lundi 16 mai 2022

Adèle Blanc-Sec (tome 9) : "Le Labyrinthe infernal" (Casterman ; octobre 2007)

"Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec" est une série (qui serait, a priori, toujours en cours à ce jour) créée par le Valentinois Jacques Tardi en 1976. Ses deux premiers volumes - "Adèle et la bête" et "Le Démon de la tour Eiffel" - sortirent directement en albums chez l'éditeur Casterman simultanément, en janvier 1976 ; à l'exception de ce "Labyrinthe infernal", qui fut prépublié dans le magazine Télérama (en 2007), la totalité des autres tomes le furent dans "(À suivre)", un magazine mensuel qui appartenait à l'éditeur, avant de sortir en albums. 
"Le Labyrinthe infernal", neuvième recueil, a été entièrement réalisé par Tardi à l'exception de la mise en couleurs, confiée à Jean-Luc Ruault (il est clairement crédité). Cet ouvrage relié (à couverture cartonnée) au format 22,5 × 30,5 centimètres compte quarante-cinq planches. Il s'agit de la seconde édition. 

Précédemment, dans "Adèle Blanc-Sec", Moulinot est défiguré lors du braquage du Crédit lyonnais, Adèle retrouve une sœur, puis Dandelet et Fluet pilonnent le logis de Laumanne au tank. 
Paris. S'échappant de cheminées d'immeubles plongés dans l'ombre, des fumées grises strient un ciel rouge sang ; debout sur un toit, Adèle contemple le sinistre paysage. Tournant le dos à la tour Eiffel, elle s'adresse aux lecteurs sans ambages. Qu'ils ne croient surtout que ça lui fait plaisir d'être là ! Les toits, les toits, encore les toits. "Y'en a marre des toits !" Alors qu'elle râle, un chat noir se frotte contre ses mollets. Soudain, un battement retentit et l'arrache à ses pensées : un ptérodactyle ! Furieuse, elle espère bien qu'on ne va pas "éternellement recommencer les mêmes bêtises !" Pour toute réponse, le volatile croasse paresseusement, et lâche ce qu'il tenait dans son bec : la main d'un homme. En tombant, elle rebondit sinistrement sur le zinc. Sidérée, Adèle se dit que cela n'est "pas ordinaire"... 

Neuf années se sont écoulées depuis "Le Mystère des profondeurs". Après quelques pages d'introduction, ce feuilleton sans fin que Tardi conte depuis "Adèle et la bête" reprend son rythme, avec ses situations improbables et cocasses. Les protagonistes se mettent en place progressivement. D'abord Adèle, bien sûr, par la bouche de qui Tardi exprime tout le bien qu'il pense de la vie en banlieue parisienne. Puis les personnages secondaires : le tandem Dandelet - Fluet, qui fonctionne à plein régime, le duo Brindavoine - Chalazion, puis Flageolet, Punais (qui ne pense qu'à manger), Moulinot et Dieuleveult, ainsi que les antagonistes, qui sont - presque - nouveaux, eux. Avec Tardi, le côté surréaliste masque toujours un complot plausible par son objectif, mais très fantaisiste par le mode opératoire. Là, un savant fou, le docteur Chou, que le lecteur attendra comme l'Arlésienne, a réussi à créer des clones explosifs à l'image d'Adèle Blanc-Sec, qui sont destinés à être pilotés vers des cibles de premier plan (le président de la République, un ministre), ce qui devrait amener la jeune femme à l'échafaud tôt ou tard. De telles expériences ne peuvent aboutir sans ratés : après un ptérodactyle, un pithécanthrope, une pieuvre géante, et des limules, voici donc un minotaure. La galerie des monstres continue à s'étoffer. Quoi qu'il en soit, Adèle cristallise de plus en plus de haine au fil des tomes. Pourtant, bien qu'elle s'interroge sur les événements, son rôle demeure passif ; elle râle et se moque, point. Le lecteur est forcément habitué aux tics de la série et de l'auteur, dont le mépris de la police (un agent lève la matraque sur un cul-de-jatte vétéran de Verdun), mais le propos est moins hargneux. Le tandem Dandelet - Fluet tourne à plein régime pour le plaisir du lecteur ; certaines scènes sont des merveilles de cocasserie, dont les discussions de comptoir du bistrot Chez Raoul. Tardi fait revenir la momie et l'une de ses amies pour une scène (gratuite ?) de trois planches, sans aucun intérêt. Enfin, notons le clin d'œil à "La Main coupée" (1911), de Pierre Souvestre (1874-1914) et Marcel Allain (1885-1969), réédité en 1932 sous le titre "Fantômas à Monaco"
"Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec", c'est aussi et surtout Paris par Tardi. Le lecteur sait qu'il va être promené un peu partout dans la capitale et c'est un exercice qu'il a rapidement appris à apprécier au fil des tomes, bien que l'étendue couverte soit peut-être moins importante que dans d'autres volets. L'action démarre dans les rues et les ruelles du quartier Saint-Lazare, dans le huitième arrondissement (la gare n'est évidemment pas loin) ; invariablement, elle passe plusieurs fois par le palais de Justice, et elle longe aussi les rives de la Seine et les ponts qui jalonnent celle-ci. Nous sommes fin octobre et Tardi représente l'humidité sur les pavés, un travail qui relèverait presque du stakhanovisme, mais dont le rendu est imparable. Et enfin, la minutie apportée aux cases, la densité en détail des planches et le sens du découpage limpide et impeccable du dessinateur viennent compléter une réussite graphique qui s'inscrit pleinement dans la lignée des volumes précédents. 

