Sorti chez Urban Comics le 22 janvier 2017, dans la collection "DC Essentiels" de l'éditeur, "Dark Knight: The Last Crusade" est un recueil au format 19,0 × 28,5 centimètres à couverture cartonnée de cinquante-six planches approximativement, sans les bonus. Cet ouvrage comprend la version française de "The Dark Knight Returns: The Last Crusade" : une histoire complète, conçue pour la franchise Batman et publiée en version originale en août 2016.
"Dark Knight: The Last Crusade" est coécrit par Frank Miller ("Année un" et "The Dark Knight Returns", sans oublier - côté Marvel - les "Daredevil") et Brian Azzarello (cf. "Lex Luthor", "Joker", "Wonder Woman"). Les dessins sont produits par John Romita Jr. et encrés par Peter Steigerwald ; Steigerwald en est aussi coloriste.
Les forces de l'ordre ramènent le Joker à l'asile Arkham. Intimidés, les agents procèdent avec grande prudence, sans pour autant rechigner à lui asséner quelques coups, ce qui n'empêche pas le Clown prince du crime de débiter des plaisanteries sarcastiques et des allusions menaçantes et de laisser sous-entendre qu'il ne restera pas enfermé bien longtemps. Le criminel divaguant - son visage est en sang à la suite des coups reçus - et son escorte suivent le couloir d'une aile. Le cortège passe devant les portes des cellules des internés et provoque un concert de glapissements aussi grotesques que sinistres. Le Joker salue cette "symphonie de hurlements". Tandis qu'il continue son numéro, il est jeté au fond de sa nouvelle cellule. Un policier lui souhaite un bon retour à Arkham. Le lendemain matin, sur un plateau de télévision, deux présentateurs, Candy Forsythe - une blonde affriolante - et Len Wright - lunettes et complet-veston - saluent les téléspectateurs de "Bonjour Gotham", "la matinale la plus regardée" de la cité. Wright souligne que c'est effectivement un "bon jour pour Gotham", parce que le Joker est à nouveau derrière les verrous depuis hier au soir. Candy présume que toute la ville a dû être soulagée...
À sa sortie, "The Last Crusade" fut - trop ? - rapidement présenté comme le trait d'union entre "Année un" et "The Dark Knight Returns". Faut-il questionner la sincérité artistique de cette parution ? Miller aurait-il donc encore quelque chose à dire sur Batman et le Joker, trente ans après "Année un" ? Les scénaristes focalisent l'intrigue sur Jason Todd, le deuxième Robin. Bruce Wayne est vieillissant ; il s'en rend compte lui-même. Il est dépeint comme un justicier qui n'est plus suffisamment fougueux pour gambader d'un immeuble à l'autre ; il est malmené par Robin à l'entraînement, doit avaler des antalgiques pour surmonter ses douleurs, est sérieusement menacé lorsqu'il affronte Killer Croc, et - il l'avoue lui-même à Selina Kyle - son corps "va bientôt lâcher". Chacune de ses victoires est remportée dans la douleur ; le Chevalier noir doit constamment puiser dans ses réserves pour survivre et vaincre. Il continue néanmoins à avoir "sincèrement foi" en sa mission. C'est plutôt son héritage qui est remis en doute, car Todd est au cœur de ses inquiétudes, malgré les propos rassurants d'Alfred, qui établit des parallèles entre Wayne et le jeune orphelin. Les auteurs repoussent les limites de la caractérisation de Todd en accentuant son indiscipline et son insoumission à son mentor. Pire, ils le présentent comme un acolyte dépourvu d'empathie qui prend plaisir à la brutalité et au goût du sang. Peu convaincant. Quant à la version du Joker, elle est sans intérêt ; ses capacités sont revues à la hausse sans que ce soit crédible, une tendance lourde depuis la "Renaissance DC". Le ton est réaliste. À part l'omnipotent Joker, il y a une certaine normalité qui se dégage du récit. Les auteurs réutilisent des éléments narratifs de "The Dark Knight Returns", du réchauffé qui n'a plus le goût de la nouveauté. La fin a du sens, mais elle est trop abrupte. Soixante planches, ça file. Le lecteur se dira qu'il a à peine commencé l'album qu'il arrive déjà au dénouement, sans que la tension ne monte vraiment.
Le trait de Romita Jr. est immédiatement identifiable, notamment grâce à la géométrie des visages : les regards, les nez, les mentons. Son Batman est massif. Avec un maquillage peu prononcé et une chevelure à la teinture moins criarde, le Joker est loin du canon habituel. Les contours des personnages ne sont pas d'une précision et d'une netteté cliniques. Avec cet encrage, qui consiste en de légères et nombreuses hachures ou zébrures, cela donne un aspect brut et moins fini aux compositions du dessinateur. Le niveau d'expressivité est suffisamment varié. Pour son quadrillage, Romita alterne bandes horizontales et verticales. Son agencement des bandes et des vignettes est plutôt classique, avec un emploi du format 16/9e pour un rendu cinématographique. La diversité des plans est satisfaisante, le découpage est clair.
La traduction a été confiée à Jérôme Wicky, l'un des meilleurs professionnels du circuit actuellement. Dans l'ensemble, son texte est d'une qualité appréciable ; c'est à peine s'il faut remarquer une petite onomatopée non traduite ("koff" pour "tousse").
Volonté de compléter une œuvre qui ne le demandait pas nécessairement, pétard mouillé artistique ou coup commercial, "Dark Knight: The Last Crusade" ne tient pas toutes ses promesses, finalement, et s'avère largement, très largement dispensable.
