mercredi 17 mars 2021

Adèle Blanc-Sec (tome 6) : "Le Noyé à deux têtes" (Casterman ; septembre 1985)

"Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec" est une série toujours en cours à ce jour lancée par le Valentinois Jacques Tardi en 1976 ; les deux premiers tomes ("Adèle et la bête" et "Le Démon de la tour Eiffel") sortirent directement en albums chez Casterman au même moment, janvier 1976. Les volumes suivants furent d'abord prépubliés dans "(À suivre)", magazine mensuel qui appartenait à l'éditeur, avant de sortir en albums. 
"Le Noyé à deux têtes", le sixième numéro, a été entièrement réalisé par Tardi à l'exception de la mise en couleurs, confiée à Jean-Luc Ruault, qui succède ainsi à Anne Delobel. Cet ouvrage au format 22,5 × 30,5 centimètres à couverture cartonnée compte quarante-six planches. Il s'agit de la neuvième édition. 

À l'issue du tome précédent, mafiosi et policiers s'entretuent dans le pavillon de Mouginot, à Paris ; puis Brindavoine suit les explications de la momie, et réveille Adèle. Ils partent à deux. 
Paris, place de la Bastille, le 11 novembre 1918, à 00h01. Deux gardiens de la paix - le brigadier Bleuziot et son coéquipier - viennent d'entamer leur ronde. Ils sont à pied, et marchent en tenant leur vélo à la main ; ils se dirigent vers le canal Saint-Martin. Le second de Bleuziot raconte la dernière de Caponi, qui n'avait jamais entendu parler de la mafia - de l'âme à Fia - alors que tout le monde sait que Fia était un poilu, un héros des tranchées, et un symbole. Mais Bleuziot n'en a pas entendu parler et il doit subir les moqueries de son adjoint. Il réplique en lui posant une devinette : "Quel est l'animal qui vit sur les frontières ?" Son subalterne se met à transpirer à grosses gouttes et Bleuziot lui propose de donner "sa langue au chat" : "Le lama !... Parce que : la Macédoine !" L'autre est confus : "L'âme a ses douanes ?..." Bleuziot veut-il dire qu'il y a des limites ? Son supérieur l'inquiète, son esprit lui fait peur, il l'embrouille... 

Sixième tome. Cette fois-ci, il sort quatre années après le précédent "Le Secret de la salamandre". Tardi multiplie les projets ; dès lors, la période d'attente de chaque nouvel album sera toujours plus longue. Après le ptérodactyle, la fausse divinité païenne, un pithécanthrope, le diable des Catacombes (faux lui aussi), et une momie, Tardi continue à explorer le bestiaire des créatures horrifiques : ici, une pieuvre gigantesque (qui n'est pas forcément d'inspiration lovecraftienne) hante Paris de façon presque ordinaire dans ce scénario alimenté par le surréalisme le plus saugrenu et l'absurde le plus débridé, et qui voit défiler phénomènes de foire et clowns assassins dans des délires qui sont - pas à tous les coups - drôles : la "lourdeur" de Brindavoine ; la représentation du cirque ; etc. Adèle endosse, derechef, un rôle passif : celui d'un témoin impuissant face aux événements, qui ne comprend rien à ce qui se produit, et qui ne peut que subir. Elle le constate elle-même, d'ailleurs : "En somme, on s'ingénie à me faire perdre mon temps ! Ne comptez pas sur moi pour tirer une quelconque "morale" à cette histoire !" La jeune femme est baladée d'un lieu à l'autre, sans agir, finalement indifférente à la folie ambiante. Pour le reste, les policiers, dépeints comme idiots, racistes, brutaux, et vulgaires (à s'engloutir des sandwiches à la morgue), en prennent - à nouveau - pour leur grade, et Tardi insiste sur son dégoût du patriotisme à la française et exprime ses doutes au sujet de l'Entente cordiale en utilisant des sosies de Blake et Mortimer particulièrement méprisants ("filthy Frenchie") ; allez, n'en jetez plus, Monsieur Tardi, la coupe est pleine ! Elle l'est même depuis plusieurs volets. Le fil narratif est linéaire à l'exception d'une analepse. Cette aventure - elle s'écoule sur une journée complète, celle du 11 novembre 1918, de 00h01 à 23h50 - exige un minimum d'attention et de mémoire concernant les clowns, notamment leurs différents surnoms. 
Les amateurs apprécieront de retrouver Paris par le crayon de Tardi comme cadre de l'histoire : la colonne de Juillet et la place de la Bastille, le canal Saint-Martin, le 43 de la rue Bezout, les Halles, le boulevard de Strasbourg et son église Saint-Laurent, le palais de Justice, le quai des Orfèvres, le passage Verdeau, etc. Le niveau de détail est très satisfaisant, autant dans les scènes d'extérieur que d'intérieur (l'immeuble - toits compris ! - où est situé l'appartement d'Adèle, l'appartement lui-même ou le bistrot). Cette partie graphique ne déçoit à aucun instant. La mise en couleur est soignée et suffisamment contrastée. 

Plus réussi que son prédécesseur, dans l'absolu, "Le Noyé à deux têtes" ne renoue pas avec le succès des deux premiers albums pour autant ; ceux qui seront parvenus à se familiariser avec l'absurdité de l'œuvre au fil de ses tomes le liront sans déplaisir. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz 
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2 commentaires:

  1. Tu passes de 2 étoiles pour le tome 5 à 3 étoiles pour le tome 6 : à ce rythme-là, c'est 5 étoiles pour le 8. :) Courage tu y es presque.

    Une pieuvre gigantesque qui n'est pas forcément d'inspiration lovecraftienne : pas si facile que ça de revenir à une pieuvre de type 20.000 lieues sous les mers, sans provoquer l'automatisme de l'association d'idées avec Cthulhu.

    Adèle endosse, derechef, un rôle passif : celui d'un témoin impuissant face aux événements, qui ne comprend rien à ce qui se produit, et qui ne peut que subir. Elle le constate elle-même, d'ailleurs : "En somme, on s'ingénie à me faire perdre mon temps ! Ne comptez pas sur moi pour tirer une quelconque "morale" à cette histoire ! - Je dois dire que c'est le genre de métacommentaire que j'aime beaucoup (même si je ne lirais pas que ça) = tourner en dérision la notion de héros pour juste revenir à un personnage principal jouant au mieux le rôle de catalyseur ou de témoin dans un univers dénué de sens et indifférent.

    Les amateurs apprécieront de retrouver Paris par le crayon de Tardi comme cadre de l'histoire : je me souviens encore de ce plaisir touristique, de voir Paris par les yeux de Jacques Tardi, plaisir similaire dans son adaptation des enquêtes de Nestor Burma.

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  2. En fait, cet album m'a parfois fait rire, je dois le reconnaître. C'est ce qui lui vaut ses trois étoiles. S'il n'y avait pas eu un minimum d'humour, je crois que j'en serais resté à deux. Mais comme tu dis : j'y suis presque. J'en reste pour l'instant à l'impression que j'avais eue il y a des années : seuls les deux premiers volets valent le détour, le reste est largement surestimé.

    Retrouver Paris sous le crayon de Tardi est effectivement un bonheur. Il y a quelque chose de presque pédagogique, dans sa démarche. Un peu à la manière d'un guide touristique, comme tu le laisses sous-entendre, d'ailleurs.

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