"Le Labyrinthe infernal" poursuit le développement du titre, sur la même mécanique de feuilleton. En dernière case, Raoul annonce le tome dix : "Le Bébé des Buttes-Chaumont". Dénouement de la série ? Quinze ans plus tard, le lecteur reste patient. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz 
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5 commentaires:

  1. Même si la note n'est pas terrible, ce tome a suscité un commentaire très savoureux de ta part.

    Ce feuilleton sans fin : c'est bien l'impression que j'avais retenu de tes critiques, un feuilleton sur la forme d'une fuite en avant.

    Adèle, bien sûr, par la bouche de qui Tardi exprime tout le bien qu'il pense de la vie en banlieue parisienne : ça doit être savoureux. 😄

    Bien qu'elle s'interroge sur les événements, son rôle demeure passif ; elle râle et se moque, point. - Une autre façon pour l'auteur de détourner les codes sur le personnage principale en tant que héros, ça peut être rigolo de prendre ainsi son lecteur à rebrousse-poil.

    Le lecteur sait qu'il va être promené un peu partout dans la capitale : un attendu du lecteur de la série, une exigence même.

    La minutie apportée aux cases, la densité en détail des planches et le sens du découpage limpide et impeccable : je suis toujours surpris par ces qualités, alors qu'en regardant superficiellement ses planches, elles me donnent l'impression de dessins un peu grossiers.

    Le bébé des Buttes-Chaumont : c'est pas gagné. La lecture t'en sera peut-être épargnée...

    A la fin du «Labyrinthe infernal», un bistrotier annonce «Faudra voir ça dans le prochain épisode des aventures d’Adèle Blanc-Sec… le titre, c’est: «Le bébé des Buttes-Chaumont.» Bientôt douze ans ont passé et on attend toujours ce bébé…

    Ce livre, c’était le neuvième Adèle. Quand je l’ai terminé, je me suis dit que j’allais faire le dixième et qu’on n’en parlerait plus. J’en ai dessiné une dizaine de planches, et puis j’ai arrêté parce que ça me barbait. Je ne suis vraiment pas un dessinateur de série.

    Source :

    https://www.letemps.ch/culture/tardi-fil-conducteur-xxe-siecle-cest-guerre

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    1. "Le Bébé des Buttes-Chaumont". Cette interview (merci pour le lien) date d'il y a plus de deux ans, et on y apprend que Tardi n'a produit qu'une dizaine de planches. Il y déclare qu'il n'est pas un "dessinateur de série", ce qui signifie qu'il n'a sans doute pas l'intention de continuer, surtout si ça le barbe. Enfin, il est marrant, parce qu'il a quand même fait neuf tomes avant... Quoi qu'il en soit, il a soixante-quinze ans ; alors oui, la lecture m'en sera peut-être épargnée. Mais tu sais ce que c'est : si ce n'est pas Tardi qui finit sa série avant son grand départ, Casterman trouvera quelqu'un d'autre pour le faire, tôt ou tard. Ça sera peut-être bien dessiné, et peut-être que Tardi aura laissé suffisamment de notes pour l'intrigue. Mais tant qu'à faire, je préférerais lire l'original. Ça peut paraître contradictoire parce que j'ai peut-être été sévère à l'égard de la série, mais j'espère aussi avoir été équitable et aussi objectif qu'on peut l'être dans des articles sur une série de bande dessinée. Je pense qu'on aura forcément cette suite ; alors l'original, oui, mais un ersatz, non.

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    2. Si ce n'est pas Tardi qui finit sa série avant son grand départ, Casterman trouvera quelqu'un d'autre pour le faire : je n'avais pas envisagé cette possibilité. Je te rejoins sur une préférence pour lire un original plutôt qu'un ersatz.

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    3. Not a dream ! Not an hoax ! Not an imaginary story ! https://www.bdfugue.com/adele-blanc-sec-le-labyrinthe-infernal-seconde-partie

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  2. Ah. Merci pour cette nouvelle !

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