mercredi 28 août 2024

"Hulk" : L'Intégrale 1964-1966 (Panini Comics ; août 2021)

Publié en août 2021, chez Panini Comics France, cet ouvrage est - dans l'ordre chronologique de publication des aventures de ce personnage - le deuxième tome de l'intégrale consacrée à Hulk. Il contient les versions françaises des "Tales to Astonish" (vol. 1) #59 à 79, septembre 1964 à mai 1966. Cet album relié (dimensions 17,7 × 26,8 cm ; couverture cartonnée et jaquette plastifiée) compte exactement deux cent dix-huit planches en couleurs, sans inclure les couvertures. Il s'ouvre sur une préface de Stan Lee (1922-2018), de deux pages. Enfin, en bonus : de succinctes biographies des trois auteurs principaux, résumées en une page. 
Tous les scénarios ont été écrits par Lee. Dick Ayers (1924-2014) dessine le premier numéro et passe la main ; Steve Ditko (1927-2018) s'installe pour huit numéros puis cède la place à Jack Kirby (1917-1994). Ce dernier, très occupé par d'autres titres, réalise les crayonnés de trois épisodes avant de se limiter au découpage, à trois reprises pour Mike Esposito (1927-2010), deux pour Bob Powell (1916-1967) et Bill Everett (1917-1973), une pour Gil Kane (1926-2000) et John Romita Sr. (1930-2023). Et l'encrage : Paul Reinman (1910-1988), George Roussos (1915-2000), Vince Colletta (1923-1991), Frank Giacoia (1924-1988), Ayers et Esposito. 

Précédemment, dans "Hulk" : Hulk défait le Maître du Métal, mais les transformations l'ont épuisé et la machine à rayons gamma est de moins en moins fiable. Malgré ces complications, il parvient à redevenir le docteur Banner et tout rentre dans l'ordre. 
New York City. Les Vengeurs s'entraînent dans la salle du manoir. Thor s'y exerce aux anneaux et Giant-Man soulève des haltères. Captain America et la Guêpe participent également à l'exercice. Iron Man attire l'attention de ses coéquipiers sur son projecteur portable à transistors : il "marche mieux que jamais". Sur ces mots, il diffuse sur écran géant des actualités cinématographiques dans lesquelles Hulk affronte Spider-Man. Giant-Man demande ce que devient Hulk ; il ne peut "s'empêcher de le plaindre !" Non loin de là, assis dans son lit, Davy Cannon (alias la Toupie) prend connaissance des unes des quotidiens, un cigare aux lèvres... 

Voilà une série d'épisodes qui pourra surprendre par sa qualité ! Si les lecteurs prennent la peine d'analyser ce qui explique ce plaisir de lecture, ils pourront identifier plusieurs raisons à cela. Il y a d'abord les dynamiques inhérentes au titre : l'impossible cohabitation entre le docteur Banner et Hulk, le premier souhaitant dompter le second, qui hait le premier et n'a qu'une envie : s'en affranchir définitivement. Les premiers épisodes soulignent le côté enragé et colérique en permanence du géant vert. Le principe imaginé par Robert Louis Stevenson (1850-1894) dans "L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde" (1886) est exploité jusqu'à ce que les frontières entre l'un et l'autre ne soient presque plus perceptibles, Hulk finissant par recevoir une partie de l'intelligence de Banner. Mais est-ce Banner sous l'apparence de Hulk, ou Hulk qui s'est approprié l'esprit de cet alter ego qu'il déteste tant ? Aux lecteurs de trancher. Autres éléments : cet amour partagé, mais sans espoir entre Banner et Betty Ross. À l'obstacle qui existe déjà, Lee et Ditko ajoutent le personnage du major Glenn Talbot, qui s'éprend de la jeune femme pour parfaire le triangle amoureux cher à Marvel. Quant à la haine viscérale du général Thaddeus Ross, elle est immuable. Tout cela est astucieusement mis en place. 

