vendredi 11 juin 2021

Adèle Blanc-Sec (tome 7) : "Tous des monstres !" (Casterman ; octobre 1994)

"Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec" est une série toujours en cours à ce jour lancée par le Valentinois Jacques Tardi en 1976 ; les deux premiers tomes ("Adèle et la bête" et "Le Démon de la tour Eiffel") sortirent directement en albums chez Casterman au même moment, janvier 1976. Les volumes suivants furent d'abord prépubliés dans "(À suivre)", magazine mensuel qui appartenait à l'éditeur, avant de sortir en albums. 
"Tous des monstres !", le septième numéro, a été entièrement réalisé par Tardi à l'exception de la mise en couleurs, confiée à Jean-Luc Ruault, qui a succédé à Anne Delobel ; cet ouvrage au format 22,5 × 30,5 centimètres à la couverture cartonnée englobe quarante-six planches. Il s'agit de la septième édition. 

À l'issue du tome précédent, Tubœuf assassine Bouclard. Il est abattu. Adèle et Roy quittent le cirque. Roy et Brindavoine se retrouvent et vont "s'écluser un godet". Adèle rentre chez elle. 
Paris, au parc des Buttes-Chaumont, le 12 novembre 1918, à 14h00. Un poilu en uniforme s'y promène avec une nourrice qui pousse un landau abritant un nourrisson. Il semblerait que ce militaire se fasse passer pour un pilote de chasse ; il raconte à la jeune femme la sortie aérienne lors de laquelle il a abattu Manfred von Richthofen alias le Baron rouge, comment il a mis son Fokker en flammes. Il a lui-même été touché. Il ne contrôlait plus son Spad, parti en vrille, d'autant qu'il était salement blessé à la main (son bras droit en écharpe est encore recouvert de bandages). Il a vu le sol se rapprocher. Au moment où le triplan de l'ennemi s'est écrasé, il a cru qu'il allait mourir, lui aussi. L'espace d'un instant, il s'est dit qu'il ne reverrait plus ni sa mère, ni la France, sa patrie, ni elle, sa petite chérie. Mais il est parvenu à rétablir son appareil in extremis et à le poser sur le terrain. Mission accomplie, il a descendu le Baron rouge... 

Septième tome ; les périodes entre les ouvrages sont de plus en plus longues, puisqu'il aura fallu patienter neuf années pour avoir la suite du "Noyé à deux têtes", dont il est préférable de connaître les événements. La raison de l'attente est la même que celle de la transition précédente : la multiplication des projets de l'auteur. Après le ptérodactyle, le pithécanthrope et la pieuvre rouge géante, les monstres, dans ce tome, ce sont les hommes, les décisions brutales qu'ils imposent à leur entourage, leur manque d'empathie, leur mépris, et ces souffrances qu'ils infligent à leur prochain. Pour le reste, Tardi conte encore et toujours la même histoire ; une succession vaudevillesque de quiproquos et de chassés-croisés découlant d'une intrigue absurde d'une durée de vingt-quatre heures où Adèle, à nouveau, ne joue aucun rôle actif. Témoin malgré elle, elle se borne à râler et à afficher son dédain de tout et de tout le monde. L'auteur continue à vociférer contre les bourgeois, les commerçants, les patriotes, les savants, les policiers, les militaires, et n'en finit plus de donner libre cours à sa misanthropie ; seulement, voilà, cela fait sept tomes que le lecteur subit la hargne de Tardi et l'agacement commence - lentement, mais sûrement - à céder à l'ennui à moins que ce ne soit l'inverse. L'humour est toujours là, mais il se répète malgré le lot de nouveaux venus (Tardi veille à l'équilibre entre personnages récurrents et nouveaux protagonistes) et les cocasseries qui se fondent dans le détail : par exemple, Flageolet qui essaye plusieurs déguisements. Il y avait pourtant un soupçon de fantastique plus intéressant dans ce tome, mais il n'est pas exploité, en fin de compte. En dépit de son démarrage accrocheur, "Tous des monstres !" s'enlise dans les défauts habituels de la série. Absurde et grand-guignol sont poussés trop loin, et le dénouement - la mécanique ne change pas, Tardi réunit les protagonistes dans un grand capharnaüm verbal avant l'épilogue - a un goût de déjà-vu prononcé. 
Il reste les dessins ; or, Paris par Tardi, c'est quelque chose d'unique. Le parc des Buttes-Chaumont, le 43 de la rue Bezout, les troquets, les colonnes Morris, le quai des Orfèvres, le pont au Change, le palais Garnier, ou encore les égouts : autant de lieux emblématiques pour les amoureux de la capitale, sans oublier le soin apporté aux décors en général, aux véhicules et aux costumes d'époque. Le lecteur admirera la minutie et le sens du détail de l'artiste : les machines du professeur Dieuleveult ou, plus "simplement", le reflet des pavés dans la nuit parisienne, à la lueur des réverbères. L'art de Tardi, c'est aussi cette régularité dans la clarté du découpage. 

Bien que la partie graphique soit d'exception, "Tous des monstres !" est assurément l'album le moins captivant d'une série qui - malgré les longues pauses - échoue à se renouveler dans le fond et la forme, et qui sert la même formule au fil des volumes. 

Mon verdict : ★★☆☆☆ 

Barbüz 

2 commentaires:

  1. Retour à 2 étoiles : c'est raté, la série n'atteindra pas les 5 étoiles pour le tome 8. :)

    Absurde et grand-guignol sont poussés trop loin, [...] la mécanique ne change pas. - Oui, je triche un peu dans la manière dont je lis ta phrase. D'un côté, j'aime beaucoup le cocktail Absurde & Grand-guignol, donc je serais plutôt content de retrouver les mêmes ingrédients. D'un autre côté, j'ai beaucoup de mal avec la mécanique que tu décris (réunir tous les protagonistes dans une grande scène d'explication) que je trouve très artificielle et un peu paresseuse en termes narratifs, aspect artificiel ressort encore plus en BD qu'en roman (par exemple la scène d'explication finale dans les enquêtes d'Hercule Poirot passe mieux en roman qu'en BD).

    La minutie et le sens du détail de l'artiste : c'est également une grande source de plaisir de lecture pour moi, y compris le reflet des pavés dans la nuit parisienne.

    J'aime beaucoup cet article avec la composante analytique objective quant aux qualités et défauts de l'ouvrage, ce qui me permet d'estimer mon propre ressenti sur ces caractéristiques, et la composante avis personnel qui apporte une réaction émotionnelle.

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    1. Je ne sais pas ce qui me pousse à continuer la lecture de cette série. Son statut ? Celui de son auteur ? L'espoir d'avoir mieux à chaque tome ? J'aurais dû m'arrêter après le second. Enfin... il ne m'en reste que deux.

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