Publié en mai 2004, par l'éditeur bruxellois Kana dans sa collection "Big Kana", "Cette nuit-là" est le quatorzième volume de la version française de "Monster", un manga seinen. C'est un ouvrage broché (dimensions 12,8 × 18,0 centimètres ; avec jaquette plastifiée amovible) d'environ deux cents planches en noir et blanc. Il se lit de droite à gauche. Au Japon, "Monster" fut publié en magazine de 1994 à 2001, puis réédité en volumes reliés de 1995 à 2002. En France, "Monster" est sorti en dix-huit recueils entre 2001 et 2005, réédités en une intégrale en neuf volumes - ils regroupent deux tomes chacun - entre 2010 et 2012.
"Cette nuit-là" a été entièrement (a priori) réalisé (scénario, dialogues, dessins et encrage) par le Tokyoïte Naoki Urasawa (né en 1960), qui est également connu pour "Yawara!" (de 1986 à 1993) ainsi que pour "20th Century Boys" (de 2000 à 2007).
Précédemment, dans "Monster", Runge rend visite à Verdeman. D'abord agacé, l'avocat est estomaqué lorsqu'il apprend que le policier a établi un lien entre Klaus Poppe et Franz Bonaparta. Il sait que son père et lui se voyaient à la Villa des roses.
Tandis que l'avocat Fritz Verdeman est assailli par des souvenirs d'enfance qui remontent à la surface, le commissaire Henrich Runge tente de rassurer son interlocuteur en se justifiant. Il souhaite seulement savoir qui est Franz Bonaparta. Mais le ton de Verdeman monte d'un cran. Il ne connaît pas "cet homme" ! De son côté, Runge reste d'un calme olympien. Il énumère les faits et les dates, implacable. Verdeman se défend avec agressivité, mais est inéluctablement poussé dans ses retranchements ; au bord de la crise de nerfs, il martèle que son père est innocent et que les affirmations du commissaire sont fausses. Celui-ci ne sourcille pas ; en partant, il invite calmement Verdeman à l'appeler au cas où il se déciderait à parler, et lui répète que le fait que son père ait été espion ou pas est sans importance à ses yeux. Seul Franz Bonaparta l'intéresse. Le juriste reprend à peine ses esprits qu'un collaborateur fait irruption dans son bureau : sa femme est au téléphone, elle appelle de la maternité...
Gunther Milch ne fait plus partie de l'équation, mais Urasawa continue à exploiter les tourments de Fritz Verdeman. Confronté aux fantômes de son passé et animé par un besoin viscéral de croire en une forme d'innocence, l'avocat va placer ses espoirs dans la naissance de son enfant, finalement. Comme la majorité des autres tomes, celui-ci comprend son lot de nouveaux personnages : ici, Jaromír Lipský et Martin Reest. Marionnettiste de rue, Lipský ne réussit pas à vivre de sa passion, ou plutôt, il ne parvient pas à insuffler suffisamment d'humanité dans son spectacle. Quoi de plus normal lorsque le traumatisme à l'origine du blocage de son talent remonte à une relation père-fils sans amour. L'enfance, toujours au centre de "Monster". L'autre c'est Martin Reest, un garde du corps aussi blasé que compétent, qui se voit confier la protection rapprochée d'Eva Heinemann par l'intermédiaire de Baby, ce triste sire que l'on retrouve pour la première fois depuis "L'Amie d'Ayşe" ; lui qui ne cherche pas les complications va être servi. Une nouvelle fois, le lecteur peut être légitimement amené à douter de l'utilité absolue des nouveaux personnages. Le second chapitre du livre est intitulé "Un voyage sans fin", et cela pourra correspondre à un certain état d'esprit du lecteur. Car bien que ce dernier tourne les pages avec fébrilité, il ne voit pas approcher la conclusion de "Monster", les révélations étant spectaculaires dans la forme, mais guère dans le fond : en d'autres mots, elles ont un impact sur la lecture et en accentuent le plaisir, mais les éléments permettant à l'enquête d'avancer vers l'aboutissement sont - délibérément ? - vagues ou anecdotiques. Le lecteur réalise néanmoins qu'il reste encore quatre tomes. Mais après une rapide réflexion, et même si les mécanismes narratifs ne le surprennent plus véritablement, en tout cas pas comme au début, il comprend aussi que ces personnages représentent autant d'existences directement ou indirectement (dommages collatéraux) affectées par cette terrible histoire, et qu'elles sont à l'origine de la richesse de "Monster" - tout autant que cette éblouissante maîtrise du suspense dont Urasawa fait preuve.
