mardi 28 novembre 2023

Tif et Tondu (tome 20) : "Les Ressuscités" (Dupuis ; janvier 1973)

"Tif et Tondu" est un titre lancé par le Bruxellois Fernand Dineur (1904-1956) en 1938 ; son historique de publication est assez compliqué, la numérotation des albums ayant évolué avec le temps. Si au début, Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela évolue à l'arrivée de Willy Maltaite, dit Will (1927-2000), qui se chargera des illustrations à partir de 1949 et jusqu'en 1991. Dineur quittera le titre en 1951. Se succèderont Henri Gillain alias Luc Bermar (1913-1999), Albert Desprechins (1927-1992) et Maurice Rosy, avant l'arrivée de Maurice Tillieux (1921-1978) pour douze volumes, puis Stephen Desberg
"Les Ressuscités" est prépublié dans "Spirou", du nº1789 du 27 juillet 1972 au nº1802 du 26 octobre 1972. Puis en janvier 1973, Dupuis le réédite en album (de quarante-quatre planches), c'est le vingtième de la seconde série classique depuis la réédition de 1985. Tillieux écrit son scénario et Will produit la partie graphique, dessins, encrage et mise en couleur, sauf erreur. 

Une route du Morbihan, un soir. La voiture d'Arthur Dupont, représentant de commerce en savonnettes, est tombée en panne. Il l'a garée sur le côté. