vendredi 10 novembre 2023

"Mike Carey présente Hellblazer" : Volume I (Urban Comics ; octobre 2017)

Publié en octobre 2017, dans la collection "Vertigo Signatures" d'Urban Comics, ce volume est le premier d'un triptyque consacré au run de Mike Carey sur "Hellblazer". Resté trois ans et demi sur ce titre, Carey écrivit un total de quarante-deux numéros ainsi que le roman graphique "All His Engines", tous sortis entre septembre 2002 et février 2006. Au sommaire du volume : les versions françaises des "Hellblazer" #175-188 (de septembre 2002 à novembre 2003). Il s'agit d'un volume relié (de dimensions 19,0 × 28,5 centimètres, couverture cartonnée) d'approximativement trois cent huit planches (sans les couvertures), toutes en couleurs. 
C'est donc le Britannique Mike Carey (entre autres : "Lucifer", "The Unwritten""The Sandman Presents") qui a écrit les scénarios des quatorze numéros. Marcelo Frusin reste le dessinateur principal. D'autres noms contribuent à hauteur d'un ou deux épisodes, Steve Dillon (1962-2016), Jock, Lee Bermejo et Doug Alexander Gregory. Ces trois derniers ont encré leurs planches eux-mêmes ; l'encreur Jimmy Palmiotti est chargé des crayonnés de Dillon. Enfin, Lee Loughridge a composé toutes les mises en couleurs. 

Liverpool, par un ciel grisâtre. En provenance d'Ellesmere Port, Constantine débarque d'un bateau-éboueur. Le marin propose de le faire déposer "quelque part" en camion. Constantine refuse poliment ; il va "profiter de l'air frais". Il remonte les quais à pied et marche jusqu'à Everton Valley. Pendant ce temps, dans une cité maussade, un homme entre deux âges attache soigneusement une corde à la rampe de l'escalier de l'immeuble où il vit : par-dessus puis par-dessous. Il a bossé sur les docks, il est "capable de faire un putain de nœud". Pourquoi personne ne l'a appelé ? Et où sont-ils tous passés ? "Après cinquante putains d'années" ? Il se passe la corde au cou. Quand il était jeune, il n'y avait pas "toutes ces conneries de drogues et de sexe" ! Il a bossé sur les docks, lui. "À l'époque, ça voulait dire quelque chose". Sur ces mots, il saute dans le vide. Plus tard, la police a été prévenue ; un agent tente de détacher la dépouille. Son collègue éloigne les badauds, tout en invitant les éventuels témoins à se faire connaître... 

