Sorti en août 2016, dans la collection "DC Deluxe" d'Urban Comics, "Le Culte" est un ouvrage au format 17,5 × 26,5 centimètres, à couverture cartonnée ; il comprend une aventure complète de Batman d'environ cent soixante planches. Au sommaire : la version française intégrale de "The Cult", une minisérie en quatre numéros, publiée entre août et novembre 1988 en version originale. Ce récit était déjà paru en France sous un autre titre - "Enfer blanc" - et en quatre volets cartonnés (nº12 "Épreuve", nº14 "Capture", nº16 "Évasion", nº18 "Vengeance"), d'une petite cinquantaine de pages chacun, qui furent publiés entre janvier et avril 1989 par le défunt éditeur Comics USA, dans sa collection "Super-Héros USA".
L'histoire a été écrite par le scénariste James P. Starlin, auteur de "Cosmic Odyssey", notamment, peut-être plus célèbre pour ses travaux chez Marvel. Les dessins et l'encrage ont été réalisés par Berni Wrightson (1948-2017) qui fut, entre autres, le cocréateur de Swamp Thing. La mise en couleurs est confiée à William Wray.
Le domaine Wayne. Le ciel crépusculaire est rouge sang. Un Bruce Wayne enfant observe une sinistre maison de maître. Mais bien qu'il soit passé à cet endroit à plusieurs reprises, il ne se rappelle pas l'avoir déjà vue ; quelle est cette folie ? Il y pénètre, même si son intuition l'exhorte à rentrer au manoir, pour informer son père de cette apparition spectrale ; mais quelque chose l'appelle, comme s'il était envoûté par la silhouette de cette bâtisse. La sueur lui coule dans le dos, et son cœur bat la chamade. Il n'a rien à faire là, mais le "goût sucré de l'interdit" l'incite à rester ; le danger, la mort. Il savoure cette peur qui essaie de le submerger ; elle ne peut pas l'affecter, car il est "jeune et invulnérable". En traversant une étrange salle d'armes, il se sent tel un "aventurier cherchant à découvrir un profond mystère", comme dans les livres. Il va trouver un trésor et vivre heureux à jamais, pas vrai ? Le doute l'assaille tandis qu'il fait face à la porte au bout du couloir...
La deuxième moitié des années quatre-vingt fut une période de renouveau pour DC Comics et Batman, après "Année un" (1987), "The Dark Knight Returns" (1986), "The Killing Joke" (1988), ou "Arkham Asylum" (1989), subit cette vague plus que n'importe quel autre héros. "Le Culte" s'inscrit dans cette mouvance. Batman n'avait encore jamais été brisé comme cela, physiquement comme psychologiquement. En face, Joseph Blackfire alias le Diacre. Starlin montre en lui toutes les facettes d'un chef de secte : mystique, escroc, criminel, suicidaire, et manipulateur des individus et des masses. Il incarne ce que la religion véhicule de pire : endoctrinement, rage envers les infidèles et les pécheurs, non-partage des richesses (le Diacre dissimule son opulence). Starlin dépeint une Gotham City post-apocalyptique où la civilisation recule devant le fléau lâché par cet homme ambitieux qui s'est bâti une armée en enrôlant les laissés-pour-compte. La barbarie de l'histoire surprend : pendaisons, meurtres, et amoncellements de cadavres... Starlin évoque l'opinion des citoyens ordinaires par le biais des médias ; écœurés par la criminalité rampante, ils fermeront les yeux lorsque l'ordre nouveau va instaurer la terreur. La naïveté du comic book coutumier est loin ; jamais un récit de Batman n'avait été si sauvage. La violence (quelquefois gratuite) est poussée aux limites permises par ce médium, dans une intrigue non linéaire où la symbolique, sous la forme d'allégories, a une place importante.
Athlétique et musculeux, le Batman de Wrightson est robuste, tel un grand fauve toujours prêt à bondir. Son masque est affublé d'oreilles plus longues que d'habitude ; changeant, il reflète les émotions. Wrightson creuse d'ailleurs les expressions faciales. Son Robin vigoureux est loin de l'adolescent fluet et virevoltant. L'artiste, même s'il abuse de l'itération, livre des compositions phénoménales : la bagarre dans les égouts ou l'affrontement entre Batman et le Diacre. Le niveau de détail est suffisant la plupart du temps, mais les arrière-plans sont parfois rationalisés. Le surprenant travail sur les couleurs participe à cette atmosphère de guerre civile infernale. Gray emploie fréquemment la trichromie, principalement pour les séquences se déroulant dans la pénombre ou durant la nuit ; le résultat pourra néanmoins diviser.
Bien supérieure à celle de Janine Bharucha dans l'édition Comics USA, la traduction de Jean-Marc Lainé est très satisfaisante, bien que sa ponctuation soit perfectible, et que le nom d'une entreprise (en VO : "United Clothing Company" ) ait été adapté.
