"And Back", publié en novembre 2013, est le neuvième volume de "Bouncer", une série française de western créée et lancée par Alejandro Jodorowsky et François Boucq ; et bien que Jodorowsky l'ait quittée à ce numéro, elle est toujours en cours à ce jour. Désormais, Boucq en assure les scénarios, en plus de la partie graphique. Les sept premiers recueils sont sortis chez Les Humanoïdes associés ; celui-ci et les suivants chez Glénat.
C'est Alejandro Jodorowsky qui écrit le scénario de cet ouvrage de soixante-quatre planches ; le Franco-Chilien est célèbre, entre autres, pour "L'Incal", "Les Technopères", "La Caste des Méta-Barons"... Les illustrations sont du Lillois François Boucq. Grand prix 1998 de la ville d'Angoulême, il a travaillé notamment sur "Little Tulip", "Le Janitor", "XIII Mystery" et "Bouche du diable". Il produit la couleur avec son filleul, Alexandre Boucq.
À l'issue du tome précédent, El Lobo descend dans l'arène du pénitencier de Deep End, où il est massacré par un ours ; c'est au tour du Bouncer. Il survit, grâce à la ruse et l'improvisation.
Pénitencier de Deep End, la nuit. Les gardes surveillent les alentours depuis les miradors de l'établissement. À l'intérieur, la locomotive attend sous la voûte étoilée. En bas, les vautours se précipitent sur des cadavres empalés sur les pieux érigés en système défensif. Enchaîné dans le cachot, le Bouncer somnole. Deux gardiens viennent le réveiller : la "reine mère" veut le voir. Elle a dû être impressionnée par le combat contre l'ours. L'un d'eux ironise sur sa veine. Ils quittent la cellule, montent un escalier en colimaçon à la lueur de la lanterne et traversent la cour, au milieu de laquelle trône la statue décapitée d'un ange, debout au centre d'une fontaine. Ils stoppent devant une porte. L'un des geôliers informe le Bouncer qu'il va être reçu dans les appartements privés. Sur une facétie, il le fait entrer...
Voici donc la conclusion de ce diptyque "To Hell and Back". À l'issue de "To Hell", les attentes des lecteurs sont probablement élevées ; ils espèrent un apogée, ce tome étant le dernier de la série écrit par Jororowsky. C'est une évidence : l'auteur ne déçoit pas son public, car cet album - sans apporter quoi que ce soit de véritablement nouveau à la série - représente la quintessence de la période Jororowsky de "Bouncer", en quelque sorte. Cela signifie de la cruauté, pas seulement celle des hommes, mais aussi celle de la nature, d'un certain côté ; bien sûr une bonne dose de violence ; du vice, forcément ; de l'humour noir ; des mensonges et des manipulations ; du spectacle et de l'action, avec des fusillades, des accidents, et des explosions ; un imparable suspense, qui se manifeste notamment lors de la terrible course-poursuite du pénitencier de Deep End jusqu'aux montagnes enneigées, en passant par une traversée du désert particulièrement éprouvante ; des renversements de situation, des surprises (même si certains éléments de la trame sont, a contrario, prévisibles, dont, par exemple l'attitude de la "reine mère" à l'égard du Bouncer) et des révélations qui préviennent toute sensation de linéarité (bien que l'intrigue aille justement d'un point A à un point B sans variation de temps à part l'analepse du dénouement) ; de l'émotion, car elle n'est pas exclue ; quelques ingrédients de nature plus ou moins mystique, avec le trio des Skulls ; et enfin une belle exploitation des grands espaces comme sous-entendu plus haut (désert, montagnes, etc.). Alors certes, les vices du pénitencier ne sont peut-être pas suffisamment évoqués et l'évasion est sans doute facile, mais ne boudons pas notre plaisir, parce que sous ses allures provocantes et outrancières, Jodorowsky referme avec brio sa participation à une série dont il aura fait un western unique et incontournable avec sa propre marque de fabrique, et qui est à ranger aux côtés des "Blueberry" ou autres "Durango".
Un tel album exige une partie graphique à la hauteur. Boucq remplit pleinement le cahier des charges. Il y a d'abord cet admirable sens du détail, notamment dans les constructions (la muraille du pénitencier et sa cour, par exemple) ; la représentation des paysages (avec deux climats aux extrêmes opposés), et l'approche réaliste de la lumière et de la couleur (les scènes de pénombre dans le pénitencier, les séquences de nuit, le désert). La patte de Boucq c'est aussi la science du quadrillage, avec une utilisation fréquente de cases larges pour un rendu 16/9e, ainsi que la limpidité du découpage : les enchaînements sont parfaitement clairs.
"And Back" est certainement l'un des points culminants de "Bouncer" si ce n'est son point culminant. L'imagination de Jodoroswsky n'est pas tarie. C'est un défi de taille qui attend Boucq : reprendre le scénario de façon satisfaisante, en plus des dessins.
Mon verdict : ★★★★★
Barbüz
Je vois que tu réponds à un Jodorowsky par un autre Jodorowsky. :) Ah non, on me souffle à l'oreillette que c'est toi qui avait commencé le premier. :)
RépondreSupprimer5 étoiles : une fin en apothéose, qui t'amène à une conclusion claire. Jodorowsky referme avec brio sa participation à une série dont il aura fait un western unique et incontournable avec sa propre marque de fabrique, et qui est à ranger aux côtés des "Blueberry" ou autres "Durango". - Et pourtant ce n'était pas gagné quand on pense aux conventions très cadrées spécifiques au western, et au nombre de récits dans ce genre qui existent déjà, à commencer par les films.
Je vois que tu as listé les ingrédients propres à cet auteur : cruauté, une bonne dose de violence, du vice, de l'humour noir, des mensonges et des manipulations. Je me la mets de côté pour la prochaine fois où j'en lirai un, pour voir si j'aboutis à la même.
Et en plus du spectacle et de l'action : c'est-à-dire des qualités qui font qu'il raconte une histoire divertissante. Il est vraiment très fort.
Un tel album exige une partie graphique à la hauteur. - Je suis entièrement convaincu par ce postulat. Ce n'est pas le premier artiste venu qui faire honneur à de tels scénarios.
C'est un défi de taille qui attend Boucq : reprendre le scénario de façon satisfaisante, en plus des dessins. - En lisant cette phrase, je n'arrive pas à en déduire si tu vas continuer la série ou non.
Comme tu le soulignes, ce n'était pas gagné. Mais "Bouncer" a vraiment sa personnalité propre.
SupprimerJ'ai quand même réfléchi à la question de continuer ou pas, et ça m'a pris quelques jours, mais je vais donner sa chance au "Bouncer" de Boucq. Les deux prochains tomes forment un diptyque à l'issue duquel je saurai si je continue la lecture de cette série ou si j'arrête.