Mon verdict : ★★☆☆☆
Barbüz
J'ai été moins sévère que toi : 4 étoiles. Mais j'ai relevé des caractéristiques similaires à celles que tu pointes :
RépondreSupprimerIl est pratiquement impossible de résister à la curiosité de lire ce court récit pour savoir, pour assister à ce qui est déjà dit dans The Dark Knight returns. Frank Miller & Brian Azzarello explicitent ce que le lecteur sait déjà, avec une sensibilité un peu émoussée, au point que les personnages en viennent souvent à se comporter comme des stéréotypes, neutralisant ainsi l'émotion et l'empathie. John Romita junior effectue un travail professionnel très fluide comme à son habitude, et livre une interprétation de Joker qui fait ressortir toute sa monstruosité. Dans le même temps, il réalise des planches similaires à celles de ses comics produits mensuellement, plus attaché à la mise en scène séquence par séquence, que conçue à l'échelle de ce récit assez bref.
Je ne te cacherai pas que cette publication m'a "choqué" ; je la trouve opportuniste. La déception est de taille. Je ne sais même pas pourquoi j'attendais autre chose. Sans doute ce groupe de gloires des comics aux manettes m'a fait espérer le meilleur, alors que j'avais un "mauvais pressentiment" rien qu'en regardant cette couverture somme toute banale. J'aurais dû le feuilleter avant de l'acheter, j'aurais sans doute vu que la moitié de l'album était composée de crayonnés.
SupprimerJ'avais conscience que le récit est court avant de l'acheter et avant de le lire, et j'avais bien noté la présence d'Azzarello à l'écriture. Du coup, j'avais revu mes attentes à la baisse avant même d'en entamer la lecture. Pareil pour Dark Knight III The master race. Une autre partie de mon commentaire pour The last crusade :
SupprimerDéconnectée de son contexte éditorial, cette histoire laisse une impression mitigée, entre drame intimiste aux dialogues trop convenus, mise en images virtuose mais pas tout à fait assez consistante, une sorte de récit au format franco-belge, auquel les auteurs eux-mêmes ne semblent croire qu'à moitié. Mais le pourcentage de lecteur de comics, ignorant de Dark Knight returns, doit être assez faible. En effet ce récit paru en 1986 (30 ans avant celui-ci) reste toujours parmi les meilleures ventes de l'éditeur, tous les ans. Frank Miller a marqué durablement le personnage de Batman avec cette version du Dark Knight, et il y est d'ailleurs revenu à 3 reprises : SPAWN/BATMAN (1994) dessiné par Todd McFarlane (couleurs de Steve Oliff), Batman The Dark Knight strikes again (2001/2002) dessiné par Frank Miller (couleurs de Lynn Varley), All Star Batman & Robin, the Boy Wonder (2005-2008, VO) dessiné par Jim Lee (encrage de Scott Williams et couleurs d'Alex Sinclair). La parution de The last Crusade intervient à l'occasion de son quatrième ajout : Batman Dark Knight III (2015-2017) coécrit par Frank Miller & Brian Azzarello, dessiné par Andy Kubert, encré par Klaus Janson et mis en couleurs par Brad Anderson. Pour les lecteurs de DKR, c'est un retour en demi-teinte puisque Frank Miller ne dessine pas l'histoire, et collabore avec un coscénariste pour différentes raisons, en particulier de santé.
Par la force des choses, le lecteur compare donc ce récit à DKR, et le lit avec les événements de DKR en tête. Avec cette connaissance préalable, il connaît déjà l'intrigue, à l'exception du stratagème menant à la mort de riches citoyens et de son concepteur. En outre, il sait également ce qui va arriver à Bruce Wayne et à Jason Todd. Pour le coup, l'intérêt de la lecture se reporte alors complètement sur la dimension dramatique, sur le comportement des personnages, leurs motivations et l'étude de caractère. Or les dialogues restent toujours convenus, et les motivations restent celles déjà contenues et évoquées dans DKR. En outre la narration perd de son efficacité du fait des dessins qui ne portent pas la même sensibilité que celle de ceux de Frank Miller. Même en conservant sa personnalité artistique, John Romita junior ne parvient pas à se mettre en phase avec la vision de Miller, à l'exception de Joker, vraiment très réussi dans sa froideur perverse. De même Brian Azzarello reste dans un registre fonctionnel pour les dialogues, alors que dans ses propres séries (comme 100 bullets) il leur donne une saveur inimitable. Du coup, le lecteur en est réduit à se contenter d'avoir la confirmation très explicite de ce qui est déjà sous-entendu de manière plus sophistiquée dans DKR.
La version complète :
https://www.babelio.com/livres/Miller-Batman-Dark-knight--The-last-crusade/893759/critiques/1558897
Merci pour le partage.
SupprimerLes problèmes de santé de Miller : tu en sais plus ?
Non, je n'en sais pas plus car visiblement il ne s'est pas étendu sur les réseaux sociaux. Sur les photographies de 2014/2015, il était très émacié comme rongé de l'intérieur et ne pesant plus très lourd. Il semble s'être un peu remplumé depuis.
Supprimerhttps://comicvine.gamespot.com/forums/gen-discussion-1/poor-frank-miller-1624637/
J'avais vu qu'il avait pris un coup, c'est clair. Il y avait beaucoup de discrétion autour de ce qui l'affectait. Mais là, l'article ne laisse plus place au doute.
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