Intitulé "La Section", cet album est paru en juin 2018 chez Panini Comics France, dans la collection "100% Marvel" de l'éditeur. Au sommaire de cette publication, la version française de l'intégralité de "Punisher MAX: The Platoon", une minisérie en six numéros parue, en version originale, entre décembre 2017 et avril 2018. "La Section" est un album relié (avec une couverture cartonnée), de dimensions 17,7 × 26,7 centimètres. Le recueil comprend cent-vingt planches exactement (les numéros de la version originale en comptent vingt), ainsi que quatre pages de bonus (des variantes de couvertures) et de courtes biographies des auteurs.
La minisérie a été intégralement écrite par l'Américano-Britannique Garth Ennis. La partie graphie (les dessins et l'encrage) a été réalisée par le Croate Gorlan Parlov. La mise en couleurs a été élaborée par l'Américaine Jordie Bellaire. Ennis et Parlov ont déjà travaillé ensemble sur "The Punisher" (le volume 7, tomes huit, dix, douze, et treize), série dont ils firent les beaux jours.
Michael Goodwin, auteur de "Valley Forge, Valley Forge : Le Massacre d'une garnison de Marines et la naissance du Punisher", est installé dans un bar, quelque part aux États-Unis. Il partage sa table avec quatre vétérans de la guerre du Viêt Nam, en costume-cravate : des survivants de la quatrième section, compagnie Kilo, troisième bataillon du vingt-sixième régiment de Marines - soit les premières troupes commandées par Frank Castle. L'écrivain leur explique le grand thème de son livre : "les gosses qui se sont engagés ont quitté une Amérique innocente", et en ont retrouvé "une différente à leur retour" ; ils ont ramené "un sentiment de perte avec eux" et ne seront plus jamais les mêmes. L'auteur avoue aux vétérans qu'il a besoin d'aide pour valider son hypothèse, et se lance dans une banale tirade pour remercier Molland, celui d'entre eux qui a organisé la rencontre, lorsqu'il est interrompu par Capa, l'un des quatre camarades, qui a déjà entendu son nom, sans se souvenir du contexte. Goodwin parle de son bouquin ; Capa réagit et l'écrivain demande son avis : "pas mal". Mais Fish, lui, a entendu parler de passages "très durs", horrifiques...
Ennis revient au personnage qu'il avait animé durant des années. Ici, il a l'idée d'aller encore plus loin dans les origines du justicier, de creuser davantage les raisons de sa croisade. En bon biographe, Goodwin (Ennis) pose ses questions - tel un journaliste d'investigation - à ceux qui l'ont connu. Castle était-il déjà un tueur avant le Viêt Nam ? La réponse est plus originale dans la forme que dans le fond. Le récit est prenant, car bâti sur trois fils narratifs : un actuel, avec Goodwin et les vétérans, deux d'époque, le côté nord-américain et le vietnamien. L'ensemble fonctionne comme un mécanisme de questions-réponses et d'écho parfaitement articulé et équilibré qui maintient l'intérêt du lecteur en éveil. Maintenant, le fond. Une cinquantaine d'années se sont écoulées depuis que ces vétérans ont vu Castle pour la dernière fois. Le lecteur peut supposer que ces hommes, bien qu'en bonne santé apparente, n'ont pas une mémoire infaillible, surtout après un demi-siècle. Il s'interrogerait alors sur la part de vérité et sur celle de légende. Mais les ex-Marines sont quatre pour recouper les informations, et même s'ils étaient parfois seuls lors des événements narrés, il n'y a là aucune ambiguïté, aucun flou n'est entretenu, c'est l'approche factuelle qui prime. Cela n'empêche pas que cet antépisode captivant établit un lien solide avec "Born". Mais Ennis ne se contente pas d'analyser Castle par le biais d'une discussion entre écrivain et camarades de régiment : il revient aussi sur le conflit lui-même et sur la façon dont il était mené d'un côté et de l'autre. Par une succession d'anecdotes formant un ensemble cohérent, le lecteur découvre ou redécouvre la corruption, la bureaucratie, l'inefficacité ("on a largué cinq tonnes d'explosifs pour un Viet"), le laisser-aller, côté nord-américain, la rage de vaincre et l'aveuglement dogmatique, côté vietcong, bien que le colonel Letrong Giap - assurément inspiré de Võ Nguyên Giap (1911-2013) - soit posé et clairvoyant. Ennis présente deux visions de la guerre aux antipodes : guerre industrielle et guerre patriotique, chacune dans son outrance. Maîtrise de la narration, action, rebondissements, et rythme font le reste.
