mardi 20 juin 2023

Monster (tome 15) : "La Porte de la mémoire" (Kana ; juillet 2004)

Publié en juillet 2004 chez l'éditeur Kana dans la collection "Big Kana", "La Porte de la mémoire" est le quinzième volume de la version française de "Monster", un manga seinen. C'est un ouvrage broché - dimensions 12,8 × 18,0 centimètres ; avec jaquette plastifiée amovible - d'environ deux cents planches en noir et blanc. Il se lit de droite à gauche. Au Japon, "Monster" fut publié en magazine de 1994 à 2001, puis réédité en volumes reliés, de 1995 à 2002. En France, "Monster" est sorti en dix-huit recueils entre 2001 et 2005, réédités en une intégrale en neuf volumes - ils regroupent deux tomes chacun - entre 2010 et 2012. 
"La Porte de la mémoire" a été - a priori - entièrement réalisé (scénario, dessins et encrage) par le Tokyoïte Naoki Urasawa (né en 1960), qui est également connu pour "Yawara!" (de 1986 à 1993) ainsi que pour "20th Century Boys" (de 2000 à 2007). 

Précédemment, dans "Monster" : Grièvement blessé par une balle dans le ventre, Martin est transporté en voiture par son ami, qui le conduit chez le docteur Tenma et demande comment il a pu en arriver là, mais Martin est perdu dans ses pensées. 
Retour en arrière. Le Stern's, un diner aussi anonyme qu'ordinaire. Robby, le patron (l'ami de Martin), lui demande ce qu'il peut lui servir. "Comme d'habitude", répond Martin. Robby ne sait pas de quoi il parle. Martin lui reproche de ne pas faire d'effort. Il désire "un hamburger, double cheese, beaucoup de ketchup, avec des tranches de tomates bien épaisses" ; et sans cornichons - ou il "tue" Robby. Robby se demande bien comment il pourrait retenir "un truc pareil". Martin aperçoit alors un autre client, de l'autre côté du comptoir (Tenma, qui boit un café). Robby indique que le type - un Chinois ou un Vietnamien, il ne s'en souvient pas - s'intéresse à Martin. Il ajoute que l'homme vient souvent ces derniers temps, et qu'il a demandé où trouver Martin. Martin s'enquiert de ce que Robby lui a raconté. Robby a avoué qu'ils étaient "des potes de cellule". Martin est découragé, Robby parle trop. Celui-ci veut le rassurer : qu'il ne s'inquiète pas, il n'a pas précisé que Martin avait "fait de la taule pour meurtre"... 

