plus ou moins, bonus inclus.
Les scénarios des numéros sont tous écrits par Jack Kirby (1917-1994). Il réalise aussi les dessins. Son travail est encré par Frank Giacoia (1924-1988), John Verpoorten (1940-1977), Mike Royer, Dan Green, ou John Tartaglione (1921-2003). Chez les coloristes, presque un nouveau chaque mois : Phil Rachelson, George Roussos (1915-2000), qui utilise aussi le pseudo Sam Kato, Hugh Paley, Janice Cohen, Michelle Wolfman, Petra Goldberg ou Glynis Wein.
À l'issue du tome précédent, Captain America arrête William Taurey sur ses terres, tandis qu'à Philadelphie la bombe aliénatrice cède aux assauts du Faucon et des commandos, et se désintègre.
New York, une nuit, dans un grand magasin de jouets : Frère Dickens, un petit homme trapu, assez âgé, au physique ingrat, peu soigné, habillé de hardes, examine des poupées aux effigies de Captain America et du Faucon. Il compte en apporter "aux frères et sœurs de Zero Street". Ce ne sont pas les vrais, bien sûr, mais elles devraient susciter l'enthousiasme. Car ils ont besoin d'eux et de leur "esprit perspicace", de leurs "muscles d'acier", et de leurs "réflexes fulgurants" qui les mènent à la victoire. Le Peuple de la nuit de Zero Street fera tout "pour avoir son propre superhéros". Quelqu'un l'interpelle, le temps passe vite, il faut qu'il se dépêche, qu'il se presse ! Frère Dickens répond qu'il arrive, glisse la figurine dans son sac d'un air satisfait : l'approvisionnement de cette nuit a été "un plaisir". Soudain, les lumières s'allument...
Le "King" boucle la boucle : il s'agit de ses ultimes numéros sur la série consacrée à un superhéros qu'il a cocréé. Mark Waid, dans sa préface, rappelle que le Cap tardif de Kirby ne répondait peut-être pas au canon Marvel de cette époque, et c'est sans doute vrai. Le premier arc semble en décalage avec ce que Marvel produisait alors, et le Night Flyer du dernier aurait pu tout aussi bien être un sbire de Darkseid dans "Le Quatrième Monde" ; ces créations, avant d'appartenir à Marvel, appartenaient - dans le sens artistique du terme - avant tout à Kirby. Mais Marvel ou pas, quelle importance, au fond, puisque ces épisodes sont assurément ce que "Captain America" a connu de meilleur depuis la grande période 1967-1969. Première surprise : Kirby met le Faucon en sourdine. L'auteur l'emploie pour lancer une intrigue ou comme deus ex machina, mais il est abonné - la plupart du temps - aux seconds rôles ; s'il retrouve le devant de la scène dans le dernier arc, les aventures qu'il vit de son côté sont parfois expédiées à coups d'ellipses (confer le #209). Kirby, ensuite, surprend par la diversité des arcs : un hôpital psychiatrique coincé dans une dimension parallèle et une menace pour la Terre, une entité du futur qui transforme un cadavre en monstre inarrêtable, un tyran sud-américain sadique pour qui la torture n'a pas de secret, un généticien aussi génial que malfaisant, et un assassin surdoué à la solde d'une mystérieuse organisation qui met le SHIELD sur les dents. Le lecteur se régale ainsi de science-fiction, d'histoire de monstres, se souvient que Cap n'est pas le héros à la bannière étoilée pour rien, découvre le mythe de Frankenstein à la Kirby (Arnim Zola et Victor Frankenstein sont suisses tous les deux), et savoure un récit mêlant complot, espionnage et infiltration. Enfin, chez Kirby il peut y avoir de la contemplation, mais pas de temps mort : ce déferlement d'imagination s'enchaîne donc sans pause, ce qui n'empêche pas Cap et Sharon Carter d'avoir des discussions délicates.
L'amateur du style Kirby cherchera rapidement à identifier l'encreur crédité ; malheureusement, Royer, l'un des grands encreurs du "King", n'intervient que dans quatre numéros seulement. Malgré le talent de Giacoia (il ne démérite aucunement), Green, Tartaglione, ou Verpoorten, le résultat n'est pas le même qu'avec un complice de longue date - surtout si celui-ci est particulièrement talentueux. Quoi qu'il en soit, l'énergie du trait et le fracas qui émanent des planches de Kirby sont bien présents, et cette uniformité graphique dont bénéficie "Captain America and the Falcon" au fil de ces numéros est un véritable plus. Enfin, en dépit des chaises musicales parmi les coloristes (sept pour quinze épisodes), leur travail est tout à fait louable et apporte l'intensité et les contrastes nécessaires aux compositions du dessinateur.
La traduction a été réalisée par Nick Meylaender, du studio MAKMA. Globalement, son travail est honorable, mais sa traduction est très littérale, parfois mot pour mot. "Sur-le-champ" s'écrit avec des traits d'union. Et enfin, notons deux bulles inversées.
Le "King" quitte l'une de ses séries par la grande porte en rendant à "Captain America" une superbe qu'il avait perdue depuis quelques années ; il laisse un Cap plus seul que les années précédentes, et prêt à lutter contre toutes les menaces imaginables.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
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N'ayant pas encore ouvert l'omnibus VO regroupant les épisodes de Kirby de cette période, j'ai quand même lu ton article.
RépondreSupprimerLe Cap tardif de Kirby ne répondait peut-être pas au canon Marvel de cette époque : ça ne m'étonne guère à la lecture de ses autres séries pour Marvel à la même époque. Eternals se déroule sans autre superhéros. Devil Dinosaur se déroule à une autre époque. Machine Man commence indépendamment de l'univers partagé Marvel. Black Panther reste isolé des autres superhéros.
Les péripéties que tu cites sont assez étonnantes.
L'énergie du trait et le fracas qui émanent des planches de Kirby sont bien présents : parfait, car c'est l'un des attraits majeurs pour moi.
Est-ce que je projette mon propre avis, ou est-ce que ton goût pour Jack Kirby va croissant ?
PS : ton lien "tome précédent" ne m'amène pas à l'intégrale 1976.
C'est bien vu ! Non, tu ne fais pas que projeter ton avis. Pendant longtemps, à force d'entendre parler de lui, Kirby m'avait déjà lassé avant que je ne découvre vraiment son œuvre. Je reconnais volontiers que ce j'avais vu de lui jusque-là ne m'avait pas bouleversé, et je lui ai préféré Colan un certain temps. Puisque je parle BD avec peu de monde et que je ne fréquente plus les forums ou les pages des éditeurs, j'ai été de moins en moins exposé aux louanges le concernant. Le déclic ? L'intégrale 1966 de "Fantastic Four", "Le Quatrième Monde", et "Kamandi", dans cet ordre-là. Aujourd'hui, même si je le mets moi-même sur un piédestal, j'ai comme un vague sentiment de frustration : ah, s'il avait toujours pu avoir un Mike Royer ou un Joe Sinnott comme encreur !... Mais qu'importe. Lire ses grandes œuvres m'est depuis apparu comme indispensable.
SupprimerMerci pour l'information à propos du lien (c'est corrigé).
Après Jack Kirby, mon défi a été de me confronter aux pages de Steve Ditko que j'ai trouvé beaucoup moins abordable... jusqu'à ce que je découvre ses histoires courtes pour Creepy. Une révélation.
Supprimerhttps://www.babelio.com/livres/Ditko-Creepy-Presents-Steve-Ditko/727394