vendredi 16 juin 2023

"Superman/Batman" : Tome 1 (Urban Comics ; janvier 2016)

Paru en janvier 2016, dans la collection "DC Classiques" d'Urban Comics, cet ouvrage est le premier de deux volumes consacrés au run de Jeph Loeb sur la série "Superman/Batman" (2003-2011), qui comprend vingt-six numéros, sortis entre octobre 2003 et juin 2006 en version originale. Il inclut les versions françaises des "Superman/Batman" #1-13 (jusqu'à octobre 2004) et de "When Clark Met Bruce: A Tale from the Days of Smallville" - un récit complet tiré du "Superman/Batman: Secret Files and Origins" (novembre 2003). C'est un album relié (couverture cartonnée) de dimensions 17,5 × 26,5 centimètres et d'environ deux cent quatre-vingt-dix planches en couleurs sans les couvertures. Le livre s'ouvre sur une préface d'une page et une présentation des protagonistes - une page chacune. Les #1-6 avaient déjà été publiés chez SEMIC : dans la collection SEMIC Books, en mars 2005 ("Superman/Batman : Tome 1"). Et les #8-13 chez Panini Comics : dans leur collection "DC Heroes", en octobre 2006 ("Supergirl : Tour de force")
Jeph Loeb écrit tous les numéros. Lui et son complice Tim Sale (1956-2022) auront produit plusieurs œuvres-cultes (dont "Un long Halloween" ou "Amère victoire"). Ed McGuinness dessine les six premiers numéros, encrés par Dexter Vines et mis en couleurs par Dave Stewart (le coloriste au dix Eisner entre 2003 et 2020). Le #7 a été dessiné par le Canadien Pat Lee, et encré et colorisé par son studio, Dreamwave Productions. Le deuxième arc a été dessiné et encré par Michael Turner (1971-2008), et Peter Steigerwald se charge de la mise en couleurs. Le complément est dessiné et encré par Tim Sale, et mis en couleurs par Mark Chiarello

Superman et Batman se remémorent chacun de leur côté les évènements qui ont fait d'eux ce qu'ils sont devenus, le voyage dans l'espace d'un nourrisson recueilli par des fermiers du Kansas et une sortie au cinéma qui s'achève sur un double meurtre dans une ruelle sombre de Gotham City. Plus tard, Superman patrouille dans les cieux de Metropolis : un incendie s'est déclaré au siège de S.T.A.R. Labs. Supes intervient sans tarder, mais il est renvoyé aussi sec dans le décor par un crochet du droit surpuissant... 

Deux arcs composent cet album, un premier avec Lex Luthor, un second avec Supergirl et Darkseid. Dans un premier temps, le lecteur adopte rapidement la narration, construite en partie sur des parallèles entre les soliloques de Superman et de Batman : ils soulignent les divergences de leur schéma de pensée autant que leurs points communs. Le résultat est d'abord captivant, même si leur fréquence réduit la fluidité de la lecture. Tout en insistant sur leurs différences, Loeb rend les deux hommes solidaires et soudés comme jamais et évoque le respect mutuel entre eux. Au fond c'est une histoire d'amitié, mais une amitié que l'auteur soumet à l'épreuve à double reprise sous la forme d'ennemis de taille, Luthor - alors président des États-Unis d'Amérique - et Darkseid le despote. Dans le premier arc, Loeb s'attaque aux symboles que constituent le président et la Maison-Blanche ; s'il sous-entend que le leader d'une nation peut être malfaisant, en déduire que George W. Bush (l'invasion militaire de l'Irak fut lancée en mars 2003) est visé serait hâtif. Quant à la Maison-Blanche, les fictions dans lesquelles elle est ciblée sont pléthoriques. Plus que l'ampleur de la menace, c'est le traitement de l'intrigue et son rythme et son énergie qui font le charme du premier arc - sans oublier les invités de marque, héros ou vilains. L'humour est présent, l'émotion aussi, avec un sacrifice plein de noblesse, mais la conclusion ne s'encombre pas de vraisemblance : un robot géant conçu par un garçon de treize ans et construit en soixante-douze heures ! Supergirl est au centre du second arc : un grain de sable dans la relation de confiance profonde, sincère, mais fragile entre Superman et Batman. Loeb y évoque le sentiment de solitude ressenti par le Kryptonien. C'est une histoire spectaculaire qui propose des rebondissements bien pensés, et dont la tonalité générale sombre et dramatique tranche avec que celle du premier arc. Elle est aussi moins rafraîchissante : l'astuce des invités-surprises fonctionne moins (normal), et l'effet de la narration (qui oppose toujours des soliloques en parallèle) s'essouffle ; il pourra engendrer une certaine lassitude au fil des pages. 
La partie graphique n'est pas homogène, mais chaque arc l'est. Le lecteur se régalera d'abord du coup de crayon dynamique, énergique et moderne de McGuinness. Ses musculatures sont outrancières, mais il les combine avec des rondeurs qui trahissent l'influence du cartoon. L'expressivité est d'un excellent niveau, son découpage est limpide et l'artiste néglige rarement le détail (exemple : les traces de coups sur le visage de Superman) ; dommage qu'il n'ait pas dessiné le #7. Turner propose un style radicalement différent, plus acéré, voire tendu, aux arêtes marquées. Ses silhouettes sont stéréotypées : héros musclés et athlétiques, héroïnes ultrasexuées dans des proportions idéalisées par le culte du corps. Mais l'artiste réussit des compositions stupéfiantes (par exemple, le visage de Mamie Bonheur déformé par la colère). 
La traduction a été effectuée par Edmond Tourriol, du studio Makma. Elle est impeccable : absolument rien à redire. En outre, le texte est soigné, ni faute ni coquille.

