Cet album (format 19,0 × 28,5 cm, couverture cartonnée, cent vingt planches approximativement) a été publié par Urban Comics le 19 mai 2017 dans la collection "DC Deluxe" de l'éditeur. C'est le premier tome de la trilogie "Terre-un" consacrée au personnage de Wonder Woman ; il inclut la version française du "Wonder Woman: Earth One" #1, sorti en juin 2016 en VO. Les "Terre-un" sont des récits qui proposent une relecture moderne des icônes de DC Comics. En dehors de Wonder Woman, ce traitement a aussi été appliqué à Superman, Batman, Green Lantern et aux Teen Titans.
Le scénario de "Wonder Woman : Terre-un" a été écrit par Grant Morrison, un des scénaristes emblématiques de DC Comics de ces quinze dernières années ; son travail sur Batman (2006-2013) a fait date. Le Canadien Yanick Paquette réalise dessins et encrage. La mise en couleur est composée par Nathan Fairbairn, pour finir.
Hercule est hilare ; vêtu de la peau du lion de Némée, le corset qu'il a arraché à Hippolyte passé à sa ceinture, il tient en chaînes la reine des Amazones agenouillée devant lui, dans un enclos à cochons, sous les yeux des Amazones. Humiliée, Hippolyte implore Aphrodite. Elle la conjure de l'épargner et de lui accorder sa pitié. Du pied, Hercule lui plonge la tête dans la boue. Il lui ordonne d'obéir à son "seigneur et maître" et de montrer à ses sœurs prisonnières derrière des grilles comment elles devront se comporter à l'arrivée de ses soldats. Hippolyte supplie Aphrodite de lui donner de la force ; la déesse lui répond. Elle lui explique qu'Hercule n'est qu'un homme "de boue et d'os", "de sang et de fables" ; un mortel, que le corset qu'il lui a volé protège. Elle incite Hippolyte à récupérer l'objet à l'instant où Hercule reprend son souffle et l'encourage à ne plus perdre ce présent, car il lui appartient pour l'éternité. Hercule relève Hippolyte en la tirant par les cheveux ; dorénavant, ses enfants vivront et mourront selon la volonté de l'homme. Il la presse contre lui et lui ordonne de jouer son "rôle"...
Le projet de la Wonder Woman de la franchise "Terre-un" a suscité une controverse : initialement promis à Greg Rucka, il fut attribué à Morrison, finalement, résultant en une brouille - passagère - entre Rucka et DC Comics. Dans un entretien à Comic Book Resources, Morrison affirmait avoir voulu remettre le sexe - sans lubricité - au centre de l'univers de Wonder Woman, expliquant qu'il était intrinsèque à l'esprit des tout premiers numéros de la série. Il ajoutait que les ventes de "Wonder Woman" n'avaient jamais vraiment récupéré du départ de William Moulton Marston (1893-1947) à l'issue du #11 de décembre 1944. Selon Morrison, Wonder Woman est devenue, avec le temps, une "girl scout" représentant les femmes, mais sans sexualité et sonnant creux. Le propos étant posé, le résultat final pourra soulever le scepticisme du lecteur. Il est vrai que les Amazones de Paquette sont irrésistibles, naturellement belles, ont un regard de velours, un corps de déesse, et que certaines scènes laissent supposer des orgies. Mais cela étant ne va pas plus loin que le shorty taille basse de Wonder Woman, et ceux qui espèrent un peu de nudité, des baisers passionnés, ou plus en seront pour leurs frais, car il reste impossible d'outrepasser les limites forcément conservatrices d'une major nord-américaine, bien entendu. Morrison a-t-il été censuré ? Irréaliste : l'auteur connaît suffisamment les rouages de la maison pour ne pas tomber dans le piège. Il a donc certainement dû maîtriser ses propres ardeurs. Et qu'en est-il ? Le côté libidineux cité par Morrison est ténu ; ce n'est pas un exercice de style (on n'écrit plus de comics comme dans les années quarante) ; et Wonder Woman est privée de potentiel tragique et passerait presque pour une gamine capricieuse, malgré une ou deux tirades inspirées. Il ne reste là qu'un scénario d'origines rabâché, une scène amusante avec la nouvelle version de Steve Trevor, et l'humour potache "girly" d'Etta Candy. Digérons la semi-déception, et attendons la suite.
