samedi 29 juin 2024

Greg Rucka présente Wonder Woman (tome 3) : "La Fin de la mission" (Urban Comics ; janvier 2018)

Intitulé "La Fin de la mission", cet album, paru chez Urban Comics en janvier 2018 dans la collection "DC Signatures" de l'éditeur, est le troisième et dernier recueil de "Greg Rucka présente Wonder Woman", un triptyque consacré au run de l'auteur californien sur le personnage de Wonder Woman ; il comprend les versions françaises du "Flash" (second volume) #219 (sorti en avril 2005 en VO) et des "Wonder Woman" #214-226volume deux aussi (mai 2005 à avril 2006 en VO). Il s'agit d'un ouvrage relié (à couverture cartonnée) de dimensions 17,5 × 26,5 centimètres, qui compte à peu près trois cent huit planches (sans inclure les couvertures), toutes en couleurs. En bonus figure une double page avec de très succinctes biographies des principaux auteurs et artistes. 
Greg Rucka a écrit les numéros de "Wonder Woman", le "Flash" est signé Geoff Johns. Rags Morales et Cliff Richards s'octroient la grande majorité des crayonnés. Drew Johnson, Ron Randall, Tom Derenick, Georges Jeanty, Karl Kerschl et David López réalisent le reste, certains quelques planches seulement. Ray Snyder est le principal encreur ; Michael Bair, Mark Propst, Nelson DeCastro, BIT, Bob Petrecca et Dexter Vines encrent aussi. Les mises en couleurs sont de Richard et Tanya Horie, sauf une de Wildstorm FX. Enfin, le "Flash" est crayonné par Justiniano, encré par John Livesay et Walden Wong et mis en couleurs par James Sinclair

Précédemment, dans "Greg Rucka présente Wonder Woman"Arès a mis pied sur les berges des Enfers. Il est accueilli par Hadès. Ce dernier, Zeus et Poséidon, enragés qu'Athéna soit sur le trône, désirent se venger d'elle, des autres déesses et de Diana. 
Boston, musée des Beaux-Arts, 2005 : le cadavre d'un vigile fraîchement assassiné gît au sol, son regard figé dans une expression de terreur. Cheetah a récolté le sang du sacrifié pour l'offrir à Urzkartaga, le dieu-plante, lorsque Zoom - alias Hunter Zolomon - arrive sur les lieux. Il informe Barbara Minerva qu'il est venu écouter sa proposition : cet "échange de faveurs". La femme-féline, jouant la séductrice, désire qu'il lui offre "la vitesse". Zoom ne peut pas l'aider et lui rappelle aussi qu'il est - était - marié... 

Pour ses épisodes ultimes, Rucka, visant sans doute à faire le tour de la question, n'épargne rien à la superhéroïne : outil des dieux corvéable à merci, combattante en première ligne, meurtrière, reniée par ses pairs, jugée à La Haye comme une criminelle de guerre... mais toujours figure maternelle devant à la fois écouter les désirs et affronter les déceptions de chacun. Le chemin de croix que lui impose l'auteur est véritablement éreintant et déclenche invariablement l'empathie du lecteur. 

Johns et Rucka proposent une double confrontation sanglante en guise de prologue, peut-être sur une idée de Johns. Wonder Woman et Flash contre Cheetah et Zoom. C'est efficace et spectaculaire à défaut d'être original, mais ça a ses limites parce que ça ne s'inscrit que de façon distante dans le fil principal. De plus, l'idée de suite a dû être abandonnée, puisque Cheetah revient quelques épisodes plus tard, seule, et que Zoom ne réapparaît que le "Flash" #224 - sans Cheetah ni le Dr Psycho. 

