jeudi 12 octobre 2023

Punisher : "Soviet" (Panini Comics ; août 2020)

Intitulé "Soviet", cet ouvrage est sorti en août 2020 chez Panini Comics France, dans la collection "100% Marvel" de l'éditeur ; au sommaire de la publication, la version française de l'intégralité de "Punisher: Soviet", une minisérie en six numéros, parue entre janvier et mai 2020 en version originale. Il s'agit ici d'un album relié (avec une couverture cartonnée), de dimensions 17,7 × 26,7 centimètres. Ce livre compte cent-vingt planches exactement (en version originale, les fascicules en comprennent chacun vingt) ainsi que cinq pages de bonus (avec sept variantes de couvertures) et de courtes bios des deux auteurs : Ennis et Burrows. 
La minisérie est intégralement écrite par l'Américano-Britannique Garth Ennis ; sa partie graphie est réalisée par Jacen Burrows (pour les crayonnés) et l'Espagnol Guillermo Ortego (pour l'encrage). La mise en couleurs est élaborée par Nolan Woodard. Ennis et Burrows ont déjà bossé ensemble à deux reprises : sur "Chronicles of Wormwood" (2006-2007) et "Crossed" (2008-2010). 

New York City, Brooklyn, à Sheepshead Bay, de nos jours, en plein hiver ; le Punisher inspecte le sous-sol d'un bâtiment. Le néon projette sa lumière crue sur cinq cadavres d'hommes, tous abattus à l'arme à feu ; le justicier se demande qui se cache derrière ce carnage. Il procède à une analyse de la scène : endroit et moment ont été bien choisis et l'opération semble avoir été menée rapidement. Aucun témoin. Le calibre utilisé est du 7,62 millimètres, Castle penche donc pour un AK. La majorité des balles ont atteint leur cible, ce qui implique une maîtrise supérieure de l'arme. Personne n'a eu le temps de dégainer. Castle est admiratif, mais le massacre augure de nouveaux problèmes, car cela faisait quelques mois qu'il surveillait ce gang de la Solntsevskaïa. Plus tard, Castle a rendez-vous avec un indicateur, un inspecteur du NYPD ; ils sont installés dans la voiture de ce dernier, stationnée dans un endroit désaffecté des docks. Le policier se livre à quelques confidences à propos de l'ascension des Russes. Leurs sbires acceptaient de faire "tout un tas de merdes" que les autres refusaient, cela leur a permis de "bouffer" d'autres territoires... 