Succédant à Brian Azzarello, Carey rapatrie Constantine sans attendre et sans revenir sur ce que le Nord-Américain a écrit : il n'exploite ici aucun élément imaginé par son prédécesseur, la page est tournée. Pour son premier arc, "Accro à la vie" / "High on Life", Carey organise les retrouvailles entre Constantine et sa sœur, un moment aigre-doux auquel Liverpool et ses tristes grands ensembles servent de cadre ; de fil en aiguille, Constantine est amené à s'intéresser à un immeuble qui est l'épicentre d'étranges violences. Il comprend aussi que sa nièce n'est pas en France : qui se moque de lui ? Ce début réussi annonce une intrigue longue et complexe. La suite - "Le Sépulcre rouge" / "Red Sepulchre" - est remarquable : un suspense rythmé, sauvage et plein de surprises ! Carey y utilise des personnages créés par Warren Ellis lors de son run. Il sera possible d'établir un parallèle avec les grandes lignes de la trame du film de John Huston (1906-1987), "Le Faucon maltais" (1941). La qualité est encore au rendez-vous dans "Les Fleurs noires" / "Black Flowers" : un quasi-huis clos dont le rythme rappelle les standards du film d'épouvante. Ce qui est intéressant, jusque-là, c'est que Carey insuffle dans "Hellblazer" une diversité rafraîchissante : il s'affranchit de la mythologie chrétienne, dont il évite la surexploitation (et donc le risque de répétition) et s'inspire de l'hindouisme ou du polythéisme celte. Ça se gâte avec "Tiers-Mondes" / "Third Worlds" : Constantine voyage sous d'autres latitudes, Brésil, Iran, Tasmanie. S'ensuit une intrigue surprenante ; Carey évoque sans complaisance les crimes des colons sur les aborigènes de Tasmanie (la distribution de couvertures contaminées n'est pas avérée par les historiens), mais les non-dits sont fastidieux, et la présence de Swamp Thing gratuite. L'ennui monte d'un cran dans "Histoire d'os" / "Bred in the Bone", Carey abuse des ellipses dans une histoire d'enfants vampires, dont les origines, l'enjeu et la résolution sont trop diffus pour la rendre captivante. L'utilisation d'une double ligne temporelle achève de rendre l'arc d'autant plus soporifique et gnangnan que Gemma Masters n'a pas le magnétisme de son oncle. 
Inutile d'espérer une quelconque homogénéité stylistique dans la partie graphique, il n'y en a pas ; ça n'est pas perturbant pour autant. Les planches de Dillon pourront rappeler au lecteur les grands moments du run de Garth Ennis. En revanche, c'est probablement avec un peu d'agacement qu'il retrouvera ces tics du crayon de Frusin, notamment ces sourires - ou plutôt ces rictus, devrait-on dire - figés et ces regards aussi carnassiers que sadiques. Si Jock ne propose rien de réellement mémorable (à sa décharge, l'épisode qu'il illustre n'offre rien de spécial non plus), le travail ultraréaliste, sombre et inspiré de Bermejo est parfait pour les deux numéros angoissants dans lesquels il intervient. L'artiste nous livre ici une belle performance, très convaincante. Quant à Alexander Gregory, c'est un énième émule de Mike Mignola
La traduction a été réalisée par Philippe Touboul : impeccable, rien à redire. Son texte a été soigné, ni faute ni coquille. Notons une onomatopée non traduite ("koff").

Ayant envie de tourner la page Azzarello pour de bon, certains se rueront sur les premiers épisodes écrits par Carey ; hélas, si les trois premiers arcs sont d'une qualité très satisfaisante, l'intrigue de longue haleine conçue par Carey finit par s'essouffler et par pâtir d'une linéarité pesante et d'une certaine forme de maniérisme. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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Constantine, Chas Chandler, Cheryl Masters, Gemma Masters, Angie Spatchcock, Gladys Wren, Clarice Sackville, Map, Joshua Wright, Domine Fredericks, Paho Bokhari, Goterrez, Ghursoon, Beriti, Ghant, Bentham, Vertigo

2 commentaires:

  1. Houlà : 3 étoiles pour du Mike Carey ! (comme à mon habitude, je regarde la note avant de lire l'article.)

    J'ai lu les épisodes 175 à 180 en 2011, et à l'époque j'avais dû m'arrêter là car les tomes suivants n'étaient plus disponibles en VO. Depuis, ils sont dans ma pile de lecture, grâce à la réédition VO de l'intégralité de la série initiale (300 numéros) et des spéciaux.

    En découvrant ton article, je retrouve ce qui m'avait marqué : un début calamiteux, une deuxième partie avec un puissant McGuffin. Et je n'ai pas lu les épisodes 181 à 188.

    En revanche mon avis sur les dessinateurs est l'inverse du tien : j'avais pris Steve Dillon en grippe à l'époque, alors que j'aimais beaucoup Frusin.

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    1. Oui, trois étoiles. j'ai été déçu par la seconde moitié de ce tome. Mais peu importe, la première moitié était suffisamment intéressante pour que je souhaite lire les deux autres tomes.

      "MacGuffin" : Je ne connaissais pas ce terme. Merci.

      Je n'ai commencé à aimer Steve Dillon qu'en découvrant son travail sur les épisodes de "Hellblazer" écrits par Ennis. Avant cela, j'avais pris en grippe son trait flirtant en permanence avec l'outrance. Il faut croire que mes goûts continuent à évoluer.

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