Intitulé "Divinity II", cet ouvrage est le deuxième tome d'un triptyque du même nom paru en version française entre mai 2016 et septembre 2017, avant d'être réédité en une intégrale en un seul volume en novembre 2019 ; il inclut les versions françaises des quatre numéros de "Divinity II", sortis chez Valiant entre avril et juillet 2016. Publié chez Bliss Comics en février 2017, ce recueil (de dimensions 17,5 × 26,5 centimètres, relié, couverture cartonnée) compte environ quatre-vingt-dix planches, avec en bonus : seize planches montrant l'évolution d'une étape à l'autre - crayonnés, encrage, et mise en couleurs - dont quatre annotées par le scénariste, quatre par le coloriste, quatre - dont une double - par le lettreur de la version originale et quatre par le dessinateur. Suivent neuf variantes de couvertures et, enfin, encore trois planches qui montrent l'évolution entre crayonnés et encrage.
Comme "Divinity", "Divinity II" a été intégralement écrit par Matt Kindt. Connu surtout pour son travail sur "Rai", "Ninjak" ou "X-O Manowar", trois séries Valiant, cet auteur l'est aussi pour son triptyque "Mind MGMT". Le Britannique Trevor Hairsine a réalisé les crayonnés ; ses planches ont été encrées par Ryan Winn. Et pour finir, c'est David Baron qui a composé la mise en couleurs.
Précédemment, dans "Divinity" : Avec l'aide de GIN-GR, Livewire, Ninjak et X-O Manowar parviennent à neutraliser Adam Abrams en l'emprisonnant dans une sphère, que le GATE enterre à cinq mille mètres de profondeur, dans un de ses centres secrets.
Années cinquante, en URSS. Moscou est sous la neige. Dans une rue sinistre et déserte, une jeune fille vêtue de hardes fouille le conteneur poubelle d'un immeuble. Elle en retire le cadavre d'un rat. L'animal est déjà attaqué par les asticots. Elle les ôte avec soin avant de croquer à pleines dents. Une ombre et un gloussement la surprennent ; derrière elle se tient un inconnu, vêtu d'un long manteau élégant et d'une écharpe rouge, coiffé d'un feutre-mou, qui l'observe à travers les verres de ses lunettes rondes. Il semble admirer l'obstination de la jeune fille. La surnommant "petite souris", il lui propose "un repas chaud" et "un bon lit"...
Kindt étant probablement soucieux d'éviter la répétition, la facette science-fiction exploratoire est moins développée que dans le premier tome. L'auteur joue la carte des contrastes : il l'explique lui-même, dans ses commentaires en bonus. Il imagine un affrontement entre idéologies par l'intermédiaire de ses personnages. Il souligne le fait que dans le système communiste, le devoir que chaque citoyen a envers l'État passera avant ses sentiments personnels. Exemple : le docteur Volkov voit d'abord sa fille adoptive comme un cobaye ou un instrument. Réduire "Divinity II" à un comic book anticommuniste serait néanmoins restrictif ; il s'agit aussi d'une réflexion sur la survivance des idéologies aux épreuves du temps et la réécriture continue de l'histoire. Les deux personnages sont Adam Abrams et Valentina Volkov alias Michka, les autres n'ont que de petits rôles. Le lecteur l'avait vu dans le premier volet, Adam est animé par de bonnes intentions. Bien que parfois choquants, ses actes s'articulent autour des rêves les plus secrets et des aspirations profondes de chacun d'entre afin de les réaliser. C'est donc une forme d'individualisme. Michka est à l'exact opposé : sa vision de la vie est motivée par l'aboutissement d'un État construit sur une idéologie, et de là par la prétendue "supériorité de la cause", sous-entendu sur l'individu. Elle n'a qu'un objectif, faire triompher le communisme et l'État collectiviste au détriment du reste. Kindt présente encore deux autres idées intéressantes : primo, rien ne peut arrêter les grands changements politiques ou sociaux lorsqu'ils sont en marche, secundo (c'est un lien de cause à effet), le triomphe et la chute d'une idéologie se produisent rarement sans bouleversements. C'est intelligent, bien construit, parfois passionnant, mais les troisième et quatrième chapitres (et surtout le quatrième) sont pollués par des dialogues longuets, pompeux, et verbeux, qui donnent une lourdeur soudaine à une linéarité imperceptible jusque-là. Cet agacement reste fugace toutefois : comme il n'est ressenti qu'à la toute fin de l'ouvrage, il n'a ni la place ni le temps de se métamorphoser en un ennui qui s'installerait de façon durable.
Le lecteur se sera certainement accoutumé au trait sec de Hairsine à l'issue du premier volume. Le registre est moderne et réaliste. Le trait fin et élégant est rehaussé de beaux aplats de noir, dont le rendu sur les portraits est imparable, mais les finitions, bien que satisfaisantes dans l'ensemble, manquent parfois de profondeur, voire de caractère. Le dessinateur a suffisamment de talent et de métier pour réussir son dosage de détail : ainsi, les arrière-plans ou décors de certaines cases font illusion avec évidence, alors qu'il est flagrant qu'ils ont été rationalisés dans d'autres. Comme dans "Divinity", les planches les plus abouties sont sans aucun doute celles qui se déroulent dans l'espace, mais cet album compte également son lot de compositions surprenantes : des blindés russes en pièces détachées, le livre du temps, etc.