"Le Culte" est plus fouillé qu'il n'y paraît ; certes, il présente plusieurs similarités avec "The Dark Knight Returns", les deux montrant Gotham au bord du chaos, mais là où Miller évoque le crépuscule du superhéros, "Le Culte" met en scène sa résilience.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
4 étoiles : ça correspond également à mon ressenti. Totalement sous influence de The Dark Knight Returns, Starlin écrit à la manière de Frank Miller et l'utilisation des médias en est l'exemple le plus flagrant. Bernie Wrightson a abandonné le fini si particulier qui caractérisait ses dessins précédemment pour une apparence plus rugueuse et immédiate, pas toujours agréable. Quant aux couleurs de Bill Wray, il me semble que les teintes les plus criardes ont été atténuées dès la seconde édition. Mais d'un autre côté, quel défouloir !
RépondreSupprimerCelui-là, je ne sais plus combien de fois je l'ai lu. Je crois que c'est l'histoire de Batman que j'ai le plus lue. C'est aussi celle qui a fait de moi un Bat-maniaque.
SupprimerCette énième lecture - la première de l'édition Urban Comics - m'aura au moins permis de lui attribuer une note plus argumentée et plus objectivée que celles que j'avais données aux quatre tomes de l'édition Comics USA (je crois que j'avais mis cinq étoiles à trois des quatre tomes, et quatre à l'autre).
C'est intéressant de découvrir le contexte de ta lecture, car ça me permet de le comparer au mien. J'ai ressenti de plein fouet que The Cult arrivait après The Dark Knight Returns car j'avais lu ce dernier avant. Du coup, à mes yeux, il était criant que The Cult était écrit à la manière de Frank Miller, ce qui a eu pour effet de le déprécier à mes yeux.
SupprimerCela dit, si tu lui as attribué quatre étoiles ou équivalent, je suppose que tu lui as quand même trouvé des qualités, à cette mini ?
SupprimerOui. Mon premier plaisir était de retrouver 2 créateurs que j'aime beaucoup Starlin pour Adam Warlock en particulier et ses récits cosmiques pour Marvel en général, Wrightson pour ses histoires d'horreur, les épisodes Swamp Thing et ses illustrations de Frankenstein.
SupprimerJ'avais bien aimé cette histoire. Ce que j'en pensais :
En 1986, The Dark Knight Returns de Frank Miller donne une vision intense, inédite et remarquable du personnage de Batman. Les fans sont comblés, les responsables des 2 séries mensuelles sont angoissés : qui va oser écrire les aventures mensuelles de Batman ? Quel que soit cet inconscient, il sera comparé à Frank Miller, et il est certain qu'il ne pourra pas faire aussi bien. Pour autant, il faut absolument profiter de ce renouveau d'engouement pour le personnage. C'est John Wagner et Alan Grant qui s'y collent sur Detective comics (en février 1988), et Jim Starlin sur Batman (en décembre 1987). Peu de temps après son arrivée sur la série mensuelle, Starlin a le droit de réaliser une minisérie en 4 épisodes intitulée The Cult initialement parue en 1988.
L'influence de DKR est manifeste à la fois dans le scénario et les dessins. Batman a un aspect massif et très musculeux. Les pages regorgent d'extraits d'émissions de télévision (essentiellement des infos). La criminalité des rues est devenue plus cruelle et plus violente. Les méthodes de Batman se durcissent également. Mais bien sûr, Jim Starlin ne sait pas rédiger des dialogues aussi percutants que Miller et les illustrations de Bernie Wrightson n'ont pas l'impact visuel de celles de Miller. Pour autant The Cult n'est pas qu'une copie fadasse des aspects les plus saillants de DKR.
Jim Starlin utilise une idée intéressante (à défaut d'être nouvelle) mettre Batman dans une posture où sa force de caractère a été anéantie. Comme toujours, ce qui donne toute sa saveur à cette histoire, c'est que le méchant est vraiment réussi. Starlin ne se contente pas de créer un homme de Dieu qui se vautre dans le luxe aux dépends de ses fidèles ; il lui donne la logique des télévangélistes, leur charisme et leur foi. Deacon Blackfire n'est pas dupe de du jeu qu'il joue, mais son cynisme n'est pas incompatible avec sa foi. Alors bien sûr certains passages à la manière de Frank Miller sonnent faux parce que seule la forme est reproduite, pas le fond. Mais d'un autre coté, le scénario place Batman dans une position désespérée où il est vraiment en danger avec une logique narrative solide.
Concernant Wrightson, il n'est pas au meilleur de sa forme. Il a choisi un mode de dessins rapides, il a recours plusieurs fois au photocopiage pour éviter de redessiner des cases (une même case est reproduite une dizaine de fois sur la même page) et certaines mises en scène relèvent de l'infantilisme (Robin en train d'enfiler sa chaussure verte). Il a par contre de beaux restes pour ce qui est de la mise en page et du rendu des éléments les plus gothiques. Au final, les illustrations sont d'un niveau supérieur à la moyenne, mais très en deçà de ses travaux antérieurs. Bill Wray avait choisi une mise en couleurs audacieuse à base de couleurs primaires pétantes qui a heureusement été adoucie dans cette édition.
Merci de ce partage ; je vois qu'on est en phase sur une majorité de points.
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