C'est avec plaisir que l'on retrouve ces visages dessinés d'un trait simple, mais qui n'en sont pas moins aisément identifiables - Tenma, Runge, le docteur Leichwein, Eva Heinemann, etc. - et non dénués d'expressivité ; rien qu'au fil des vingt premières pages, on perçoit la colère, la contrariété, la surprise puis la peur, la détermination, ou encore la résignation. Les postures, les attitudes... Tout est naturel. Le style d'Urasawa se distingue aussi par une lisibilité sans faille et un découpage parfaitement clair. Et puis, il y a cette incroyable transcription du détail, le bureau de Verdeman (la texture du tapis, celle du canapé), les véhicules, les pochettes de disques, dont "The Wizard of Oz" (Judy Garland), "A Love Supreme" (John Coltrane) ou "Keep On Pushing" (The Impressions), et les constructions diverses et tous les bâtiments.
La traduction est effectuée par Thibaud Desbief, qui est attitré à "Monster" depuis le tout premier tome. Un travail de qualité : texte impeccable, ni faute ni coquille.
Urasawa déroule sa narration selon la même recette, à savoir un équilibre abouti entre seconds rôles convaincants et gestion du suspense d'une efficacité redoutable ; bien qu'il soit conscient que cette formule se répète au gré des volumes depuis le début de cette intrigue à tiroirs, le lecteur ne pourra pas y résister longtemps.
Barbüz
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Kenzo Tenma, Dr Leichwein, Commissaire Heinrich Runge, Eva Heinemann, Martin Reest, Fritz Veldeman, Jaromír Lipský, Général Helmut Wolf, Johann, Nina, Naoki Urasawa, Kana
Une lecture de série qui avance à grand pas.
RépondreSupprimerAnimé par un besoin viscéral de croire en une forme d'innocence : mince, je crois que j'entretiens encore ce secret espoir en moi, de trouver chez les autres cette forme d'innocence.
Les révélations étant spectaculaires dans la forme, mais guère dans le fond : très intéressant comme analyse de la composition narrative et comme constat.
Ces personnages représentent autant d'existences affectées par cette terrible histoire, et qu'elles sont à l'origine de la richesse de Monster - tout autant que cette éblouissante maîtrise du suspense dont Urasawa fait preuve : très fort, à la fois pour la maîtrise d'une des conventions du genre (le suspense), à la fois pour la mise à profit des mécanismes du genre pour happer et émouvoir le lecteur avec les tragédies variées des personnages, et ainsi construire une vision holistique de l'impact de Monster, par de multiples facettes des conséquences et des répercussions, une belle mise à profit de la forme longue.
Cette incroyable transcription du détail : une qualité qui fait penser à un travail de décoriste, voire de plusieurs assistants décoristes.
Elle avance à grand pas, car j'ai pris la ferme décision de terminer "Monster" cette année, à raison d'un tome par mois. Je devrais donc avoir fini en septembre.
SupprimerCroire en l'innocence - C'est tout à ton honneur.
Les personnages - Une belle mise à profit de la forme longue, c'est vrai. Dans une certaine mesure, cela me rappelle "XIII", avec un fil conducteur fort et des tragédies variées, comme tu le soulignes. Le problème que j'ai avec les intrigues à tiroirs est qu'elles peuvent varier à l'infini, dans l'absolu. Et je suis partisan de la ligne la plus courte entre un point A et un point B ; déformation professionnelle dont j'ai un peu de mal à m'affranchir, sans doute.
Les décoristes - Je n'ai trouvé aucune information allant dans ce sens (j'ai quand même cherché un peu), mais c'est très probable.