samedi 11 décembre 2021

Monster (tome 8) : "Mon héros sans nom" (Kana ; avril 2003)

Publié en avril 2003 dans la collection "Big Kana" de l'éditeur Kana, "Mon héros sans nom" est le huitième numéro de la version française du manga seinen "Monster". C'est un ouvrage format 12,8 × 18,0 cm à couverture flexible, de quelque deux cent cinq planches en noir et blanc, qui se lit de droite à gauche. Au Japon, "Monster" fut publié en magazine de 1994 à 2001, puis édité en volumes reliés de 1995 à 2002. En France, "Monster" est sorti en dix-huit volets entre 2001 et 2005, réédités, entre 2010 et 2012, en une intégrale en neuf recueils, de deux tomes chacun. 
"Mon héros sans nom" a été (a priori) entièrement réalisé (scénario, dessins et encrage) par le Tokyoïte Naoki Urasawa, qui est également connu pour "Yawara !" ainsi que "20th Century Boys".

À l'issue du tome précédent, Dieter attend devant le domicile du Dr Leichwein. Tenma lui a ordonné de s'y rendre, car "il va le faire". En larmes, le gamin supplie Leichwein de l'en empêcher. 
Prison de Wellheim. Tandis que le dictaphone tourne encore, le docteur Gillen annonce au détenu qu'ils vont "en rester là pour aujourd'hui". Son interlocuteur le regrette, car ça allait "devenir vraiment intéressant". Gillen ne cède pas ; il pourra toujours raconter la suite à la prochaine séance. Mais l'autre insiste : l'histoire de la troisième fille qu'il a assassinée est "la meilleure" ! Selon lui, quel genre de cris a-t-elle poussés lorsqu'il l'a étranglée ? Qu'il devine donc ! Après que le meurtrier est emmené par les gardes, Gillen reste seul, assis à la table. Il se demande où Tenma peut bien se trouver. Il soupire et éteint son appareil. La porte s'ouvre à nouveau : c'est le commissaire Heinrich Runge, du Bundeskriminalamt. Il le "trouve enfin" ! Il présente sa carte à Gillen et s'installe face lui. Le médecin a entendu parler de lui. Il a arrêté plusieurs des prisonniers qu'il suit pour son étude. Runge, lui, affirme avoir lu l'ouvrage de Gillen, qui le remercie... 

Tenma a deux nouveaux alliés. Coïncidence ou pas, ils sont tous deux issus du corps médical, puisqu'il s'agit des docteurs Gillen et Leichwein. C'est donc parmi les siens que le Japonais obtient du renfort. Deux corps de métier se taillent une place de choix, dans "Monster" : les policiers et les médecins. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la première fois que Tenma a des alliés qui s'impliquent réellement dans "son" affaire ; sans doute le lecteur se souviendra-t-il de Jacob Maurer (voir "Surprise-Party"), ce journaliste attachant, assassiné comme beaucoup d'autres. Le lecteur se demande rapidement quel sera le prix qu'ils devront payer, car il y a peu de survivants, depuis "Herr Doktor Tenma". Tout le monde est sur place dans "Mon héros sans nom", Tenma, Johann, Nina, Runge, mais sans fatalement se croiser. Le volume est constitué de nombreux éléments et de thèmes et pas forcément des plus inspirés. La bluette entre Lotte Franck et Karl Neuman, qui débouche sur une histoire d'amitié inattendue. La sous-intrigue autour des enfants a pour unique intérêt de montrer que Johann ne semble avoir aucune limite dans sa volonté de propager le mal ; mais il n'empêche qu'elle est scabreuse. Le lecteur pensera peut-être que les familles, parents comme enfants, continuent à payer un lourd tribut à l'affaire. Urasawa emploie Johann un peu plus que dans les volumes précédents, et dévoile le premier défaut dans la cuirasse. Il en a donc au moins un, le lecteur est rassuré. L'auteur évoque à nouveau la place des immigrés dans la société allemande, ici, des Vietnamiens ; il est probable, encore une fois, qu'il ait été inspiré par les émeutes de Rostock. Le lecteur pourra ensuite s'amuser du sens de l'autodérision du scénariste lorsqu'il se moque (gentiment) de l'homme d'affaires japonais en sortie. Et en retrait, Tenma encore porteur de rédemption, qui sublime ceux qu'il croise. Enfin, le suspense diffusé par Urasawa est toujours aussi implacablement efficace malgré ce sentiment de dispersion. 
"Mon héros sans nom" brille par la variété des lieux, autant de défis pour l'artiste qui doit procéder aux recherches nécessaires afin de recréer une forme d'atmosphère propre aux endroits, le pénitencier, le café, la faculté universitaire, sa bibliothèque, le salon assez chargé de Hindenburg la Rouge, etc. Tout n'est pas abouti non plus, en témoignent la représentation de la clinique de fortune pour les immigrés vietnamiens et le bar à karaoké, assez neutres et peu fouillés dans leur figuration. Pour le reste, Urasawa pèche toujours par une certaine faiblesse dans la diversité des physionomies ; par exemple, l'un des tueurs interrogés par Gillen (le dernier) a le même regard - les mêmes yeux, et peut-être même la même partie supérieure du visage - que Robert/Roberto. Mais le lecteur se sera habitué à tout cela, sans doute.
La traduction est confiée à Thibaud Desbief ; c'est lui qui a traduit les dix-huit tomes. À moins d'être japonisant accompli, il sera impossible de comparer son travail au matériau d'origine. Le texte de Desbief est soigné ; aucun reproche n'est à formuler. 

