mardi 9 avril 2024

Elric (tome 3) : "Le Loup blanc" (Glénat ; septembre 2017)

Intitulé "Le Loup blanc", cet ouvrage, sorti en septembre 2017, est le troisième tome de la série "Elric" publiée chez Glénat, qui compte cinq volumes à ce jour. Ce volume relié (dimensions 24,0 × 32,0 centimètres ; couverture cartonnée) comprend quarante-six planches, toutes en couleurs. C'est une énième adaptation du "cycle d'Elric", de Michael Moorcock, une œuvre-culte appartenant au registre du merveilleux héroïque, médiéval fantastique ou de l'Heroic Fantasy selon le nom choisi. 
Le scénario est coécrit par Julien Blondel et Jean-Luc Cano. Blondel s'est fait un nom dans le monde des jeux de rôles entre autres. Les dessins (crayonnés et encrage) sont signés par Julien Telo ("Mary Kingsley") ou par Robin Recht (planches 3-18 et 21-25). Recht a notamment produit un "Conan le Cimmérien: "La Fille du géant du gel" (chez Glénat ; en 2018). Lui et Telo ont créé le story-board et les designs avec Ronan Toulhoat. Jean Bastide élabore la mise en couleurs avec Luc Perdriset

Précédemment, dans "Elric". Imrryr. Alors qu'Yyrkoon, enchaîné, attend sa sentence, Elric - à la surprise générale - le gracie puis se résout - pour éviter une moisson d'âmes - à abdiquer et à partir en exil, abandonnant ainsi une Cymoril furieuse. 
Déjà un an qu'Elric a quitté l'île aux dragons, "tourné le dos" à son peuple et abandonné ce qu'il avait de "précieux". Il ne vit plus que "pour prendre d'autres vies" et se "condamne à tuer" pour sauver Cymoril ; déjà un an qu'il a cessé d'être empereur de Melniboné pour devenir celui "qu'ils" appellent "le Loup blanc". Il se demande si Cymoril rêve, s'il lui arrive d'espérer que tout cela n'est "qu'un songe", et que leurs existences ne soient "qu'un long spectacle" dont le destin les persuade "d'attendre le dénouement". Il a vécu "tant de choses qui ne peuvent être réelles", que leurs magies "ne sauraient expliquer", poursuivi des perles dans le désert des soupirs et vaincu "des sorciers immortels" sur des plans qui n'existent plus. Il a fait "cap vers le passé sous les voiles d'un capitaine aveugle" et "retrouvé des frères d'armes inconnus" qui savaient pourtant tout de lui... 