Quel tome surprenant ! Noir, violent et avec une bonne dose de désespoir, à l'instar des deux ou trois volumes précédents, peut-être même plus. Le lecteur est d'abord estomaqué par l'introduction. Tenma aura tout vécu : la disgrâce, les accusations, la traque, la fuite, l'arrestation, la prison... Là, voilà qu'il se fait méchamment rouer de coups. Il subit de volet en volet, tel un prophète que personne ne veut entendre, et en qui seule une petite minorité a une confiance inébranlable. En dépit de cela il tient le cap, obsédé par son objectif. Toujours bienveillant, jamais sujet à la petitesse ou la rancune. Encore irréprochable moralement (pour l'instant), il continue à faire ressortir le meilleur de tous les gens qu'il croise. Y compris Martin, dont les quatre premiers chapitres se focalisent sur la vérité sordide derrière son secret. Autre point important, qui est la preuve que la saga arrive lentement, mais sûrement à sa fin, le retour de plusieurs seconds rôles, malgré l'absence du commissaire Heinrich Runge : les docteurs Leichwein et Gillen (celui-ci n'avait plus été vu depuis le neuvième tome : "Un monstre sans nom") et l'inspecteur Suk. Autre fil qui laisse entrevoir l'approche du dénouement, le résultat du travail de Nina sur elle-même pour recouvrer la mémoire : ses effets sont pour le moins aussi inattendus que spectaculaires ! Enfin, Urasawa continue à appliquer sa méthodologie narrative habituelle : en témoigne le neuvième chapitre, dans lequel un nouveau personnage secondaire entre en scène. Un énième tiroir est ouvert à la fin, sur une ambiance d'auberge espagnole et de naïveté bienheureuse presque insouciante qui tranche avec le reste du recueil. C'est à la fois un peu déconcertant - parce qu'il en émerge une sensation de déjà-vu (cela rappellera à la fois les quatrième et huitième tomes, respectivement "L'Amie d'Ayşe" et "Mon héros sans nom") - et un peu agaçant. Quoi qu'il en soit, après quinze numéros, l'auteur maîtrise encore l'effet de surprise suffisamment pour parvenir à empêcher une éventuelle lassitude de se faire ressentir chez le lecteur. Mais bien que le cliffhanger soit imparable, la liste de projets d'assassinat devient longue. 
La première image est celle de la devanture du diner, le Stern's. Cartons sur le côté, places de parking maculées de taches d'huile, horloge, menu affiché sur la vitre à côté de l'entrée... : cette densité de détail en une seule case rappelle que "Monster" est une série où les décors sont traités avec minutie. Par exemple : les sucriers et la forme et la taille des tasses à café du diner, les véhicules, bâtiments, et accessoires. A contrario, il est étrange de noter que l'artiste recourt à l'astuce de la surface plane pour représenter les motifs à carreaux d'un vêtement. Concernant les personnages, tout est dans l'expressivité, dans la lignée des recueils précédents ; notons le rictus de mépris de Martin lorsqu'il rosse Tenma ou le regard froid de Čapek. Les lignes de mouvement et les onomatopées apportent de la vie aux scènes d'action. 
La traduction est effectuée par Thibaud Desbief - qui est attitré à "Monster" depuis le tout premier volet. Un travail de qualité : texte impeccable, ni faute ni coquille.

Dans "La Porte de la mémoire", les évènements se précipitent à trois tomes du dénouement de la saga. Maintenant que Nina a recouvré la mémoire, le lecteur pourrait s'attendre à ce que les éléments s'emboîtent les uns dans les autres ; ce serait oublier l'imagination d'Urasawa, qui n'a pas fini d'inventer des intrigues secondaires. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Kenzo Tenma, Martin Reest, Eva Heinemann, Dr Leichwein, Dr Rudy Gillen, Fritz Veldeman, Milan Kolas, Peter Čapek, Johann, Nina, Naoki Urasawa, Kana

5 commentaires:

  1. Déjà le quinzième tome : belle progression également, avec une nette accélération depuis le début de cette année.

    Quel tome surprenant ! - Un début de paragraphe de commentaire très fort à mes yeux : il a fallu que tu sois vraiment étonné pour que ce soit la réflexion que tu aies choisie pour ouvrir ainsi ton analyse.

    Je trouve que ça t'a d'ailleurs inspiré pour ton commentaire où je trouve une majorité d'éléments nouveaux, à commencer par le personnage de Tenma :

    Tenma subit de volet en volet, tel un prophète que personne ne veut entendre [...] Toujours bienveillant, jamais sujet à la petitesse ou la rancune. Encore irréprochable moralement. (cette dernière remarque me fait me demander s'il va tenir le choc jusqu'au bout : tu as réussi à introduire du suspense dans ta série de critiques).

    La suite de ton analyse m'incite à te poser une question technique. Tu références plusieurs tomes précédents pour l'apparition des personnages (9ème tome pour Gillen), mais aussi pour des procédés d'écriture (cela rappellera à la fois les quatrième et huitième tomes). Tu arrives à faire ça de mémoire ? Tu vas consulter les tomes précédents, ou tu as établi un relevé tome après tome ?

