dimanche 31 juillet 2022

Durango (tome 12) : "L'Héritière" (Soleil ; avril 1994)

"Durango" est une série de western spaghetti lancée en 1981 par le Belge Yves Swolfs, célèbre également pour "Dampierre", "Légende""Le Prince de la nuit", etc. "Durango" sera d'abord publié par Les Archers puis par Dargaud, Alpen Publishers, Les Humanoïdes associés, et enfin par Soleil (du groupe Delcourt) depuis 2003. La maison continue la publication et a réédité la somme. Si Swolfs a produit les treize premiers numéros en solo ou parfois avec un coloriste, il se fait remplacer au dessin à partir du quatorzième volume (en 2006) : "Un pas vers l'enfer"
"L'Héritière" est le douzième volet. Paru chez Alpen en avril 1994, sans prépublication, ce recueil cartonné au grand format (30,0 × 23,0 cm) inclut quarante-six planches. Swolfs scénarise et réalise dessin et encrage ; sa femme Sophie Lafon/Swolfs (créditée en dernière planche) a composé la mise en couleurs. 

Précédemment, dans "Durango" : Fuyant Nortonville, Durango s'enfonce dans les Rocheuses. Maxwell et ses nervis sont à ses trousses. Acculé, pris sous leur feu, et blessé, il tombe à l'eau. 
C'est le soir, le soleil s'est couché. Une tempête de neige s'abat brusquement sur les Rocheuses. Quatre cavaliers, des sbires de Maxwell, sont surpris par sa virulence. Le meneur de la bande peste, il n'a jamais vu une tempête arriver "aussi vite". La situation est claire, il leur est impossible de redescendre vers Nortonville sans risquer de se perdre et de "tourner en rond". Ils doivent donc se trouver un abri pour la nuit. L'un de ses acolytes se souvient alors que la mine Carson n'est pas très loin, il y reste quelques cabanes, semble-t-il. Il pense pouvoir retrouver la piste. Le chef le rudoie. Qu'attendait donc ce "bougre d'âne" pour les y conduire ? Qu'ils soient "transformés en statues de neige" ? Après une chevauchée par les pistes enneigées, ils arrivent à la mine, mais l'endroit n'est pas franchement gai... 

Suite et fin de ce que l'on pourrait appeler le diptyque de Nortonville. Avec le recul du premier volet et les éléments de celui-ci, le lecteur réalise que Swolfs, ici, s'est inspiré des "Coal Wars" (conflits miniers) du début du XXe siècle aux États-Unis. Norton explique en planche 17 qu'il craint que la lutte se termine "comme en Virginie". Si le lecteur procède à une recherche, il trouvera que la Virginie a en effet été l'épicentre de ces grèves violentes. La plupart des sources mentionnent surtout celle de Paint Creek (1912). S'il est évident que Swolfs s'est documenté avant de produire le diptyque, il ne peut s'agir des grèves des événements de 1912 pour autant, car cela impliquerait que quatorze années se sont écoulées depuis "Piège pour un tueur" (tome trois), ce qui n'est pas réaliste. Néanmoins, la plupart des articles affirment que les "Coal Wars" se sont déroulées entre 1890 et 1930, sans en dresser une liste exhaustive, ce qui laisse une certaine marge de manœuvre à l'auteur. À part cela, Swolfs nous emmène à Denver ; la balade est courte, mais le lecteur appréciera de quitter les petites bourgades de l'Ouest. Swolfs commence par rappeler au lecteur que les hommes de Maxwell sont des brutes sans vergogne qui n'hésitent ni à malmener les enfants ni à les humilier. Matthew, le personnage du fils Norton, est plus étoffé que dans le volume précédent. Le lecteur découvre un être lâche, prisonnier de ses actions, et qui oublie son manque de courage dans l'alcool. Son père est en proie à des difficultés grandissantes ; il comprend rapidement qu'il ne contrôle plus rien et craint que les mines finissent par tourner au ralenti. "L'Héritière", c'est d'abord le récit d'une fuite continue : il y a l'enlèvement à l'asile d'aliénés, la course à la dernière gare avant Nortonville, puis le départ en catastrophe de la mine Carson. Le scénario est maîtrisé ; Swolfs n'oublie pas qu'il écrit un western ; il évite de s'engluer dans des aspects sociaux et nous réserve une très belle fusillade à la fin de l'album. Enfin, le dénouement rappelle celui de "L'Or de Duncan", bien que le personnage de Celia soit nettement moins controversé que celui de Lucy ; l'épilogue est néanmoins très différent, ce qui fera prétendre certains lecteurs que "L'Héritière" représente la fin de la première saison et que "Durango" aurait très bien pu s'arrêter là. 
La partie graphique est solide. Le lecteur relèvera le soin apporté aux paysages : les rues et la gare de Denver, le cabinet du médecin, la rue principale de Nortonville, les beaux paysages enneigés, etc. Il notera la densité des arrière-plans ; il est rare que Swolfs réduise un fond de case à sa plus simple expression. Enfin, il appréciera l'articulation de l'action, la clarté du découpage, et la mise en page classique et lisible. Le problème de finition est - peut-être - moins flagrant que dans le précédent tome, à moins qu'il s'agisse d'une simple impression. De deux choses l'une : soit Swolfs a pris avec les années le vilain pli de passer moins de temps sur l'encrage de ses planches, soit la mise en couleurs de Lafon vient légèrement gommer la netteté des contours des dessins et certains détails en se répandant sur l'encrage. 

