jeudi 10 février 2022

Durango (tome 10) : "La Proie des chacals" (Soleil ; octobre 1991)

"Durango" est une série de western spaghetti lancée en 1981 par le Belge Yves Swolfs, célèbre également pour "Dampierre", "Légende", "Le Prince de la nuit", etc. "Durango" sera d'abord publié par Les Archers puis par Dargaud, Alpen Publishers, Les Humanoïdes associés, et enfin par Soleil (du groupe Delcourt) depuis 2003. La maison continue la publication et a réédité la somme. Si Swolfs a produit les treize premiers numéros en solo ou parfois avec un coloriste, il se fait remplacer au dessin à partir du quatorzième volume (en 2006) : "Un pas vers l'enfer"
"La Proie des chacals" est le dixième tome. Sorti chez Alpen en 1991, sans prépublication, ce recueil cartonné grand format (30,0 × 23,0 cm) inclut quarante-six planches. Swolfs scénarise et réalise dessins et encrage. Sa femme Sophie Lafon/Swolfs (créditée en dernière planche) a composé la mise en couleurs. 

À l'issue du tome précédent, Durango fait ses adieux à Lucy, désormais propriétaire d'une salle de jeux et d'un hôtel de luxe à Denver. Elle veut qu'il reste ; il part sur une vague promesse. 
Le désert, à un jour de cheval de la bourgade de Howland ; quatre cavaliers se dirigent vers l'unique point d'eau de la zone. L'un d'eux, Jud, traîne derrière son cheval une jeune Amérindienne à pied : elle attachée à la selle du cheval par une corde qui lui lie les poignets. Il se retourne vers elle, et l'exhorte à rester courageuse : bientôt, elle pourra boire. Scanlon, l'un de ses compères, lui explique qu'il ne faut pas qu'il s'inquiète pour elle. "Une Indienne, ça peut résister longtemps sans boire !" Il ajoute que si la captive avait été une Blanche, "elle aurait les pieds en bouillie, la langue comme du parchemin, et ne se souviendrait plus de son nom !" Goguenard, il précise encore que les squaws sont "à toute épreuve !" L'un des autres larrons du quatuor les interrompt. Il y a un inconnu près de leur puits... 

L'introduction de "La Proie des chacals" est très classique, pour un western "spaghetti" : des malfrats, pour leur plus grand malheur, croisent la route de Durango dès la première planche. Cela permet à Swolfs de plonger le lecteur dans l'action, sans louvoyer. Et d'emblée, le pistolero choisit son camp. Swolfs avait déjà utilisé ce même mécanisme narratif dans sa série, notamment dans "Amos" et "Loneville". À nouveau, l'intervention de Durango va lui valoir de sérieux ennuis, puisqu'il va se jeter dans la gueule du loup - tout en en étant conscient. Swolfs imagine son scénario sur la question de la traite des femmes, ici, des Amérindiennes. Un sujet qui est néanmoins approché de façon très surfacique ; d'ailleurs, aucun personnage féminin n'obtient véritablement un rôle de premier plan. Il s'agit donc d'une histoire d'hommes, d'ego, de joutes verbales, et de poudre. Protagonistes et antagonistes forment un triangle : les proxénètes mexicains, les trafiquants nord-américains, et Durango et le métis (son prénom et son nom ne sont mentionnés à aucun moment) à qui il décide de venir en aide. "La Proie des chacals" est un récit complet en un tome particulièrement efficace ; la continuité de la série n'y a aucune d'importance. La narration est rythmée par plusieurs fusillades spectaculaires, l'amateur du genre y trouvera largement son compte. La conclusion est très satisfaisante, dans le sens où Durango, toujours un peu en retrait, joue parfaitement son rôle de bras armé d'un idéal de justice ; la moralité est sauve, en tout cas plus que dans d'autres péripéties du pistolero, qui retourne à son inévitable solitude. La narration ne comporte aucun défaut majeur et aucune invraisemblance particulière. L'estime et l'amitié instantanées entre les deux hommes ont du sens, même si la vitesse avec laquelle Durango s'implique étonne. Les étapes de la mission sont construites de façon classique et linéaire sur une succession d'embûches jusqu'au dénouement. En dépit de la violence, cet enchaînement pourra sembler trop facile ; c'est un peu vrai, même s'il est évident que le métis est lui aussi un as de la gâchette. Et cela ne gêne en rien le plaisir de lecture. 
C'est avec joie que l'on retrouve le coup de crayon de Swolfs ; ce trait réaliste, avec une forte densité de détails par case et des décors et des paysages soignés, donne presque un aspect naturaliste aux planches, notamment par la présence d'objets du quotidien. Tout cela est donc fortement ancré dans le réalisme, à l'exception peut-être de ces généreuses taches de sang écarlate, l'une des caractéristiques du travail de Swolfs sur sa série. L'encrage est sans lourdeur ; l'artiste emploie des aplats de noir, placés çà et là, avec minutie, sur les vêtements plus que sur les visages, sauf dans les scènes de pénombre. Les onomatopées et idéogrammes ont leur place, sans excès. Le découpage séquentiel est clair ; aucun faux-raccord, aucune ellipse hâtive. Le quadrillage est classique, délimité la plupart du temps ; Swolfs utilise souvent des inserts. La mise en couleurs est malheureusement pâlotte, voire terne en mains endroits. En revanche, le rendu de l'intensité du soleil mexicain est réussi. 

Après "Une raison pour mourir" et "L'Or de Duncan", il semblerait que Swolfs, avec "La Proie des chacals", ait voulu se recentrer sur l'essence de "Durango" ; une justice brute et froide. Au programme ici, fusillades, règlements de comptes et vengeance. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Je me demande si Swolfs a déjà évoqué ses références en matière de dessin : il me fait parfois penser à Jim Steranko (pas pour la mise en page) ou à Paul Gulacy.

    Des paysages soignés : le western semble être un genre dans lequel le décor est un personnage à part entière, ou une convention narrative de ce genre dont il n'est pas trop possible de faire l'économie.

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    1. Figure-toi que je n'ai jamais creusé la question, mais la réponse m'intéresse. Sa mise en page est trop sage pour revendiquer une quelconque influence de Steranko. Mais le trait y est. Et Paul Gulacy, clairement, il y a de ça. Je ne sais pas si Swolfs lisait des comics. Il évoque plus volontiers les influences sur son scénario que sur ses dessins. J'ai néanmoins retrouvé un article où il évoque les influences des comics.
      Confer : https://www.actuabd.com/Yves-Swolfs-Je-voulais-me-frotter-a-une-autre-generation-d-auteurs

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