Vient le premier acte : un conflit de pouvoir et de territoire entre les divinités de l'Olympe, avec les hommes d'un côté et les femmes de l'autre. Le camp patriarcal ne supporte pas l'inversion de paradigme provoquée par Athéna. Voilà un arc qui trouve une résonance inattendue vingt ans plus tard. Cette version modernisée des dieux (plus dans la forme que dans le fond) n'a plus grand-chose à voir avec l'esthétique antique ; elle aura certainement inspiré Brian Azzarello pour son propre run (volume 4, #1-35, 2011-2014). S'il modernise certains personnages (sauf Zeus, le patriarche, qui semble définitivement appartenir au passé), Rucka respecte les aspects connus de la mythologie et leur fonction (par exemple, le Tartare et l'Achéron). La condition de pion discipliné de Wonder Woman est inhabituelle ; mais les dieux restent des dieux et se placent au-delà de tout autre être. Quant à sa cécité, elle devient invraisemblable tant Diana surmonte ce handicap avec une facilité déconcertante. 


L'acte deux est connecté à l'évènement "Infinite Crisis" (2005-2006) ; le lecteur y assiste à une inéluctable tragédie d'ampleur planétaire. C'est la théorie des dominos : le complot de Maxwell Lord et l'activation des OMAC conduisent au terrible geste de Diana, qui provoque la fermeture de l'ambassade des Amazones, l'incarcération de Wonder Woman et le début de son procès. Certes, le danger représenté par Lord semblait sans parade durable : ce choc titanesque entre Wonder Woman et Superman, avec toutes ces forces formidables jetées dans une bataille enragée, donne une idée du risque encouru. Pourtant, le lecteur ne peut s'empêcher de penser qu'il y avait une autre option que la peine capitale. Quoi qu'il en soit, Diana subit son destin comme jamais. Ce n'est donc pas un super-vilain qui est poursuivi ici, comme Magneto, mais la super-héroïne la plus emblématique de toutes, et cofondatrice de la Ligue de Justice. Diana garde la tête haute, même lorsqu'elle cherche à justifier son geste auprès des deux autres grandes figures de la Ligue : Superman et Batman, ses amis et frères d'armes. Hélas ! La voilà désormais frappée d'opprobre par ses pairs. 

Enfin, cela débouche sur une conclusion presque apocalyptique. La guerre à Themyscira : un combat féroce avec des belligérants impitoyables. Le mécanisme employé par Rucka est celui du dilemme : Diana doit-elle se soumettre à la loi des humains ou lui échapper pour partir aider ses sœurs à sauver leur civilisation et empêcher un génocide - car c'est bien de cela qu'il s'agit ? Question rhétorique, mais qui n'en est pas moins intéressante. L'héroïne découvre que bien qu'elle ait décidé de tourner le dos aux lois humaines, elle a marqué les esprits durablement et positivement. La mission de l'ambassade se termine par la force des choses, mais n'a pas échoué. 

Malgré l'ampleur de ses intrigues et la multiplication des fils, Rucka s'efforce de garder le fil de ses histoires ; il y parvient, mais partiellement, car il laisse derrière lui quelques pistes inachevées, dont une avec Veronica Cale. Cependant, reconnaissons son effort de cohérence ; notre scénariste s'aide de la linéarité des évènements et de leurs liens de cause à effet. Il évite dispersion et digression, mais la bataille de Themyscira est alourdie de quelques longueurs. Quant à la caractérisation de Diana, générosité et désintéressement sont évidents, mais son enthousiasme la rend naïve : elle ne réalise pas qu'il y a un traître à l'ambassade. Enfin, ses propos dans "Flash" pour la peine capitale étonneront (ce texte est de Johns) : sous l'effet du lasso, elle avoue que les "monstres" ne pouvant "être maîtrisés" doivent être "détruits"


La partie graphique a un peu vieilli, bien qu'elle ait sans doute répondu aux exigences du genre à l'époque, mais pas trop mal, au fond. L'album s'ouvre sur les planches de Justiniano, dont le coup de crayon est plus intemporel que celui des autres artistes de l'ouvrage. Richards, lui, a un trait fin, élégant et régulier qui aurait bénéficié d'un encrage plus organique. Quant à Morales, il arrive que les expressions faciales des personnages - ces sourires - soient figées, voire exagérées. Cependant, son sens du détail, plus acéré que celui de Richards, est satisfaisant dans l'ensemble ; en revanche, la qualité des finitions et la régularité du trait penchent du côté du second. Les autres dessinateurs s'en sortent très honorablement, surtout Johnson. Malgré des compositions dynamiques et des découpages parfaitement lisibles, tous ces styles paraissent démodés, sans que le lecteur puisse identifier ce qui empêche sa satisfaction d'éclore sans friction. Au fil des planches, il réalise que la source de l'irritation provient de la mise en couleurs, notamment du choix des teintes, certaines étant criardes à souhait ; et c'est cela qui revêtit les dessins d'un aspect un peu daté. 