    Les sucriers et la forme et la taille des tasses à café : excellent, tout à fait le genre de détails qui donnent plus de saveur à la narration visuelle, et qui me saute aux yeux quand l'artiste y prête une telle attention.

    Surface plane pour représenter les motifs à carreaux d'un vêtement : voici une technique, un code visuel, qui ne fait pas sens pour moi. Je m'interroge dessus à chaque fois que je le vois dans une BD car il me saute aux yeux. Je présume qu'il s'agit d'une convention visuelle, tout en ne comprenant pas son utilisation tellement ça jure par rapport au reste de la case.

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  2. Pour notre prochain article commun, la liste que tu proposes serait la suivante (sauf si j'en ai oublié dans un commentaire)

    - La Passion des anabaptistes : je suis partant.
    - Lone Wolf & Cub 2 : je suis partant.
    - Dracula omnibus 1 : effectivement je l'ai déjà lu et chroniqué en VO.
    - Blame! : mon objectif est de lire l'intégrale de Lone Wolf & Cub avant de commencer une autre série manga.
    - Cartland : c'eut été avant grand plaisir, mais indisponible à ce jour.
    - Je, François Villon : volontiers car ça me sort de ma zone d'exploration.
    - Nez-de-Cuir : il y a déjà beaucoup de Jean Dufaux sur mon site.
    - Jesuit Joe et autres récits : une proposition très alléchante, car je n'ai jamais commenté d'Hugo Pratt, et je ne m'y aventurerait pas tout seul.
    - L'anneau du Nibelung, de Roy Thomas & Gil Kane : mon appétence pour les dessins de Kane n'est pas suffisante pour vaincre ma réticence à relire du Thomas en mode fainéant dans ses adaptations où il se contente de recopier des pavés du texte originel.
    - Motörhead, de Irwin Mark & Calcano David : je suis allé jeter un coup d’œil aux pages présentées, et elles ne m'attirent pas du tout (même si je sais bien que l'impression de lecture peut se révéler très différente).
    - Bernard Prince, par Greg & Hermann : pas d'intérêt particulier de ma part
    - Comanche, par Greg & Hermann : non, mais allo quoi ! Finalement tu serais prêt à commencer une autre série western... Pourquoi pas.
    - Les compagnons du crépuscule, de François Bourgeon : je ne m'y attendais pas. Je suis allé jeter un coup d’œil aux premières pages du premier tome : ça fait daté. Je pense que je ne l'ai jamais lu. Je suis partant.
    - Jhen : j'y ai pensé, mais sans oser te le proposer. Avec grand plaisir car tout seul, je ne m'en sens pas le courage.

    N'hésite pas à rectifier si j'en ai oublié.
    J'attends ton choix.

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    1. Une nette accélération - Oui, car comme tu le sais, je tiens absolument à finir cette saga cette année, idéalement au troisième trimestre. Il me reste trois tomes à lire, donc a priori ça devrait coller.

      Les apparitions des personnages - Non, je n'arrive pas à faire ça de mémoire, en tout cas rarement, ou il faut qu'il y en ait moins. Je consulte fréquemment mes articles précédents.

      Merci de tes encouragements, car comme tu le sais, il n'est pas évident de ne pas se répéter lorsque l'on écrit article après article sur une série relativement longue (ici, dix-huit tomes ; ce n'est pas rien).

      Prochain article commun - Dans le cadre de recherches, j'ai récemment visionné une interview d'Olivier Ledroit. Le bonhomme me plaît, j'aime sa franchise et sa modestie. Il y a quelque chose d'éminemment sympathique et doux qui se dégage de lui. Conséquence de cela, "Wika" vient de faire un gros bon en avant. Tu l'as déjà en album ? On en reparle.

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    2. Wika est dans ma pile de lecteur. Tu l'as feuilleté ?

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    3. Je n'en ai vu que quelques images sur Bédéthèque. Je vais le feuilleter en librairie ce week-end, si je le trouve.

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