Ces deux arcs convaincants - oublions ce #7 superflu - mettent en scène Superman et Batman dans des aventures d'ampleur, tout en revenant sur ce qui les différencie et ce qui les unit ; c'est souvent passionnant, parfois brillant malgré la partie graphique hétérogène et la lassitude que pourra engendrer le texte des cartouches. 

Mon verdict : ★★★★☆ 

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz 

Superman, Batman, Supergirl, Wonder Woman, JSA, Lex Luthor, Darkseid, Jeph Loeb, Ed McGuinness, Dexter Vines, Michael Turner, Urban Comics, DC Comics

2 commentaires:

  1. Je garde un bon souvenir de ces épisodes.

    En cherchant sur amazon, j'ai retrouvé mes commentaires de 2009 (!), très concis à l'époque.

    Pour la 1ère partie, je relevais la même chose que toi pour le dénouement :

    Ce tome est un excellent point d'entrée pour ceux qui ne connaissent pas bien les personnages, et c'est également une lecture très divertissante pour tous les types de lecteurs. Ce qui empêche ce recueil de recevoir sa cinquième étoile est que le dénouement de l'histoire est complètement artificiel et laisse le lecteur plutôt insatisfait.

    Pour l'histoire illustrée par Michael Turner :

    Michael Turner est un artiste relativement rare et décédé à un jeune âge (37 ans), qui a réalisé beaucoup de couvertures mémorables, mais peu de comics entier. Il a une préférence marquée pour le style au détriment des proportions (mais il n'est pas le seul). Si vous pouvez surmonter les impossibilités anatomiques, vous apprécierez comme moi son interprétation très jeune fille en fleur de Supergirl, la force herculéenne de Superman, le design irrésistible des gadgets de Batman et la féminité altière de Wonder Woman. Ses dessins exsudent une énergie incroyable et presque féerique. La jeunesse de Kara est encore accentuée par ses grands yeux de biche. Seule sa vision de Darkseid ne m'a pas entièrement convaincu.

    Autant le tome précédent était une réussite incontestable, autant celui-ci est entaché de plusieurs imperfections scénaristiques. Jeph Loeb a choisi de faire de Darkseid et de ses Female Furies les méchants de l'histoire. Sa vision de Darkseid est assez simpliste et bas du front : elle ferait honte à Jack Kirby son créateur car le lecteur ne peut pas croire un seul instant qu'il se laisserait abuser par la ruse finale. Si vous êtes un lecteur qui ne connait pas Darkseid, il vous apparaîtra comme un méchant assez générique, avec des illusions de grandeur inexplicables. Malgré tout ce tome est agréable à lire car Jeph Loeb n'oublie pas quelques clins d’œil à des recoins chargés d'histoire de l'univers DC : Harbinger (à l'époque historienne de Themyscira) ou les Female Furies. Et le caractère de Kara, ainsi que l'attachement protecteur presque paternel de Superman rendent leurs relations complexes et irrésistibles.

    Alors oubliez Matrix, Linda Danvers et Cir-El et accueillez comme il se doit le retour de Kara et sa personnalité piquante.

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    1. On n'a peut-être pas la même perception de la seconde histoire. J'ai bien aimé son Darkseid, justement, son arrogance, sa confiance en soi inébranlable, sa force brute et son absence totale de pitié lorsqu'il dérouille Batman. Mais tu as sans doute raison lorsque tu affirmes qu'il ne se serait pas laissé abuser.

      J'aurais pu écrire que plus personne aujourd'hui - à part Jim Lee ? - ne dessinait comme Turner et qu'il ne fallait pas forcément s'en plaindre. Je trouve que certaines planches piquent aux yeux. Mais je pense que ce type de style à la Image Comics fait des émules encore aujourd'hui (hélas ?).

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