La traduction est de Stéphane Le Troëdec. Une faute d'orthographe, une de mode, une incohérence "tu"/"vous". La graphie française aurait été "Michka", pas "Myshka".
Voici un deuxième numéro qui comprend des ingrédients très similaires au premier, avec en plus, en fil conducteur, une réflexion sur les affrontements idéologiques et les bouleversements qui en résultent. Il y a des idées intéressantes. La lourdeur de certains dialogues ne parvient pas à restreindre le plaisir ressenti à la lecture.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
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Guerre froide, Conquête spatiale, Conflit idéologique, Divinity, Valentina "Michka" Volkova, Matt Kindt, Trevor Hairsine, Ryan Winn, David Baron, Valiant, Bliss Comics
Yes, Matt Kindt !!! Oui, j'ai un petit faible pour ce scénariste. Avec Divinity, il s'investit à mi-chemin des épisodes de Ninjak, et de ses productions dont il garde la propriété intellectuelle.
RépondreSupprimerJe n'ai à aucun moment envisagé Divinity II comme un comics anticommuniste, mais au contraire une volonté de comprendre comment ce régime pouvait être apprécié des citoyens.
Ton analyse met bien en lumière en quoi l'objectif de Matt Kindt se situe à des hauteurs inaccoutumées pour un comics de superhéros : la survivance des idéologies aux épreuves du temps, la réécriture continue de l'histoire, rien ne peut arrêter les grands changements politiques ou sociaux lorsqu'ils sont en marche, le triomphe et la chute d'une idéologie se produisent rarement sans bouleversements. - Il y a du level, comme dirait ma fille. Une ambition peu commune, y compris dans la BD franco-belge.
J'ajouterais à ces aspects le fait que Kindt évoque rapidement une horreur engendrée par d'autres régimes politiques, comme les manifestations de la Place Tian'anmen (1989), les actes de sabotage sur les champs de puits de pétrole en Arabie Saoudite, les échauffourées le long de la frontière entre la Californie et le Mexique. Son propos n'est pas de réaliser une analyse politique à charge, mais de montrer qu'il n'existe pas de régime politique sans défaut, sans exaction commise à l'encontre d'une autre population ou d'une partie de sa propre population.
De même, j'ai beaucoup aimé le fait que Trevor Hairsine ne reproduise pas à l'identique les constructions de page du tome 1, que Kindt se servent de l'affrontement physique qui devient alors l'expression matérielle d'un affrontement plus philosophique qu'idéologique.
L'interventionnisme de Valentina Volkov est remis en question au regard de la nature de l'humanité. L'auteur interroge la figure du héros puissant salvateur, imposant un ordre des choses issu de ses convictions. Au travers de cette fiction, Valentina Volkov incarne un individu dirigiste ayant la capacité de s'imposer comme chef de l'humanité et de mettre en pratique un changement réel et significatif. Elle devient l'incarnation d'un homme politique à poigne, volontariste et habité par une envie de bien faire, imposant sa solution à l'ensemble de l'humanité. le lecteur peut y voir une critique de l'image du meneur politique dépeint comme un héros par les médias, de l'individu qui va rétablir un ordre (moral ou policier) plus strict et qui va mener la nation (ou ici l'humanité) vers un avenir meilleur, par la contrainte s'il le faut. À sa manière, l'auteur se livre à une déconstruction de la notion de héros montrant en quoi cette forme de pouvoir ne correspond pas (ou peut-être plus) aux peuples.
https://www.babelio.com/livres/Kindt-Divinity-tome-2/899892/critiques/1613761
Celui-là, j'ai finalement décidé d'en continuer la lecture ; merci le dernier tome de l'X-O Manowar de 2017-2019. Il y a une référence à Divinity : c'est ça qui a relancé mon intérêt pour le titre.
SupprimerJ'ai avant tout considéré "Divinity II" comme une volonté de dénoncer les idéologies d'État ; ici, le communisme, mais ça aurait tout aussi bien pu être le nazisme. Les auteurs insistent beaucoup sur le conflit entre idéologies dans les bonus, et je ne pouvais pas ignorer cela. De là ce que j'écris sur individualisme contre communisme.
Une ambition peu commune, y compris dans la BD franco-belge. - C'est très vrai, et je pense que c'est à cause de la nature des personnages. Avec un "Divinity" ou un "X-O Manowar", tu peux envisager des histoires cosmiques avec des implications délirantes. Pas avec un simple détective ou autre. Dans les comics, tout est plus grand que nature. Dans la franco-belge, tout est à niveau d'homme, même si cela peut produire des bouleversements socio-économiques.
Il y a une case qui m'a scotché. Dans le premier chapitre, on voit des chars ukrainiens, drapeaux au vent, qui foncent contre l'ennemi russe. Vu l'actualité en ce jour et depuis plus d'un an, j'ai trouvé ça dingue. Ça m'a surtout rappelé que la guerre russo-ukrainienne ne date pas de février 2022, mais de février 2014.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_russo-ukrainienne
Le troisième et dernier tome ne devrait pas trop tarder.