mardi 7 novembre 2023

"Ex Machina" : Volume IV (Urban Comics ; juin 2015)

Publié en juin 2015, dans la collection "Vertigo Essentiels" d'Urban Comics, cet ouvrage est le quatrième de l'intégrale de la série "Ex Machina", c'est-à-dire cinquante numéros écrits entre 2004 et 2010, quatre "Ex Machina Special" (deux en 2006, un en 2007 et un en 2009) et le "Ex Machina: Inside the Machine" (d'avril 2007). Ce recueil, quatrième de cinq, comprend les versions françaises des "Ex Machina" #30-40, sortis entre novembre 2007 et février 2009 en version originale. Ce recueil relié (dimensions 19,0 × 28,5 centimètres, avec couverture cartonnée) contient précisément deux cent quarante-deux planches, toutes en couleurs. 
Ces numéros sont tous écrits par le scénariste Brian K. Vaughan, qui est connu surtout pour "Y, le dernier homme", "Les Seigneurs de Bagdad", ou encore "Saga". Tony Harris est le dessinateur de la série régulière. Durant sa carrière il a été récompensé de deux prix Eisner : pour "Ex Machina" (2005) et "Starman" (1997). Les planches sont encrées par Jim Clark ; avec l'aide de Cliff Rathburn dans le #37. La mise en couleurs est confiée à J. D. Mettler, avec l'assistance de Tony Aviña et Jonny Rench dans le #37. Enfin, les deux dernières planches du #40 ont été écrites par Garth Ennis, dessinées par Jim Lee puis encrées par Richard Friend

Précédemment, dans "Ex Machina" : le Ku Klux Klan prévoit un rassemblement à Central Park. Après réflexion, Hundred choisit de l'autoriser, mais d'imposer une forte présence policière et d'organiser un contre-rassemblement de l'autre côté de l'île. 
New York City, dimanche 24 décembre 2000. La Grande Machine vole au-dessus de la ville sous les flocons de neige. Affublé d'une fausse barbe blanche et portant un grand sac, il apporte quelques cadeaux à des enfants défavorisés. Constatant un problème de stabilité, il contacte Kremlin par radio. Son ami est chez lui, à peindre une nature morte avec bouquet de fleurs. Il explique qu'il ne parvient pas à maintenir la stabilité de sa trajectoire. Kremlin ne peut retenir une insulte. Il lui avait pourtant rappelé que ce sac était trop gros pour un "gringalet" comme Hundred. Hundred se justifie, mais son réacteur dorsal enflamme le sac... 

Le lecteur se réjouit de retrouver Mitchell Hundred. "Ex Machina" est toujours aussi original et novateur. Les scénarios sont bâtis sur les moules des albums précédents, une alternance entre deux lignes de temps, celle de la Grande Machine et celle du maire. Entre ce voyage à Rome qui manque de tourner à la tragédie et les nouvelles ambitions du maire, Vaughan prouve qu'il est passé maître dans l'art de doser les grandes révélations pour surprendre en permanence. Sans rien expliquer, il dévoile un peu plus les effets secondaires des capacités de Mitchell, incitant le lecteur à échafauder ses propres hypothèses. Ayant dépassé la moitié de sa série et approchant de sa conclusion, Vaughan invite son personnage à prendre du recul sur son mayorat : le constat de Hundred sur ses réalisations est d'autant plus décevant qu'il est mû par une volonté sincère d'améliorer les choses et qu'il n'y est pas parvenu davantage en tant que maire que comme justicier, d'où son projet de briguer un mandat dans une catégorie supérieure. La quête du pouvoir pour le bien de tous est-elle indissociable d'une certaine candeur ? Aujourd'hui, ce jugement est aisé ; mais lorsque Hundred affirme que Bush "est une bonne personne", Vaughan sous-entend clairement qu'il est naïf. Une partie de ses amis et alliés veut néanmoins le propulser plus haut, alors que l'autre souhaite le pousser à reprendre son activité de justicier ; pourtant, Vaughan dépeint les interventions de la Grande Machine comme une suite de boulettes. Ces citoyens croient-ils à la politique ? "Ex Machina" évoque le dilemme entre le combat des injustices et du risque pour la société sur le terrain et le désir d'amener le changement par des décisions issues de grands engagements demeurant parfois lettre morte. Les thèmes sont nombreux : la religion, l'accès des minorités aux postes à responsabilités, la repentance d'État, etc. De Grabuge à cet agent russe sans doute inspiré des pulps et des premiers "James Bond", les trublions sont hauts en couleur. Dans le #40, Vaughan se met en scène avec Harris. Cela lui permet de partager sa propre histoire des attentats du 11 septembre 2001 ; il habitait alors à New York. 
Comme tous les autres, ce tome contient des scènes-chocs qui exigent un talent de premier ordre et Harris y répond présent. Citons notamment ce gorille effrayant et enragé qui entre par la fenêtre en la brisant, cet incroyable entretien avec le pape Jean-Paul II (1920-2005), ce saut à moto complètement fou de Grabuge, le sommet tagué de l'Empire State Building ainsi que la terrible pluie de cendres du mardi 11 septembre 2001. Il y a là de bien beaux paysages : les rues enneigées de New York la nuit, ou encore les allées, les pièces et les bureaux du palais du Vatican. Admettons-le : cela n'empêche pas Harris de s'économiser sur certains arrière-plans, bien que cela soit explicable, car ils sont mineurs. Et enfin, de l'adjoint au maire Dave Wylie à la commissaire Amy Angotti, n'oublions pas cette superbe galerie de portraits. 
Bonne traduction de Jérémy Manesse. Page 18, le nom sur la cloche aurait dû rester en anglais et "comic book" s'écrit sans trait d'union. Il y a aussi une faute de mode.