Une fois n'est pas coutume, la traduction de Thomas Davier comporte des boulettes. En vrac, une faute de concordance des temps (page 69), une de conjugaison, deux de genre (40), une de nombre (107), un article oublié (69), une ponctuation mal placée (74). Un effort pour les trois mots de grec n'aurait pas été superflu (137). 

Wonder Woman est sur tous les fronts : conflits divins, mission aux Enfers, complots contre les superhéros, jamais encore n'aura-t-elle payé son engagement aussi cher. Des trois tomes du run de Rucka, c'est sans doute celui-ci qui est le plus intéressant. D'aucuns regretteront peut-être une sortie de l'auteur sur une pirouette, mais elle offre de la latitude et laisse un large champ de possibilités au successeur. La partie graphique a vieilli - mais elle est suffisamment solide pour traverser les âges. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz 

Wonder Woman, Cheetah (Barbara Minerva), Zoom (Hunter Zolomon), Athéna, Arès, Hadès, Poséidon, Zeus, Maxwell Lord, L'Œil, OMAC, Superman, DC Comics

2 commentaires:

  1. Je n'ai toujours pas repris la lecture de cette suite d'épisodes de Greg Rucka, depuis ton article sur le précédent tome, donc je découvre.

    Outil des dieux corvéable à merci, combattante en première ligne, meurtrière, reniée par ses pairs, jugée à La Haye comme une criminelle de guerre : effectivement, il a mis la dose.

    Quant à sa cécité, elle devient invraisemblable tant Diana surmonte ce handicap avec une facilité déconcertante. - J'ai observé ce phénomène dans de nombreux comics, où le scénariste donne un handicap au héros, puis n'arrive pas à gérer les conséquences pratiques de ce handicap, sans même évoquer les fois où il l'oublie. Dans un même ordre d'idée, le handicap de Matt Murdock relève d'un équilibre délicat, rendu de plus en plus difficile par la généralisation de l'usage des écrans (téléphone ou ordinateur).

    Le lecteur ne peut s'empêcher de penser qu'il y avait une autre option que la peine capitale : j'avais lu un recueil ne comprenant que l'épisode de la mise à mort et deux épisodes de Superman. Le choix de Diana m'avait convaincu à l'époque, mais comme tu le soulignes dans le cadre du récit, pas en prenant du recul sur sa personnalité.

    On ressent ton manque d'enthousiasme, et peut-être même de plaisir pour la partie graphique, tout juste au-dessus du tout venant.

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    1. Sa cécité - Je ne sais plus à propos de quel personnage nous avions eu un échange similaire. Mais comme tu le soulignes, ce phénomène n'est pas rare dans les comics (si ce n'est pas un handicap temporaire, c'est une disparition des pouvoirs qui l'est aussi, ce n'est pas la même chose, mais les mécanismes narratifs sont les mêmes), et le scénariste, une fois qu'il a eu l'idée, ne sait pas toujours comment continuer à la rendre intéressante.

      La partie graphique - Ben oui, je me suis dit qu'elle me semblait datée, malgré ses qualités. Il y a d'abord cet encrage, mais surtout cette mise en couleurs criarde. Et puis, je n'ai jamais été un grand fan de Morales. La fin de ta phrase correspond bien à mon état d'esprit. D'ailleurs, c'est peut-être la plus grande faiblesse de ce run, à qui l'éditeur n'aura pas associé de talent de tout premier plan, sauf (peut-être) J. G. Jones dans le premier volume (et encore).

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