Ainsi, ce nouveau tome commence une année après l'abdication d'Elric, toujours aussi inattendue - même avec le recul. La trame peut être décortiquée en trois actes. Le premier est le plus intéressant pour plusieurs raisons. Elric s'y abandonne à l'introspection et revient sur le chemin parcouru depuis l'exil. Il entretient encore - aussi secrètement que naïvement - l'espoir et l'illusion que ne rien refuser ou presque à Stormbringer (sa soif est inextinguible) l'incitera à épargner l'âme de Cymoril. Ce qui pimente le plus ces pages est sans nul doute le binôme que l'albinos forme avec Smiorgan Tête-Chauve, comte et seigneur-marchand des Cités pourpres, un bonhomme au caractère bien trempé qui offre son amitié au Melnibonéen sans ignorer le risque encouru. Le ton général se trouve un peu allégé et la narration dynamisée grâce à l'utilisation de certains codes et mécanismes du "buddy movie". Du second acte, il faut surtout retenir le voyage, car visuellement, c'est la première fois que le lecteur est invité à visiter une ville - encore peuplée - qui n'est pas Imrryr, Dhakos, la cité aux mille flèches. D'aucuns penseront que tout cela - la visite, la requête de Vassliss et le départ - s'enchaîne d'une manière décidément bien pratique et ils n'auront pas tort. La narration paraît particulièrement compressée : entre l'arrivée à Dhakos et l'appareillage, le lecteur aura l'impression qu'à peine une journée s'est écoulée. Mais il n'en ressentira aucune irritation et se laissera porter sans friction par le flux des événements et une linéarité flagrante, mais qui n'enlève rien au plaisir de lecture. Enfin, dans la dernière partie, Elric rencontre un reflet déformé : Saxif d'Aan. Ainsi, l'ex-empereur réalise-t-il qu'il n'est pas le seul à subir un destin maudit au centre duquel se trouvent l'amour et les dieux. Mention assez bien pour la caractérisation de Saxif, un aristocrate hautain à la patience et la tolérance minimales, mais figure tutélaire pour Elric durant un instant aussi intense que bref. Son amertume, sa colère d'avoir été trompé par Mabelode (voire humilié) pour une quasi-éternité, et son sacrifice ultime pourront peut-être se frayer un chemin jusqu'au cœur du lecteur. 
La partie graphique évolue sans changer, le registre est identique et la série présente une uniformité visuelle d'un tome à l'autre, mais l'équipe d'artistes n'est jamais la même ; Didier Poli, par exemple, s'est retiré du projet (l'influence du style Disney n'est plus perceptible). Il y a là quelques compositions formidables. Retenons d'abord les planches huit et neuf, où Elric dégaine une Stormbringer assoiffée. Les esclavagistes ne comprennent que trop tard ce qui leur arrive. Quant à leurs captifs, ils sont aussi médusés que terrifiés. Relevons également ce travail de qualité sur les paysages, car ceux-ci sont particulièrement variés : plaines enneigées, grandes cités, mer, ruines et endroits touchés par la désolation, sans oublier les intérieurs, évidemment. Notons aussi les angles de prises de vue souvent inattendus et cette mise en page dynamique (grâce aux incrustations) qui contribuent à l'identité de cette série. En résumé, voilà donc une partie graphique sans la moindre faiblesse rédhibitoire. 

Un album épique et tragique à la narration compressée, linéaire, mais sans pesanteur, avec des choix qui ne feront pas forcément l'unanimité, mais qui ont au moins le mérite de présenter certains personnages (enfin, Cymoril et Yyrkoon, principalement) sous un jour nouveau - même si le résultat est éloigné de l'œuvre d'origine. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz 
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Elric, Smiorgan Tête-Chauve, Saxif d'Aan, Vassliss, Yishana, Theleb K'aarna, Dhakos, Jharkor, Cymoril, Yyrkoon, Michael Moorcock, Glénat

2 commentaires:

  1. J'ai lu avec gourmandise le paragraphe de résumé en retrouvant les termes qui m'avaient enchanté lors de ma lecture des romans.

    La partie graphique évolue sans changer, le registre est identique et la série présente une uniformité visuelle d'un tome à l'autre : impressionnant quand on voit le nombre d'illustrateurs impliqués. Je présume que cela découle du recours aux story-boards et à la gestion des designs.

    Généralement, je me tiens à l'écart des adaptations de livres que j'ai aimés. Pour Elric, j'avais fait une exception il y a deux ans et demi, avec Stormbringer de P. Craig Russell, et bien m'en avait pis.

    https://www.babelio.com/livres/Russell-Elric--Stormbringer/1374397/critiques/2843288

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    1. Je ne peux pas te répondre que j'ai moi aussi des souvenirs, car à l'époque on m'avait prêté ces romans et je les avais lu sans conviction. J'ai toujours trouvé que le style de Moorcock était ampoulé et que ses descriptions étaient indigestes. Mais j'ai quand même lu les "Elric", "Hawkmoon" et les autres. Et mon ancienne vie de rôliste fait que tout cela est resté ancré en moi ; d'où ces lectures des BD.

      Ça m'intéresse de savoir que tu as apprécié le "Elric" de cette collection, car j'ai les "Corum" chez le même éditeur, scénarisés par Mike Baron et dessiné par Mike Mignola. Je verrai si c'est du même tonneau.

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