Les deux premiers arcs sont assez peu intéressants. Hulk affronte Giant-Man dans une trame typique du genre, où deux superhéros en viennent aux mains à cause d'un quiproquo. Vient ensuite l'inévitable robot (ou de l'armure), qui est dérobé par un espion : malgré l'amorce d'une période de détente entre les deux blocs, la crise des missiles de Cuba (1962) n'est pas loin. Ici, le phantasme de l'arme absolue tombant aux mains d'une nation hostile semble représenter quelque chose de vif dans l'esprit des auteurs. Banner est d'ailleurs temporairement prisonnier des Soviétiques, qui lui feront subit plusieurs sévices ; de la bande dessinée propagandiste, à l'instar des "Captain America" de la période Timely Comics et des premiers "Iron Man"

Il n'y a pas que les colosses et les communistes. Sur une idée intéressante, Lee confronte Hulk, en incarnation de la force brute, à un autre effet secondaire des rayons gamma : l'intelligence hors norme du Leader, un humain à la peau verte et au crâne hypertrophié qui a pour ambition de régner sur le monde. Lee et Ditko mettent en scène un affrontement entre ces deux hommes, exacts opposés : le muscle et l'esprit. Car même si l'intelligence de Hulk est désormais celle de Banner, le Leader est un génie supérieur, aussi brillant que profondément fou. Bien que le concept puisse sembler convenu, l'arc fonctionne et capte l'attention des lecteurs. Il faut dire que les numéros sont courts (dix pages), cohérents, condensés et mus par une action et un mouvement permanents ; ils s'enchaînent avec plaisir et sans lassitude. La suite est intéressante aussi, entre voyage dans un futur postapocalyptique, plans d'un autre savant fou (le docteur Konrad Zaxon) et rencontre musclée avec Hercule. Hulk fait encore la connaissance du Gardien, peut-être dans une volonté de Lee d'établir des limites à la force de Hulk en le comparant à une entité cosmique. 


Évidemment, ces histoires ont leurs points faibles. À commencer par leurs invraisemblances. Par exemple, le général Ross promène son armée de gauche à droite, à la poursuite de Hulk ; il s'écoule un certain temps avant qu'il doive rendre des comptes à sa hiérarchie. Sa fille Betty - une civile, rappelons-le - a accès à toute la base et connaît tous les projets : c'est inconcevable ! Il y a aussi ces va-et-vient répétitifs, bien qu'il n'y ait aucune unité de lieu, l'action se déroulant à l'intérieur d'un cadre géographique défini : la base militaire, le désert et la grotte de Banner, les installations du Leader et une dernière dimension, moins fixe que les trois précédentes (qui inclut un épisode cosmique ainsi que le court séjour de Banner derrière le rideau de fer, entre autres). Pour ceux qui n'apprécient guère le jeune homme, Rick Jones est bien là ; bien que sa présence reste encombrante, il est pourtant exploité de façon plus intéressante que dans d'autres séries, surtout dans les derniers épisodes, où il est clair qu'il met le secret de Banner en danger. 

Enfin, la partie graphique en étonnera plus d'un par sa qualité ; les équipes artistiques ne brillent pourtant pas par leur stabilité. Les planches d'Ayers ne présentent rien d'exceptionnel. Malgré des postures un peu raides, celles de Ditko retiennent davantage l'attention, notamment grâce à une densité de détail plus élevée ; Ayers les pare d'un encrage plus gras que celui de Roussos, ça leur convient très bien. Colletta les embellit encore plus en soulignant les lignes de mouvement. La différence avec l'arrivée de Kirby aux crayons est marquante. Et voilà soudainement les dessins dotés d'une explosivité peu commune et d'un irrésistible dynamisme : ils ont pour effet de plonger les lecteurs encore plus profondément dans les histoires. Le fait que Kirby se limite au découpage ne fait pas chuter la qualité de la partie graphique. Si le travail de Powell est notable, celui d'Everett est le plus remarquable, l'incroyable grain de son encrage donnant du relief et de la substance aux compositions : ce sont là les plus belles planches de cet album ! Pour le reste, les mises en page sont bien sages, mais l'action est d'une limpidité exemplaire. 