Paquette a composé des planches qui valent la lecture de cet ouvrage, à elles seules. Ses Amazones dégagent quelque chose de charnel, de sensuel. L'artiste a insufflé à chaque visage une expression appropriée en fonction de la scène ; ses Amazones ne sont jamais inexpressives. La densité de détails est très satisfaisante. Paquette a décoré l'île de Themyscira d'un mélange d'architecture antique et d'art nouveau ; il y a dans son travail une recherche de l'esthétisme que l'on retrouve jusque dans son quadrillage aux gouttières ornées et sophistiquées. Le découpage de l'action est limpide. La mise en couleur de Fairbairn, qui emploie des teintes chaudes et accentue ainsi les contrastes nécessaires, parachève la réussite de cette partie graphique, qui permet de compenser les faiblesses de la relecture conceptuelle de Morrison.
Ce premier tome a été traduit par le bédéaste et romancière Isabelle Bauthian. Son nom est peu connu des amateurs, mais le résultat est particulièrement convenable et son texte irréprochable, sauf sa tournure "au final", "grammaticalement fautive".
Désarçonnante - car diamétralement opposée aux visions sérieuses du personnage, telles que celles de Pérez ou de Rucka - cette vision se caractérise par une légèreté certaine, et la volonté de retrouver l'énergie des tout premiers numéros de la série.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
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Initialement promis à Greg Rucka : j'ignorais cette péripétie.
RépondreSupprimerSuperbe développement sur les pages de Paquette, avec lequel je suis entièrement d'accord.
Quant à l'approche de Morrison, je ne partage pas ton avis. Sur les mêmes bases, mon ressenti (très personnel) a été différent.
Au départ, j'ai également découvert un scénario d'origines : le scénariste se retrouve à raconter une nouvelle fois les origines de l’héroïne. C’est parti pour un mélange de mythologie grecque, de société vivant en autarcie dans une île inaccessible, d’architecture hellénique, de jeunes femmes immortelles en jupette, de technologie futuriste, et de découverte du monde patriarcal. Diana est une jeune femme (enfin tout est relatif, elle a quand même trois mille ans d’âge), et elle a décidé de désobéir à sa maman en participant à un tournoi qu’elle gagne facilement grâce à ses capacités physiques extraordinaires. En outre, Morrison & Paquette respectent l’esprit de la version d’origine, avec l’inclusion des éléments les plus décalés comme les kangas (les animaux de monte sur Paradise Island), l’avion-robot invisible, et les entraves sous forme de chaîne. De ce point de vue, la vision originelle et originale de William Moulton Marston (1893-1947) & H. G. Peter (1880-1958).
On n'écrit plus de comics comme dans les années quarante : je ne suis pas sûr d'avoir saisi ce que tu voulais dire par là. Il n'y avait pas de scène de sexe dans les premiers épisodes de Wonder Woman.
Ce qui m'a plu dans ce premier tome de la version de Morrison, c'est la caractérisation de Diana, presqu'une gamine capricieuse comme tu dis. Ce qui m'a parlé, c'est qu'il est également possible d'envisager l'histoire sous le jour d'une rébellion contre des coutumes figées : après son premier séjour dans le monde des hommes, elle doit revenir pour accepter le jugement de ses sœurs, puisqu’elle a brisé les traditions et la loi.
Et puis, le lectorat attendait Morrison au tournant sur la dimension féministe. J'ai trouvé qu'il s'en sort plutôt bien. Une société de femmes qui s’épanouit sans intervention de mâles, une femme violée qui étrangle son violeur, un homme (Steve Trevor) sauvée par une femme, une femme qui soulève un tank et tient une armée en respect, une jeune femme en surcharge pondérale à la bonne humeur inaltérable avec une assurance qui force le respect et qui remet tout le monde à sa place. Dans ce récit, les hommes sont à peine plus que des figurants, et pour Steve Trevor un vrai faire-valoir. Les auteurs prennent un malin plaisir à montrer Diana proposant à Steve Trevor de passer un collier en cuir comme signe de soumission.
http://www.brucetringale.com/fausse-naivete-wonder-woman-earth-one-volume-one/
Du coup je suis tombé sous le charme de cette jeune adulte (tout juste 3.000 ans) qui rue dans les brancards, qui pense par elle-même, qui ne prend pas tout pour argent comptant, qui fait preuve d’une forme d’ingénuité du fait de sa culture, mais aussi d’une grande force de caractère.