Bien qu'Urasawa donne l'impression de multiplier les sous-intrigues, "Mon héros sans nom" est un volet riche en informations et d'un suspense diabolique. Cela étant, sa construction rappellera vraiment les volumes précédents, et ce à plus d'une reprise. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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4 commentaires:

  1. Le volume est constitué de nombreux éléments et de thèmes et pas forcément des plus inspirés. - Hou, ça fait mal comme remarque. :) Au-delà de cette boutade, je reste admiratif d'un créateur capable de penser son récit sur un aussi long terme et de le nourrir de manière variée pour parvenir à maintenir l'intérêt, avoir quelque chose à dire, l'articuler dans un projet narratif aussi ambitieux et au long terme.

    Le lecteur pensera peut-être que les familles, parents comme enfants, continuent à payer un lourd tribut à l'affaire. - Ta réflexion me fait me demander si Naoki Urasawa développe ces conséquences à long terme.

    La place des immigrés dans la société allemande, ici, des Vietnamiens : voilà qui me surprend toujours autant, c'est-à-dire la capacité de l'auteur à sortir de l'archipel nippon, à s'intéresser à des éléments historiques et sociaux de l'Europe.

    Le sens de l'autodérision du scénariste : inattendu et de nature à me faire apprécier un auteur.

    La variété des lieux, autant de défis pour l'artiste qui doit procéder aux recherches nécessaires afin de recréer une forme d'atmosphère propre à l'endroit : 100% d'accord.

    La représentation de la clinique de fortune pour les immigrés vietnamiens et le bar à karaoké assez peu fouillés : un exemple où l'artiste est en compétition avec lui-même. Il doit maintenir le niveau d'exigence qu'il s'est lui-même imposé.

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    1. Je ne cacherai pas que j'ai été surpris par la sous-intrigue scabreuse axée sur les enfants.

      "Les conséquences à long terme". En fait, elles ont déjà lieu, car Monster se déroule sur plus d'une dizaine d'années depuis le premier épisode. Le lecteur, surtout au début, a découvert les méfaits de Johann les uns après les autres.

      "La capacité de l'auteur à sortir de l'archipel nippon". C'est vrai. Pourquoi l'Allemagne, en fin de compte ? Je n'en sais rien, si ce n'est pour son passé peu glorieux.

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    2. Merci pour l'éclaircissement, car je crois que je n'avais pas intégré que le récit se déroule sur plus d'une dizaine d'années depuis le 1er tome.

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    3. Si tu as lu les premiers tomes, c'est peut-être une info que tu as oubliée. Je réalise que mes articles ne mentionnent pas ce point.

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