L'amateur du volume 7 de la franchise se délectera des planches de Parlov, dont le style n'a pas fondamentalement évolué depuis "Valley Forge, Valley Forge". Son trait est un brin plus réaliste : il n'exagère plus certains aspects anatomiques. La densité de détail des arrière-plans est très satisfaisante, le lecteur ne fronce pas le sourcil devant un fond de case simplement uni. Très cinématographique, la mise en page consiste en trois à six bandes horizontales, encadrées par des gouttières noires. Il est rare qu'une bande contienne plus d'une vignette ; parfois deux - cela ne se produit qu'une dizaine de fois. Parlov ne lésine par sur les pleines pages. Notons la diversité des physionomies (sœur Ly Quang est néanmoins trop jolie pour être vraisemblable), l'expressivité des visages, et ce découpage d'une limpidité à toute épreuve.
La traduction a été effectuée par Mathieu Auverdin. Son texte est clair. En revanche, l'expression "au final" est considérée comme étant grammaticalement incorrecte.
Une minisérie rythmée, captivante, spectaculaire, non dénuée d'humour, qui incite à la réflexion sur la nature du conflit vietnamien ; que demander de plus ? Certains choix de "La Section" ne feront pas l'unanimité, mais le doute s'estompera rapidement devant la qualité de la narration et le plaisir de retrouver Ennis et Parlov.
Mon verdict : ★★★★★
Barbüz
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Punisher, Frank Castle, Colonel Letrong Giap, Sœur Ly Quang, Michael Goodwin, Garth Ennis, Goran Parlov, Jordie Bellaire, Marvel Comics, Panini Comics
5 étoiles : voilà qui fait plaisir à découvrir… parce que ça me conforte dans mon avis. D'un autre côté, c'est imparable puisque que tu avais également attribué 5 étoiles à Valley Forge, Valley Forge.
RépondreSupprimerEnnis revient au personnage qu'il avait animé durant des années : et j'ai sauté dessus dès le TPB paru. J'espère qu'il pourra mener à bien la minisérie pour la 2ème période de service qu'il annonce en fin de tome.
Ennis revient aussi sur le conflit lui-même et sur la façon dont il était mené d'un côté et de l'autre : presqu'une première dans une série de Castle que de voir le côté vietnamien de façon pragmatique.
On a largué cinq tonnes d'explosifs pour un Viet : une remarque qui m'a également marqué.
Entièrement d'accord avec ton analyse de l'art de Parlov : il fait montre d'un art du dosage incroyable.
Mon article sur Bruce Lit :
https://www.brucetringale.com/il-ny-a-jamais-eu-de-bonne-guerre-ni-de-mauvaise-paix-punisher-the-platoon/
Pour tout t'avouer, j'ai un tout petit peu forcé la note, qui, pour moi, est de quatre étoiles et demie. Mais le symbole de la demi-étoile n'existant pas en code Alt et comme j'ai véritablement pris plaisir à lire cette "Section", j'ai arrondi, bien que je le trouve artistiquement moins poussé que "Valley Forge" ; je crois qu'Ennis ne réfléchit pas en ces termes, d'ailleurs, mais peu importe.
SupprimerA contrario, j'estime qu'il s'agit de l'un de ces récits les plus maîtrisés, bien loin des scories et de la violence gratuite et des dérapages sous la ceinture que l'on peut trouver dans ses premiers arcs de la septième saison de la franchise. Je trouve que c'est dans "La Section" que se reflètent tout le métier et toute l'expérience d'Ennis, d'un scénariste arrivé à "l'âge mûr" en pleine possession de son talent.