vendredi 5 avril 2019

Blake et Mortimer (tome 19) : "La Malédiction des trente deniers" ("Le Manuscrit de Nicodemus") (Blake et Mortimer ; novembre 2009)

"Le Manuscrit de Nicodemus" est le dix-neuvième tome de la série "Blake et Mortimer", et le premier volet du diptyque de "La Malédiction des trente deniers". Cet album cartonné de cinquante-quatre planches est sorti en novembre 2009. Dans la chronologie du titre, cette aventure prend place entre "L'Étrange Rendez-vous" (1954) et "L'Énigme de l'Atlantide" (1955), l'éditeur et les auteurs essayant d'architecturer une continuité.
Jean Van Hamme en a écrit le scénario. Pour les dessins, c'est à la fois compliqué et dramatique, car René Sterne, qui avait commencé à mettre l'histoire en images, est décédé en 2006 alors qu'il avait réalisé un peu moins de la moitié de l'album. Van Hamme et l'éditeur ont cherché un "repreneur" pendant quelque temps, jusqu'à ce que la compagne - et coloriste - de Sterne, Chantal De Spiegeleer (c'est elle qui signe la couverture, dans une perspective assez inhabituelle, Mortimer y étant représenté de dos), se décide à continuer et à achever l'album.

En cette fin août 1955, un tremblement de terre relativement faible secoue la région de l'extrême sud du Péloponnèse, en Grèce. Cette zone n'étant guère peuplée, il n'y a aucune victime, seulement quelques dommages matériels, dont les restes d'un vieux village en ruines. Deux jours plus tard, un jeune berger guidant son troupeau dans les environs fait une pause. Il constate les dégâts sans réaction et s'installe pour manger. Son chien Triton tombe dans une crevasse en fouinant sur les lieux. Le garçon, pour le remonter, descend par une faille, puis se laisse glisser jusqu'à un portail en voûte. Il allume une torche pour passer le seuil et explorer l'endroit. La lumière révèle une crypte décorée de fresques murales au milieu de laquelle trônent, sur un socle de pierre, un coffret et un rouleau de parchemin. Plus loin, son chien, indemne, hurle à côté d'un squelette en position assise. Le jeune homme rassure Triton. Avant de remonter, il avance vers le coffret ; peut-être renferme-t-il un objet précieux. Mais l'animal se met à grogner...

L'intrigue de "La Malédiction des trente deniers" se déroule entre août et septembre 1955. Cette fois-ci, c'est en Grèce que nous emmènent les aventures de Blake et Mortimer, dans un récit qui mêle, entre autres, énigmes archéologiques, mystères religieux, sociétés secrètes, criminels de guerre nazis, et plans de domination du monde. Van Hamme propose une histoire prometteuse, bien que le personnage de Belos Beloukian et sa facette mégalomaniaque légèrement satirique soit plus inspiré de l'univers d'Hergé (1907-1983) que de celui de Jacobs (1904-1987). L'auteur, comme dans "L'Étrange Rendez-vous", butte sur les dialogues ; les protagonistes parlent souvent sans naturel, sur un ton docte, comme des extraits de guides touristiques, de livres techniques ou d'articles encyclopédiques, en témoigne ce soporifique voyage en train vers Kalamata (trente-quatrième et trente-cinquième planches). Dans l'ensemble, il est décidément étrange de voir à quel point les scénaristes de la reprise échouent à maîtriser la finesse des conversations jacobsiennes. Comme dans chaque album de l'ère post-Jacobs, l'un des rôles les plus importants est incarné par une femme au prénom symbolique (Eleni). La scène de l'atterrissage à Athènes (neuvième planche) et celle du musée, avec la Lincoln noire, sont des clins d'œil évidents au "Papyrus de Manéthon", le premier volet du "Mystère de la Grande Pyramide". En ce qui concerne les dessins, le travail de Sterne sur les deux héros et Olrik est convaincant, mais il l'est moins sur les personnages secondaires (faute de modèles ?), son trait davantage inspiré de celui de Bob De Moor (1925-1992) que de Jacobs manquant peut-être d'un poil de réalisme ; la différence est perceptible dès la première planche et à l'entrée en scène de chaque nouveau protagoniste. Quoi qu'il en soit, cela reste très honorable et très satisfaisant dans l'ensemble, notamment au niveau du soin accordé aux détails (véhicules, bâtiments, paysages, etc.), d'autant que De Spiegeleer, dans la seconde moitié, n'est pas parvenue à maintenir le même niveau d'imitation du style du maître, malgré sa bonne volonté et tous ses efforts. Le découpage est à l'identique du début à la fin : trois à quatre bandes horizontales, et entre cinq et onze vignettes par planche selon la densité de l'action. Enfin, la mise en couleurs de De Spiegeleer est somptueuse et absolument parfaite.

"Le Manuscrit de Nicodemus" pâtit d'une partie graphique malheureusement trop inégale (la faute au destin...) et des dialogues franchement poussifs de Van Hamme, des défauts que l'originalité du cadre et de l'intrigue ne compense pas entièrement.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Indépendamment de la qualité de cet album, je reste épaté par le fait que l'éditeur ait réussi à trouver autant d'artistes capables de reproduire le style d'EP Jacobs. En y réfléchissant, j'aurais cru qu'il aurait été plus difficile d'imiter la narration graphique que les dialogues. Or cela fait plusieurs tomes que tu constates l'inverse.

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  2. C’est vrai. Ça fait partie des éléments qui reviennent. Ça et la difficulté à vulgariser certains concepts « scientifiques » de la même façon sans employer de style docte ou ampoulé.

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