Ennis, après "La Section", revient à nouveau sur ce personnage qu'il aura durablement marqué de son empreinte. Mais alors : quel choc ! Une chose est sûre : s'il fallait encore le confirmer, il y a le Punisher d'Ennis et celui des autres. La cible du justicier ? La bratva. Cas rarissime ici : il n'opère pas seul. Son camarade de circonstance, Valery Stepanovich, est plus qu'un reflet lointain, c'est un frère jumeau découvert tardivement. Tout les rapproche en restant différent, la guerre, le drame familial et la croisade. Physiquement marqué, Valery est moins massif. Il a plus d'humour. Le Punisher est né au Viêt Nam, son homologue russe en Afghanistan. Ennis lui offre des origines de première classe qui retourneront les âmes sensibles, tant la sauvagerie et la cruauté y sont débridées - mais qui sont sans doute peu éloignées de la vérité, en témoigne la mort de Mohammad Najibullah (1947-1996). Valery raconte sa guerre sans filtre, le dégoût de l'ennemi, l'inorganisation soviétique, le fossé entre l'état-major et le terrain, la corruption et la trahison. Ces thèmes, récurrents chez Ennis, apparaissaient déjà dans "La Section". Évidemment, le lecteur se prendra à espérer un peu follement le début d'une amitié virile entre les deux justiciers ; mais Ennis n'est-il pas Ennis ? Par Valery, l'auteur rappelle qu'être un scénariste de premier plan implique un talent supérieur pour créer et animer des personnages secondaires. Si les grandes lignes de ce scénario sont rudimentaires, il comporte des finesses et des surprises totalement inattendues, auxquelles s'ajoutent les dialogues remarquables de naturel et les caractérisations qui sonnent juste. Trois bémols - mineurs. Primo : Castle approchant les soixante-dix ans, tout cela est-il encore plausible ? Les arcanes de la continuité... Secundo, Zinaïda Sebrovna pourra être considérée comme une Mary-Sue tant elle est clairvoyante, intelligente, lucide et planificatrice entre autres talents. Tertio : la syntaxe d'Ennis pèche parfois par d'un abus d'ellipse, le lecteur restera attentif sous peine de laisser le sens d'une phrase lui échapper. Formidable, prégnant, ce nouvel opus du Punisher est phénoménal. Un bijou de noirceur. 
Ennis sait choisir ses artistes : Burrows ne fait pas exception. Son style appartient au registre réaliste. Son trait est fin, net, précis et régulier ; il présente des finitions de qualité. La densité de détail est satisfaisante ; cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y a pas d'arrière-plans réduits à une simple couche de couleur. Les expressions faciales et le langage corporel sont bien retranscrits, dans l'ensemble. L'artiste s'est de toute évidence documenté sur les appareils soviétiques (avions, hélicoptères et blindés) ; il est probable qu'il les ait travaillés à l'ordinateur. La mise en page est classique et le découpage clair. Une pleine page provoquera jubilation et jouissance : la planche 15 du dernier numéro. Par son "Espèce de sale petit planqué de merde", Castle y exprime tout le mépris insondable qu'il ressent. Elle est inoubliable. 
La traduction a été effectuée par Jérémy Manesse, un ténor du métier. Elle est impeccable, il n'y a absolument rien à redire. Le texte est soigné : ni faute ni coquille.

Ennis signe avec "Soviet" une page aussi crépusculaire que brutale, cruelle et sauvage sur un duo de guerriers que rien ne prédisposait à travailler ensemble au départ. Au-delà des concepts de rédemption ou de catharsis, Ennis narre le destin d'une figure sacrificielle pour qui Castle ira au bout, en promesse à son frère d'armes. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Punisher, Frank Castle, Valery Stepanovich, Konstantin Pronchenko, Zinaïda Sebrovna, Garth Ennis, Jacen Burrows, Guillermo Ortego, Nolan Woodard, Marvel

4 commentaires:

  1. Il y a le Punisher d'Ennis et celui des autres : je n'aurais pas su mieux le formuler.

    Ses grandes lignes de ce scénario sont rudimentaires : entièrement d'accord également.
    La syntaxe d'Ennis pèche parfois par d'un abus d'ellipse : en VO, c'est parfois un défi, et parfois une évidence, en fonction du contexte et des expressions familières.

    Petite déception de mon côté, que Goran Parlov n'ait pas été au rendez-vous, mais Burrows se montre à la hauteur, ayant été à bonne école avec le niveau d'exigence légendaire des scénarios d'Alan Moore pour Providence.

    Garth Ennis écrit plus en retenue que d'habitude, ce qui donne encore plus de force aux horreurs, avec un regard personnel sur le monde qui nourrit ce récit de genre.

    https://www.babelio.com/livres/Ennis-Punisher-Soviet-tome-1/1187570/critiques/2375961

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    1. Ennis et les autres - C'est à la suite de mes échanges avec toi qu'est venue cette remarque.

      Parlov - Ah, ça m'aurait terriblement plu de le retrouver, mais Burrows est très bon. Je ne sais pas si Ennis a souhaité travailler avec quelqu'un d'autres que Parlov, histoire de changer un peu. Tu as des infos, là-dessus ?

      La retenue - C'est sûr qu'on est loin de ce qu'il écrivait il y a une quinzaine d'années, et je ne m'en plains pas.

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    2. Il me semblait avoir lu que Goran Parlov était indisponible pour des raisons de santé, mais peut-être que ma mémoire me trompe.

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    3. Ah. En effet, l'article Wikipédia qui lui est consacré n'indique aucune production depuis 2019 alors qu'il a été mis à jour il y a moins d'un mois.

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