dimanche 9 décembre 2018

Blake et Mortimer (tome 11) : "Les Trois Formules du professeur Satō" ("Mortimer à Tokyo") (Blake et Mortimer ; août 1977)

"Blake et Mortimer" est une série créée par Edgar P. Jacobs (1904-1987), véritable légende du neuvième art, hélas trop peu prolifique ; il ne réalisera que onze albums pendant ses quarante-cinq ans de carrière. Jacobs collaborera aussi avec Hergé sur "Tintin au Congo", "Tintin en Amérique", "Le Sceptre d'Ottokar", "Le Lotus bleu", "Les Sept Boules de cristal", "Le Temple du Soleil" et y dessinera notamment des décors ou du matériel.
"Les Trois Formules du professeur Satō" est la huitième aventure du point de vue de l'historique de publication. Elle est répartie en deux tomes : le premier est intitulé "Mortimer à Tokyo". Dernier épisode à être entièrement réalisé par Jacobs, il fut prépublié dans la version belge du "Journal de Tintin" du 5 octobre 1971 (nº40) au 30 mai 1972 (nº22). Le Lombard l'édite en un album de quarante-huit pages en septembre 1977.

Japon, aéroport international de Tokyo-Haneda, le soir. Un long-courrier de la Japan Airlines à destination de Honolulu, San Francisco et New York s'apprête à décoller. Un appel prie les passagers de se présenter à la porte pour l'embarquement. La tour de contrôle donne ses consignes, puis l'avion roule vers sa piste. Pour les aiguilleurs du ciel, c'est le soulagement. Il ne reste que l'Air France, justement en approche, et qui demande ses instructions avant de se laisser guider. Un opérateur, le sourire aux lèvres, annonce que dans dix minutes, ils auront fini pour cette nuit. Son attention est soudainement attirée par un signal lumineux sur l'écran du radar. Aucune arrivée n'est pourtant prévue. Un collaborateur, Niki, avance qu'il pourrait s'agit d'un appareil égaré. Perdu ou pas, il doit dégager la trajectoire. Le technicien ordonne à un autre collègue, Kori, de bloquer le décollage du Japan Airlines pendant qu'il tente d'établir le contact radio. Aucune réponse. L'engin ne fait que changer de cap. Ce n'est ni un avion à réaction ni un hélicoptère, car il vire sec et est très rapide. Un phénomène atmosphérique ? Et pourquoi pas un OVNI, demande alors Kori ?...

Dix ans. Il aura fallu attendre dix ans entre "L'Affaire du collier" et "Mortimer à Tokyo". Pourquoi si longtemps ? Jacobs était peut-être fatigué ; il est vrai que lorsqu'il commence l'écriture des "Trois Formules du professeur Satō", l'auteur se rapproche des soixante-dix ans. Ce diptyque marque un retour à la science-fiction, notamment celle des robots, de la cybernétique, et de l'intelligence artificielle. À l'origine de tout cela, le génie du professeur Satō, éminent savant japonais qui compte Mortimer parmi ses amis. Les découvertes du scientifique suscitent bien sûr la convoitise de certaines puissances étrangères, qui ont fait appel à Olrik pour faire mainmise sur les trois formules en question. Jacobs offre ici une bande dessinée d'espionnage captivante et équilibrée qui contient tous les ingrédients du genre : mises sur écoute, filatures, duperies, enlèvements, traîtres, etc. La première partie se déroule sans temps mort. La seconde moitié est moins riche en action, mais elle compense en suspense. Jacobs parvient à développer une inquiétante atmosphère de mystère autour de la villa de Satō. Olrik est bien entendu présent. Lui qui a toujours choisi ses planques avec soin se cache à bord d'un sous-marin qui sillonne la baie de Sagami, au sud-ouest de Tokyo. Le coup de maître ici, c'est le changement de cadre, un Japon qui fait le grand écart entre tradition et modernité. C'est Akira Satō ; personnage introverti, discret, modeste, respectueux des traditions, énigmatique (sans cliché) et génie qui fait presque de l'ombre à Mortimer. Le Japonais, d'ailleurs, se démarque de Septimus ou Miloch dans ce sens où il est l'antithèse du savant fou, travaillant pour le bien de l'humanité et conscient des risques que comportent ses inventions, d'autant que le contrôle de celles-ci lui a échappé. Jacobs - l'album aura exigé de nombreuses recherches - renoue avec sa technique des longs monologues pour expliquer des notions de technologie. Graphiquement, c'est remarquablement abouti. Les paysages et les représentations des véhicules (les avions, dont les F-104 Starfighter, le Hikari, les voitures, le sous-marin, les robots) laissent pantois. La scène de l'androïde Ozu est admirable. Notons la participation de Roger Leloup, le créateur de "Yoko Tsuno", à la conception du robot Samouraï. "Mortimer à Tokyo" vaudra à Jacobs le prix Saint-Michel 1972 du meilleur dessinateur de science-fiction.

"Mortimer à Tokyo" est le chant du cygne de Jacobs, un album qui ne peut se lire qu'avec une certaine mélancolie dans l'âme. Contrairement à ce qui a pu être écrit, il n'y a aucune "ringardise" dans cette œuvre, qui reste visionnaire quarante ans après.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. À la lecture de ton article, je n'arrive pas à déterminer ce qui lui vaut de n'avoir que 4 étoiles sur 5. Le délai d'attente de 10 ans ? Les longs monologues d'exposition ?

    Je suis admiratif de ton article (de la série d'articles) qui met en évidence les qualités d'auteur d'EP Jacobs et qui atteste du fait que e terme de ringardise n'est pas honnête.

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    1. Les quatre étoiles "seulement", c'est parce que la seconde partie est moins rythmée, et aussi - et surtout - parce que le premier tome diptyque a déjà un goût d'inachevé et qu'il génère une frustration à cause de l'ensemble de l'œuvre, Jacobs ayant été tout sauf un auteur prolifique.

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