Je trouve intéressant que nous ne soyons pas du même avis.
SupprimerMorrison, dans son interview, utilise distinctement le mot "sex". Je pense qu'il s'agit d'ingrédients sexy, si tu veux une autre traduction. Mais lui emploie clairement ce mot, et je comprends cette utilisation, surtout après avoir relu l'article que Wikipedia consacre à Moulton Marston.
Les années quarante. Je trouve que la démarche de Morrison est vaine. À quoi bon vouloir retrouver l'esprit de la Wonder Woman des années quarante ; cela n'intéresse sans doute plus grand monde. Cela dit, il n'est vraiment pas tendre avec les autres lectures de la super-héroïne.
J'ai trouvé que son approche était ratée, qu'il décrédibilisait Diana, et tournait les Amazones en ridicule. Quant à la dimension féministe, à part la tirade sur la femme âgée à l'hôpital, j'ai trouvé le reste assez convenu et pas différent ou meilleur que ce que l'on trouve chez Pérez ou Rucka.
La seule trouvaille de Morrison, c'est cette attitude de gamine excitée, qui tranche vraiment avec les autres lectures. Mais c'est une caractérisation qui ne me parle pas plus que ça. J'ai eu comme l'impression de lire "Faith" à plus d'une reprise, et ce n'était pas ce que j'attendais.
À quoi bon vouloir retrouver l'esprit de la Wonder Woman des années quarante ? - Pendant plusieurs années, j'ai lu les posts de Noah Berlatsky sur son blog Hooded Utilitarian. Il avait une passion peu commune pour les épisodes de Wonder Woman réalisés par William Moulton Marston et par Harry George Peter. Ces articles m'ont fait considérer ces épisodes autrement : il en fait ressortir toute l'incongruité, la singularité par rapport aux autres comics de l'époque, que ce soit le mélange bizarre de SF et de panthéon grec, les femmes enchaînées, ou encore le modèle positif de cette héroïne pour les lectrices, et même les qualités des dessins (que je trouvais vraiment limités et disgracieux). Du coup, cette facette était présente dans mon esprit pour découvrir comment Morrison allait en respecter l'esprit, tout en sachant pertinemment qu'une partie significative du lectorat, ou au moins des critiques l'attendait de pied ferme sur le féminisme.
Supprimerhttps://www.hoodedutilitarian.com/?s=wonder+woman&submit=Search
Un exemple d'article, celui sur Wonder Woman #16 :
https://www.hoodedutilitarian.com/2009/09/bound-to-blog-wonder-woman-16/
"Les femmes enchaînées" : un argument de Morrison pour justifier la présence de l'élément sexe dans les épisodes de Wonder Woman. Mais tu souligne ce que je veux exprimer : à part quelques nostalgiques ou la volonté de faire un exercice de style, je ne vois pas l'intérêt d'en revenir en 2015-2016 à la Wonder Woman des années quarante. Bien évidemment, ce n'est que mon avis et il n'engage que moi.
SupprimerQuoi qu'il en soit, je continuerai à lire cette série, mais pour moi, Wonder Woman c'est avant tout Pérez et Rucka, peu m'importe si leur personnage s'est trop éloigné du moule imaginé par Moulton Marston pour Morrison.
Revenir en 2015-2016 à la Wonder Woman des années quarante : je pense que mon approche est déformée par ce qui fut qualifié un moment de méthode Byrne. Lorsqu'il avait repris les Fantastic Four, ou Hulk, ou Spider-Man, il annonçait toujours qu'il revenait aux fondamentaux du personnage, aux caractéristiques établies par leurs créateurs.
SupprimerDe même, comme toi si mes souvenirs sont bon, est arrivé dans ma vie de lecteur, un moment où j'ai voulu découvrir les débuts des personnages de référence comme Batman, Superman, ou Wonder Woman. Du coup à chaque nouvelle version des origines ou prise en main par un auteur de renom, je me demande comment il s'appropriera le personnage, ce qu'il conserve, ce qu'il laisse de côté, ce qu'il apporte.
Effectivement, c'est vrai que si Urban Comics proposait des intégrales comme celles de Panini, ça m'intéresserait beaucoup. Mais ça ne correspond pas à leur modèle éditorial.
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