Vaughan et Harris réussissent à maintenir la série à un remarquable niveau de qualité ; l'humour grinçant de l'auteur fonctionne toujours autant, mais la sentimentalité reste absente (le lecteur s'y sera habitué). Un authentique plaisir de lecture qui grouille de références. Le dernier tome devrait être celui des grandes révélations. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz 
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz 

Mitchell Hundred, Rick Bradbury, Ivan "Kremlin" Tereshkov, Dave Wylie, Commissaire Amy Angotti, January Moore, Père Zee, Jean-Paul II, Oleg, Père Chetwas, Grabuge, Leto, Suzanne Padilla, New York City, Brian K. Vaughan, Tony Harris, Vertigo

2 commentaires:

  1. Vaughan invite son personnage à prendre du recul sur son mayorat : une belle ambition d'auteur et de réflexion politique, pas simple à mener en prenant en compte tous ses degrés de complexités. En tant que lecteur de comics, j'avais également beaucoup aimé l'analyse de ce que pour être une Bad Girl (très en vogue dans les comics de ces années-là) dans la réalité, et la psychologie bien dérangée que cela suppose.

    Hundred n'y est pas parvenu davantage en tant que maire que comme justicier : un constat assez adulte, mais aussi un peu cynique. Vaughan décortique pour quelles raisons la position politique d'Hundred ne peut pas perdurer. le projet de convention républicaine fait ressortir les contraintes presque paralysantes qui pèsent sur le Maire concernant son ralliement à tel ou tel parti, la précarité de son indépendance, les limites des améliorations que sa politique peut apporter, le poids des intérêts économiques dans ses décisions (la convention aura des retombées économiques qui se chiffrent en dizaine de millions de dollars).

    Les thèmes sont nombreux : étrange cette première histoire de rencontre avec le pape. Brian K. Vaughan n'a peur de rien : il n'hésite pas à aborder le thème de la spiritualité, à travers un voyage au Vatican pour rencontrer rien moins que le pape en personne. On ne pourra pas l'accuser de faire semblant, et de se contenter d'utiliser la religion comme un simple artifice narratif. À bien y regarder, il ne s'agit pas vraiment de religion, mais bien de spiritualité, Mitchell Hundred professant une conviction en l'existence d'un dieu ingénieur (peut-être faut-il entendre "horloger") comme celui de Spinoza (référence déconcertante, on penserait plutôt au Dieu de Voltaire). Si Vaughan aborde bien le sujet, le résultat n'est pas vraiment convaincant, il s'agit plus d'une conviction intime que d'une profession de foi argumentée. Par contre, il est visible qu'il s'amuse bien à mettre en scène un évêque, puis le pape, en jouant sur les a priori d'Hundred quant aux prises de position de l'Église, ce qui donne intelligemment le beau rôle aux ecclésiastiques quant à leur propre ouverture d'esprit, et ce qui permet de faire passer leurs motivations.

    Inattendue la référence aux EC Comics.

    Impressionnante la capacité de Tony Harris de passer de scènes outrées à des scènes toute en retenue pour la rencontre avec le pape. L'impression produite est bizarre oscillant entre un réalisme faisant attention à respecter l'image du pape, et des débordements visuels à effet comique. Trouble est irrésistible.

    Episodes 30 à 34 :
    https://www.babelio.com/livres/Vaughan-Ex-Machina-tome-7--Ex-cathedra/859380/critiques/1100581

    Episodes 35 à 39 :
    https://www.babelio.com/livres/Vaughan-Ex-Machina-tome-8--Dirty-Tricks/859381/critiques/1100582

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    1. C'est bien vu, cette remarque sur la spiritualité. Personnellement, j'ai noté le décorum autour, l'interrogatoire du père Chetwas (qui m'a rappelé un procès d'inquisition, toutes proportions gardées), le pape dont on ne voit jamais le visage et qui apparaît comme un symbole. C'est pour ça que j'y ai vu le religieux avant le spirituel (qui est aussi évoqué dans les discussions de Hundred avec le père Zee). Et puis, qui d'autre - à part un chef d'État ou un chef de culte, et le pape est les deux à la fois - peut faire voyager le maire de NYC d'un bout de l'Atlantique à l'autre ? Ça m'a aussi fait penser à un rapport de force, de féodalité, presque à une épreuve divine.

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