"L'Héritière" est un western bien troussé. Avec sa romance et sa consonance sociale, il s'éloigne un brin du western spaghetti traditionnel ; Swolfs, néanmoins, parvient à diversifier son propos tout en offrant une conclusion pleine de plomb et de fureur. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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Bande dessinée franco-belge, Western, Durango, L'Héritière, Yves Swolfs, Sophie Lafon, Sophie Swolfs, Alpen, Soleil

10 commentaires:

  1. Je suis allé lire l'article sur les conflits miniers : je ne connaissais pas du tout ce pan de l'histoire des États-Unis, merci beaucoup pour le lien.

    Denver, la balade est courte : ça fait toujours un effet de décalage quand un personnage récurrent habitué aux patelins et aux espaces naturels se retrouve d'un coup (en tournant la page) dans un milieu très urbain, plus civilisé d'une certaine manière.

    Il est rare que Swolfs réduise un fond de case à sa plus simple expression : quand je lis cette remarque, ça me donne de plus en plus envie d'essayer le premier cycle du Prince de la Nuit... Résister, je le dois. 😅

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    1. J'ai moi aussi découvert ce pan de l'histoire des États-Unis avec cet album.

      J'aurais aimé que l'incursion à Denver soit un peu plus longue. J'ai l'impression que Swolfs, dans ce diptyque, a essayé de donner une image aussi large que possible de l'État du Colorado.

      "Le Prince de la nuit" est dans ma PAL. Si jamais mon projet d'article à quatre mains devait se concrétiser, pourquoi pas le premier album ("Le Chasseur"), si jamais tu mets la main dessus ?

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    2. Excellente idée : j'avais envie de tenter un album d'Yves Swolfs, celui-ci m'ira très bien.

      Je suis passé à la FNAC ce week-end : ils n'en avaient pas en rayon. Je vais le commander auprès de mon libraire, après la trêve estivale. Je serai en vacances fin septembre Je devrais pouvoir me consacrer à cette écriture à quatre mains deuxième quinzaine d'octobre (et plus si affinité), si ça te convient.

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    3. Tu me prends un peu de court, pour tout t'avouer, sans doute parce que je n'ai pas réfléchi avant de lancer ma proposition : je crois que je voudrais terminer "Durango" avant de m'attaquer au "Prince de la nuit".
      Mais si ce n'est pas celui-là, ça peut être un autre, c'est bien le diable si nous ne trouvons pas une lecture commune.
      Quoi qu'il en soit, bloquons la seconde quinzaine d'octobre ; ça, je prends.

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    4. Si tu veux, tu peux m'envoyer une liste d'une demi-douzaine de BD qui correspondraient au créneau d'octobre, et je te dis s'il y en a une qui me tente.

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  2. Bon, au risque de te faire tourner bourrique, je n'ai plus rien contre "Le Prince de la nuit", d'autant que c'est la quasi-certitude de ne pas être déçu. Et ce n'est rien si "Durango" est toujours en cours.

    Comme alternatives (une demi-douzaine, comme demandé), j'ai :
    - "Ces jours qui disparaissent" (Le Boucher)
    - "Les Chemins de Malefosse" (tome 1)
    - "Les Compagnons du crépuscule" (tome 1)
    - "Le Monde sans fin" (Jancovici et Blain)
    - "Ravage" (tome 1)
    - "Silence" (Comès)

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    1. Le prince de la nuit tome 1 : c'est vendu. Yves Swolfs manque toujours à ma culture BD car je n'en ai jamais lu, et il me manque un petit chouia de motivation pour passer à l'acte par moi-même. Allez hop, je passe commande à ma libraire cette semaine.

      Ces jours qui disparaissent figure sur mon site.

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    2. "Ces jours qui disparaissent" - Je me doutais un peu que tu l'avais lu, mais je n'en étais plus sûr. Mais bon ; je vois que j'avais laissé un mot à propos de ton article, donc mea culpa (ça devient une habitude).
      Et donc OK pour "Le Prince". J'ai hâte !

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  3. Mon libraire a reçu ma commande : le tome 1 Le chasseur est maintenant dans ma pile de lecture.

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