"Le Testament de William S." est le vingt-quatrième tome des "Aventures de Blake et Mortimer". Sorti en novembre 2016, l'album compte soixante-deux planches. Dans la continuité du titre que maison d'édition et auteurs essaient d'animer, il se situe entre "Le Sanctuaire du Gondwana" et "S.O.S. Météores".
C'est l'équipe artistique du "Bâton de Plutarque" qui est aux commandes : le scénario est d'Yves Sente, les dessins sont d'André Juillard, la mise en couleur est de Madeleine De Mille.
Fin août 1958, Londres, à côté des Kensington Gardens. La soirée des membres de la Diplomats of London Society est sur le point de se terminer. Ils viennent de fêter la nomination d'un confrère allemand. Ce dernier a passé un agréable moment, mais souhaite rentrer chez lui au plus vite afin d'éviter les foudres de son épouse, ce qui lui vaut les railleries des autres convives. Il leur explique qu'il a l'intention de couper à travers le parc pour gagner du temps. Ses camarades estiment que cela n'est pas prudent et le lui déconseillent, lui rappelant qu'une bande de vauriens, les Teddys, y rôdent la nuit. Le têtu diplomate ne s'en inquiète guère et fait ses adieux à ses amis. Plus loin, il est accosté agressivement par trois voyous qui lui réclament son portefeuille. L'Allemand leur résiste et tente de prendre la fuite. Les Teddys le rattrapent, le poussent dans un bassin du parc, et l'y rouent de coups, l'abandonnant inanimé. L'un d'eux se rend ensuite un club de jazz sur Oxford Street pour remettre leur larcin au patron du gang, un jeune dandy qui déguste du champagne avec deux jolies femmes. Celui-ci exprime sa déception devant son maigre butin. Son sbire invoque la méfiance accrue des citadins et les patrouilles de police plus nombreuses. Le leader le congédie, l'informant qu'il le recontactera lorsqu'il aura une affaire à sa portée. Le lendemain, le capitaine Francis Blake, du MI5, et Glenn Kendall, inspecteur-chef de Scotland Yard, sont convoqués par sir Isaac Hayward, représentant du Conseil du comté de Londres...
Après Lawrence d'Arabie et "Le Serment des cinq lords", Sente continue explore la légende auréolant un autre personnage iconique de l'Histoire britannique, William Shakespeare (1564-1616). Sente imagine, autour du mythe, une enquête et une rivalité de longue date entre deux confréries ; en parallèle, il développe une sous-intrigue axée sur les Teddy Boys, un gang londonien historique des années cinquante. Les deux fils se rejoignent intelligemment. L'album est néanmoins caractérisé par une linéarité très prononcée et par un rythme lent, dû à de nombreuses analepses qui reviennent sur les grands événements de la vie de l'un des protagonistes par le biais de la lecture de son journal par Elizabeth McKenzie, la fille de Sarah Summertown ; ce processus narratif inhabituel et long, qui conviendrait sans doute mieux au roman qu'à la bande dessinée, étouffe l'action et les dialogues, les rendant compliqués à développer. De même, la place prise par cet exercice et sa représentation graphique a pour conséquence une sous-utilisation des deux héros, sensation renforcée par la foultitude de personnages. Mortimer, que le public aura connu plus enthousiaste et plus sanguin (celui de Sente déçoit souvent par une caractérisation lisse, voire fade), n'intervient que pour demander à son interlocutrice d'accélérer la lecture de son récit. Enfin, et cela devient plus rare, mais les dialogues pèchent encore parfois par manque de naturel (conf. Salman, le majordome du marquis Da Spiri, donnant l'impression de réciter la fiche technique de son bateau). La tragédie shakespearienne l'emporte largement sur le suspense du scénario. Sente ajoute un élément supplémentaire avec la présente d'Elizabeth McKenzie ; le lecteur des albums de la reprise devinera aisément qui elle est vraiment. Juillard, le dessinateur, retranscrit le style du maître de façon satisfaisante, à défaut d'être entièrement convaincant. Il dissémine, çà et là, quelques références à l'univers de Tintin. Son découpage compte rarement plus d'une douzaine de cases par page, toutes soignées avec le goût et la patience d'un orfèvre (paysages, voitures, visages, bâtiments). Le déroulement de l'action est d'une limpidité irréprochable. Les plans sont peu variés. La mise en couleurs de De Mille, remarquable, propose une grande richesse de teintes et de tons. Tout cela a pour résultat un bel exemple de l'école de Bruxelles.
"Le Testament de William S." pâtit d'une narration et d'un récitatif trop lourds et denses, et d'une sous-utilisation des personnages. Malgré cela et l'absence de rythme, Sente fait preuve d'une imagination intarissable, et la régularité de Juillard étonne.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbuz
Je ne connaissais pas l'appellation d'École de Bruxelles : ton lien m'a permis d'en apprendre plus, et de pouvoir la situer par rapport à l'École de Marcinelle.
RépondreSupprimerJe suis impressionné par le fait qu'Yves Sente ait le courage de s'attaquer au monstre sacré qu'est William Shakespeare, s'en tire avec les honneurs. Je peux comprendre la frustration de a sous-utilisation des deux héros, parce que c'est une attente implicite dans une bande dessinée à leur nom, ainsi que le manque de caractère de Philip Mortimer. Je suis moins convaincu par l'inadéquation des analepses dans la bande dessinée. Alan Moore en fait un usage régulier dans Watchmen et elles participent de manière organique au travail de mémoire associé au travail de deuil suite à la mort d'Edward Blake.
Ici, ce n'est pas seulement les analepses qui prennent le pas sur le reste, c'est la relation de faits passés "en direct" (on voit effectivement Elizabeth lire le journal devant Mortimer).
SupprimerJ'apprécie cette technique, moi aussi, mais là j'estime que la place qui lui a été octroyée par Sente est trop importante.