La traduction a été effectuée par Nick Meylaender. Notons une certaine littéralité çà et là, ainsi qu'une faute de conjugaison et une autre de ponctuation, mais dans l'ensemble le résultat est particulièrement convaincant la plupart du temps et le texte est globalement soigné. 

Voici une série de numéros réussis. Les auteurs semblent vouloir y établir des étalons pour définir les limites de la puissance de Hulk : Giant-Man ne fait pas le poids bien longtemps, mais le Gardien est hors catégorie. Avec le Leader, Lee et Ditko proposent un affrontement sur la durée entre force brute et intellect pur. Créé dans ces pages, le major Talbot deviendra l'un des personnages secondaires importants du titre. Une belle production du Marvel des mi-sixties, ancrée autant dans la guerre froide et dans la peur de l'atome que dans une science-fiction parfois rudimentaire, mais souvent imaginative. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Hulk, Général Ross, Betty Ross, Major Talbot, Rick Jones, Giant-Man, La Toupie, Le Leader, Le Caméléon, Le Gardien, L'Exécuteur, Dr Konrad Zaxon, Hercule

4 commentaires:

  1. 21 épisodes de 10 pages : quelle succession de dessinateurs. L'impression que j'ai retenue de cette époque est que Marvel était en pleine croissance (tout est relatif par rapport au nombre de titres publiés de nos jours), et que le Marvel Bullpen fonctionnait de manière très artisanale, voire au coup par coup d'un mois sur l'autre. Je présume que Stan Lee et ses quelques employés devaient réagir à la semaine pour choper un artiste sur tel ou tel titre, afin qu'il soit publié à peu près dans les temps.

    Ton développement sur les artistes met l'eau à la bouche sur une analyse comparative entre la version de Steve Ditko et celle de Jack Kirby, quant à leur interprétation respective et ce que les dessins de l'un ou de l'autre mettent en avant. Les noms de Bill Everett et Gil Kane font également saliver. Les dessins du premier m'avaient attiré l’œil dans la série Submariner, et dans quelques pages de Venus. Et Gil Kane : quel as de l'angle de vue original et dynamique !!!

    La politique extérieure américaine vue par Stan Lee : j'en garde le souvenir d'une collection de clichés superficiels, effectivement patriotes, avec une absence totale d'informations ou de connaissances sur l'URSS, ou pire encore sur le Vietnam.

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    1. Une comparaison entre Ditko et Kirby - C'est tout le sujet de la préface de Lee, justement. Il sort un numéro de cabotin pour botter en touche. A contrario, en parler est reconnaître qu'il y a débat et que celui-ci est pertinent. Bon, évidemment je le comprends. J'ai essayé d'éviter de tomber dans ce panneau dans mon article. Cela étant, et ça n'engage que moi, je doute qu'une comparaison puisse être en défaveur de Kirby - du moment qu'il dispose d'un encreur qui respecte davantage son travail que les échéances de l'éditeur... si tu vois de qui je veux parler 😆...

      Les clichés pro-américains de Lee - Je peux me tromper parce que je connais mal cet aspect de la personne, mais j'ai le sentiment que c'était surfait et qu'il n'y avait pas de patriotisme authentique derrière cela.

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    2. En parlant de comparaison, je pensais plutôt à une différence d'interprétation, entre la force explosive et le dynamisme de Kirby, et une version peut-être plus tourmentée ou paranoïaque de Ditko, une différence de sensibilité et de caractère de ces deux créateurs.

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    3. Au temps pour moi, merci d'avoir précisé.

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