vendredi 12 novembre 2021

Adèle Blanc-Sec (tome 8) : "Le Mystère des profondeurs" (Casterman ; octobre 1998)

"Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec" est une série toujours en cours à ce jour lancée par le Valentinois Jacques Tardi en 1976 ; les deux premiers tomes ("Adèle et la bête" et "Le Démon de la tour Eiffel") sortirent directement en albums chez Casterman au même moment, janvier 1976. Les volumes suivants furent d'abord prépubliés dans "(À suivre)", magazine mensuel qui appartenait à l'éditeur, avant de sortir en albums. 
"Le Mystère des profondeurs", le huitième numéro, a été entièrement réalisé par Tardi à l'exception de la mise en couleurs, confiée à Jean-Luc Ruault (information à confirmer). Cet ouvrage au format 22,5 × 30,5 centimètres à couverture cartonnée renferme quarante-six planches. Il s'agit de la sixième édition. 

À l'issue du tome précédent, Fia rejoint l'affaire du beau-père, Caduc est affecté à la circulation, et Adèle change d'éditeur. En mars 1922, Chalazion lui écrit et lance un appel au secours. 
Paris, mardi 28 mars 1922 vers 02h25. Il pleut sur la ville, la revêtant d'un aspect sinistre. Régis Fluet, un homme corpulent, remonte une rue qui longe la gare de Lyon. Il éternue : voilà qu'il attrape un mauvais rhume, à cause de l'averse et du froid. Il se mouche, mais cela éveille une rage de dents. Il surmonte la douleur et gravit un escalier. Arrivé au sommet, il surprend une étrange mélodie qui sort des égouts : il reconnaît "La Chanson de Craonne", interprétée à la flûte traversière. Alors qu'il s'approche de la grille d'où semble venir la musique, un inconnu - suivi de trois autres - vêtu d'un raglan et coiffé d'un feutre tente de l'assommer d'un coup de matraque. Fluet, étourdi, glisse de quelques marches, mais réussit à reprendre ses esprits et à filer. Le chef des agresseurs - Moulinot, alias "le Notaire" - laisse deux de ses trois sbires poursuivre Fluet et ordonne au troisième de récupérer la voiture, et de les rejoindre plus bas... 

Nouvel album, nouvel épisode d'un feuilleton qui dure depuis le premier recueil. Après un ptérodactyle, un pithécanthrope, et une pieuvre géante, voici les limules. La trame ne change pas, une intrigue avec des éléments des tomes précédents et des questions en suspens qui ne seront résolues que dans le volet suivant (le mécanisme s'apparente à celui du roman à tiroirs). Ici, des monte-en-l'air sortis de prison veulent récupérer un alliage novateur afin de produire des mèches pour percer le coffre-fort du Crédit lyonnais. Le récit, toujours surréaliste, bénéficie de protagonistes hauts en couleur. Léon Dandelet, dit "le Dentiste", éminence grise puérile au physique ingrat et à l'haleine ravageuse, qui se moque de la police en envoyant des rébus indéchiffrables, et qui zézaye terriblement au point que le lecteur doit fournir un réel effort - presque pénible - pour décrypter ses tirades. Régis Fluet - cent cinquante kilos malgré son nom -, pour qui Tardi semble s'être inspiré de François Hadji-Lazaro. Moulinot dit "le Notaire", aussi dévot qu'allergique à la vulgarité, qui en appelle à Dieu pour parvenir à doubler ses anciens complices. Des personnages (plus ou moins) récurrents : le commissaire Laumane, Georgette Chevillard, dont il semblerait que le costume - d'après Wikipédia - soit inspiré de celui du personnage d'Irma Vep dans le film "Les Vampires" (1915), de Louis Feuillade (1873-1925). L'intrigue exhale - faut-il le préciser ? - des relents très marqués à gauche : Tardi - moins lourdement que d'habitude - se moque de ceux qu'il perçoit comme les grands ennemis de l'humanité, le clergé, la police, et le capital. Seuls les scientifiques en réchappent, quoique : "Pour une fois qu'on avait un savant fou qui œuvrait pour le bien de l'humanité." Tardi cite l'essor du cinéma. Un article de Wikipédia confirme que celui-ci "prend une place considérable, supérieure au théâtre" après la Première Guerre mondiale. Tardi n'évoque pas les Années folles, l'action ne se déroule qu'en 1922. Globalement, ce récit est plaisant à lire, malgré la répétition dans la forme et dans le fond. Là, ce qui fait la différence, c'est l'humour que l'auteur insuffle dans ses dialogues. 
Pour beaucoup, "Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec" est synonyme d'une partie graphique dans laquelle ce Paris du premier quart du vingtième siècle a la vedette. Ici, l'axiome s'avère moins que dans les volets précédents. Le quartier de la gare de Lyon, sous la pluie et dans l'obscurité, est lugubre. Adèle passe par l'hôtel des Invalides. Plusieurs planches se déroulent dans et autour de l'église Saint-Vincent-de-Paul, dans le dixième arrondissement. Pas grand-chose d'autre, reconnaissons-le, à l'exception de quelques séquences au cimetière du Père-Lachaise (confer "Momies en folie"), et dans le quartier du parc des Buttes-Chaumont, dont le pavillon de Brindavoine avec son entrée bourgeoise et sa jolie façade. Le détail, chez Tardi, a son importance : le lecteur appréciera les boîtes aux lettres d'époque, les publicités murales, notamment pour les chocolats Menier, et l'inimitable atmosphère engendrée par les pavés humides. Tout cela s'agence dans une clarté irréprochable. 

Il y a quelques très bons moments dans "Le Mystère des profondeurs", et beaucoup d'humour, peut-être moins féroce. Mais le processus de la série est éculé depuis "Le Démon de la tour Eiffel", et le lecteur pourra éprouver une sensation de répétition. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz 
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3 commentaires:

  1. Décidément, la note ne remonte pas. :)

    C'est édifiant parce qu'avec ton commentaire, on sent bien une forme de routine dans la structure du récit, une formule déclinée à chaque tome, pas seulement les conventions d'un genre (reconstitution historique et polar pour de rire). Or cette formule trouve ses limites à la fois en engendrant un effet de répétition, mais même la partie la plus attendue finit par en être dévalorisée : une partie graphique dans laquelle ce Paris du premier quart du vingtième siècle a la vedette mais elle s'avère moins intense que dans les volets précédents.

    L'inimitable atmosphère engendrée par les pavés humides. […] Tout cela s'agence dans une clarté irréprochable. […] Beaucoup d'humour… Ton article donne l'impression que tu aurais préféré que Tardi consacre son talent à une œuvre d'un autre genre.

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    1. Je pense te l'avoir déjà dit, mais pour moi, "Adèle Blanc-Sec" est une série en deux tomes : les deux premiers. L'esprit satirique de l'auteur, la répétition dans la construction de ses albums, et ses opinions, trop radicales pour moi, ont progressivement eu raison de mon engouement. Cela dit, je ne nie ni les qualités de la série ni le génie créatif de Tardi. Dans cet album, il y a d'ailleurs plusieurs planches qui m'ont vraiment fait rire. Mais il y a beaucoup de vrai, dans ta dernière remarque, car j'ai prévu de lire ses "Nestor Burma".

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  2. L'esprit […] ont progressivement eu raison de mon engouement. Cela dit, je ne nie ni les qualités de la série ni le génie créatif de Tardi. - Voilà qui m'arrive parfois : reconnaître les qualités d'une œuvre tout en ne l'appréciant pas car elle n'est pas à mon goût.

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