mardi 5 octobre 2021

Monster (tome 6) : "La Forêt des secrets" (Kana ; décembre 2002)

Sorti en décembre 2002 chez Kana (collection "Big Kana"), "La Forêt des secrets" est le sixième numéro de la version française du manga seinen "Monster". C'est un album format 12,8 × 18,0 cm à couverture flexible de quelque deux cent quinze planches en noir et blanc, qui se lit de droite à gauche. Au Japon, "Monster" fut publié en magazine, de 1994 à 2001, avant d'être édité en volumes reliés de 1995 à 2002. En France, "Monster" est sorti en dix-huit volets entre 2001 et 2005, réédités, entre 2010 et 2012, en une intégrale en neuf recueils, de deux tomes chacun. 
"La Forêt des secrets" est entièrement réalisé (scénario, illustrations, et encrage) par le Tokyoïte Naoki Urasawa ; Urasawa est également connu pour "Yawara !" ainsi que "20th Century Boys"

À l'issue du tome précédent, le commissaire Heinrich Runge retrouve la trace de Tenma, qui enquête dans la maison des Kopp. Giebel le poignarde tandis qu'il est sur le point d'arrêter Tenma. 
Tenma saute par la fenêtre, et détale sans demander son reste. De l'autre côté du mur, dans le salon de la demeure des Kopp, Gielen maintient le couteau enfoncé dans le flanc de Runge, lui arrachant un gémissement de douleur ; d'un effort surhumain, Runge l'attrape par le col, et réussit à le faire tomber. En nage, le regard fou, Gielen énonce que si Runge disparaît, "personne ne saura". Runge doit donc disparaître. Le policier le toise avec mépris, le traite de gêneur, saisit son pistolet automatique, et lui loge une balle dans la cuisse droite, juste au-dessus du genou ; Gielen pousse un hurlement. Runge réarme aussitôt. Gielen passe alors aux aveux en implorant la pitié de Runge : c'est lui qui a tué les Kopp, il se rend ! Runge tire à nouveau, cette fois-ci dans la cuisse gauche. Il n'a que faire de Gielen, donc qu'il ne traîne pas dans ses pattes. À l'extérieur, Tenma s'est précipité vers sa voiture. Il tente de démarrer. L'allumage est capricieux... 

Le premier chapitre, une confrontation totale entre Tenma et Runge, lors de laquelle le policier pousse Tenma dans ses retranchements, est mémorable ; c'est tendu à bloc, et bien que ce soit prévisible, c'est brillant ! Mais le personnage essentiel du numéro, c'est Eva Heinemann. Lorsqu'il s'agit de mettre en scène la jolie bourgeoise pendant sa descente aux enfers, l'auteur ne lésine pas : en neuf pages, elle passe une nuit en cellule de dégrisement, ramasse des mégots dans les caniveaux, s'essaye à la prostitution, et chipe sa gnôle à un clochard. Quatre chapitres lui sont accordés dans ce qui est l'une de ses partitions les plus étoffées depuis le début : la preuve qu'elle a encore un rôle à jouer. Il est intéressant de noter qu'elle n'attire que le mépris, ou l'indifférence de ceux qu'elle croise : les policiers, le gérant de l'hôtel, son ex, tout comme cette manière dont elle traite Angelina Berger, un reflet de ce qu'elle fut un jour. Le lecteur, dans cette première moitié, fait aussi la connaissance du numéro deux d'un syndicat du crime et son garde du corps, Helmut. Une introduction curieuse, car il n'est pas dans les habitudes d'Urasawa de compresser sa narration des événements ; pourtant, un lien sera établi avec Otto Heckel et "511 Kinderheim". La deuxième partie est encore plus déroutante : elle est en effet focalisée sur un groupe de protagonistes entièrement nouveaux. Elle a pour cadre la ville de Munich et son université. Ce n'est pas la première fois que le scénariste place l'action dans le milieu universitaire : déjà "Surprise Party" se déroulait notamment à Heidelberg. Le lecteur réalise que "Monster" couvre toutes les générations. Neuf chapitres, des moments attendus qui tiennent leurs promesses, mais malgré tout le lecteur n'a pas nécessairement la sensation que l'intrigue principale progresse beaucoup. L'auteur continue à ouvrir les tiroirs d'une histoire qui gagne en complexité à chaque nouveau volume : nouveaux enjeux, nouveaux lieux, et nouveaux personnages. 
La partie graphique ne présente pas de changement par rapport aux recueils précédents. Elle se caractérise par des décors fouillés, des accessoires précis, par un sens du détail et un réalisme qui pourraient, dans l'absolu, se retrouver dans tout autre style de bande dessinée. En revanche, les silhouettes et les visages des personnages sont très ancrés dans le genre manga : des physiques parfois idéalisés (Tenma, Eva, Johann), des contours fins et réguliers, un aspect lisse des visages, avec un encrage extrêmement léger, voire inexistant pour les personnages les plus jeunes. Il faut admettre que la variété des physionomies n'est pas le point fort d'Urasawa, qui utilise un peu trop souvent les mêmes regards, mêmes nez ou mêmes formes de têtes. Cette remarque s'applique autant aux personnages masculins que féminins. 
La traduction a été confiée à Thibaud Desbief, qui traduit les dix-huit numéros ; à moins d'être japonisants accomplis, les lecteurs ne pourront comparer le résultat au matériau d'origine. Le texte de Desbief est soigné ; aucun reproche n'est à formuler. 

Urasawa soigne l'écriture de "La Forêt des secrets"et y diversifie ses intrigues ; c'est peut-être avec ce sixième volume, finalement, que le lecteur comprend qu'il n'en est toujours qu'au début de la série, et que celle-ci est de plus en plus tentaculaire. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz 

2 commentaires:

  1. Compresser la narration des événements, se focaliser sur un groupe de protagonistes entièrement nouveaux, couvrir toutes les générations : c'est très édifiant de lire ainsi tes observations. Je retrouve dans ces critères plusieurs de ceux que je pouvais attendre dans des polars ambitieux. Je rajouterais une enquête qui met à jour un défaut (ou plusieurs) de la société et qui progresse dans plusieurs classes de la société. J'ai l'impression que tu as déj pointé cette 2ème caractéristique, et peut-être même la 1ère.

    Nouveaux enjeux, nouveaux lieux, et nouveaux personnages. - Autre observation qui a attiré mon attention car je n'ai jamais eu un sens de l'observation assez développé pour parvenir à détecter comment un mangaka structure son intrigue sur une pagination aussi volumineuse.

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    1. Ce qui m'a vraiment étonné, à la lecture de ce tome, c'est que j'ai eu l'impression d'ouvrir un tiroir de plus dans une intrigue qui en comprend déjà beaucoup. Malgré les qualités de la narration, tout cela n'avance pas beaucoup alors que j'ai déjà lu un tiers des tomes. Je suppose que l'intrigue va finir par se recentrer à un moment ou à un autre.

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