lundi 13 novembre 2023

Ric Hochet (tome 24) : "La Piste rouge" (Le Lombard ; février 1977)

Intitulé "La Piste rouge", cet ouvrage est le vingt-quatrième tome de "Ric Hochet", série lancée par le Tournaisien André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010), alias Tibet. Il fut prépublié dans "Le Journal de Tintin" du 16 décembre 1975 (nº5) au 3 février 1976 (nº6) avant d'être édité en album chez Le Lombard en février 1977 ; cet album, de dimensions 22,5 × 30,0 centimètres (relié, couverture cartonnée) inclut quarante-quatre planches. Série-fleuve en soixante-dix-huit volets, "Ric Hochet" s'étend sur près de cinquante ans (de 1963 à 2010). Une nouvelle série a vu le jour en 2015. 
Duchâteau écrit le scénario. Tibet produit la partie graphique (dessins, encrage, mise en couleurs). Tibet ne réalisait pas les décors, il en déléguait l'entière production à ses assistants, les décoristes. Le nom de celui des tomes nº18 à 25 est inconnu. Frère d'un célèbre dessinateur, l'artiste préféra conserver l'anonymat. Son identité reste un mystère, encore aujourd'hui. 

Milieu des années soixante-dix, un soir, à Paris : avec une vingtaine d'autres badauds, Ric et Nadine font la queue au guichet du cinéma de quartier. Au programme : "Frankenstein Junior". Une affiche promotionnelle avec une photo de Louis de Funès (1914-1983), placardée à l'entrée, annonce la diffusion des "Aventures de Rabbi Jacob", la semaine suivante. Nadine taquine Ric : les journalistes ont la "belle vie", ils sont toujours prêts... à aller au cinéma ! Ric prend sa remarque avec le sourire : il rétorque qu'il en est de même des nièces de commissaires ! "Une chance, non ?" Nadine l'accuse gentiment de ne plus vouloir d'elle dans les enquêtes. Ric continue à plaisanter, mais Nadine s'aperçoit soudainement qu'on lui a dérobé son sac à main en en coupant les lanières ! Cela vient juste de se passer : elle l'avait "il y a encore deux minutes". Ric a déjà identifié ce mode opératoire et repéré le coupable. Il se lance à sa poursuite. Le sac serré dans les bras, une dame âgée a pris la fuite. Elle ne va pas loin. Nadine est incrédule : "Cette vieille dame ?" Horrifiée, elle voit Ric allonger un crochet du droit à la mamie... 

Un simple coup d'œil à la couverture informe que Ric Hochet va être confronté au docteur Vogler, à nouveau ; cet ancien nazi est l'un des rares criminels récurrents du titre. Et c'est bien curieux, car il n'a pas participé aux meilleures enquêtes du journaliste : "Piège pour Ric Hochet" était moyen et "Ric Hochet face au serpent" est l'un des tomes les moins intéressants de la série. Il est cependant conseillé de savoir ce qu'il s'y est déroulé pour saisir toutes les finesses des dialogues de "La Piste rouge". Vogler présente plusieurs atouts en tant qu'antagoniste : outre sa profession et son passé, il y a aussi ses connexions avec le grand banditisme et surtout ce visage qu'il masque et qui peut donner des idées à n'importe quel scénariste. Duchâteau utilise toutes les options offertes, et commence par une rumeur qui semble se concrétiser avant de devenir une fausse piste : rien de tel pour enfumer les lecteurs avant de les surprendre avec un rebondissement ultérieur. Comme il l'avait fait dans "La Ligne de mort" et dans d'autres, Duchâteau exploite un fantasme scientifique fou, quitte à flirter avec l'anticipation, ça constitue d'ailleurs une de ses marques de fabrique : ici, il s'agit ni plus ni moins de transplantation de cerveau. Et pendant une bonne partie de l'intrigue, la seule question que tout le monde - y compris les lecteurs, bien entendu - se pose est la suivante, en fin de compte : si la technique est possible (le "si" est important), l'opération a-t-elle déjà eu lieu ? Au même moment, Duchâteau oriente son scénario vers le modèle du roman à énigme. Le tout reste cohérent, même si l'auteur n'a pas pu s'empêcher d'incorporer une petite touche humoristique en employant des personnages un brin caricaturaux. On retrouve donc ce mélange de genres connexes cher à Duchâteau, une technique d'écriture qui lui permet toujours de proposer quelque chose de nouveau tout en continuant à tirer les mêmes ficelles, au fond. Quelques scènes-chocs au milieu de toute cette neige (passons sur le jeu de mots du titre, Ric montre l'étendue de ses talents de skieur) et nous avons là un "Ric Hochet" de très bonne facture qui nous offre un dénouement inattendu. 
La partie graphique est intéressante, surtout du point de vue du travail du décoriste, parce qu'elle ne présente pas une multitude de lieux - ville, montagne, bâtiments et intérieurs divers - et exige donc un minimum d'imagination pour limiter le risque de monotonie. Le Paris de notre artiste inconnu est très anonyme - à l'exception du 36, quai des Orfèvres : confer les planches nº3 et nº4. Ensuite, notre homme reproduit l'entrée du tunnel du Mont-Blanc côté français. Dans un cas comme dans l'autre, c'est aussi contextuel que fonctionnel, évidemment, mais c'est apprécié, d'autant que c'est soigné, tout comme les véhicules (plusieurs voitures, l'avion de tourisme, la dameuse et l'hélicoptère, dont la plupart de marques non identifiées). Il y a ensuite beaucoup de neige : pour la topographie cela peut-être un piège. Mais le décoriste parvient à représenter le relief indispensable. Les plus belles planches sont les nº34 et 35, l'accès du repaire secret du docteur Vogler. C'est de la belle ouvrage. 

L'infâme docteur Vogler est de retour dans une nouvelle enquête de Ric Hochet qui s'avère aussi efficace que spectaculaire. Duchâteau démontre à nouveau la fertilité de son imagination. Il parvient toujours à surprendre les lecteurs malgré les contraintes des conventions et l'utilisation de certains mécanismes narratifs éculés. 

Mon verdict : ★★★★☆ 
Barbüz 
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz 

Ric Hochet, Commissaire Bourdon, Nadine, Herbert Davenport, Docteur Vogler, Amato Palermo, Ernst Schwob, Albertin et Marceline Serrano, Albrecht Rayer, Désiré et Lucia Germoz, Alexandro Prospero, Luigi Oceani, André-Paul Duchâteau, Tibet, Le Lombard

2 commentaires:

  1. Frankenstein junior : je ne l'ai pas vu, mais j'en ai beaucoup entendu parler.

    https://www.brucetringale.com/frankenstein-lhomme-a-la-une-hommage-monstre/

    En particulier j'aime beaucoup la performance dans les extraits que j'ai visionnés, de Gene Wilder & Marty Feldman : ils sont magnifiques, aussi bien le regard impossible à suivre du second que celui féminin du premier.

    Le nom du décoriste des tomes nº18 à 25 est inconnu : ce constat me surprend à chaque fois car il s'agit d'une série patrimoniale, et je m'imaginais qu'avec le temps un spécialiste de BD finirait par s'intéresser à cette question et à retrouver des indices permettant de lever cet anonymat.

    La transplantation de cerveau : j'ai récemment lu une série avec transplantation de cerveau appliquée à des nazis âgés, avec un ton plus humoristique. Une pratique d'anticipation très comics.

    La partie graphique est intéressante, surtout du point de vue du travail du décoriste, parce qu'elle ne présente pas une multitude de lieux : très jolie remarque, évoquant comment une contrainte (un nombre de lieux restreint) contraint l'artiste à se montrer plus imaginatif.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Frankenstein junior. Je n'ai pas vu ce film, ni aucun de Mel Brooks, d'ailleurs. On m'avait dit il y a longtemps du bien de "La Folle Histoire de l'espace", mais le peu que j'en avais vu ne m'avait pas incité à continuer.

      Le coloriste. Pareil, je suis très surpris que le secret survive encore cinquante ans plus tard. Ou alors c'est un secret de polichinelle connu des proches, mais particulièrement bien gardé par respect pour l'artiste et son frère.

      Transplantation du cerveau. Jai dû lire quelques article pour comprendre où en étaient les avancées actuelles.

      Supprimer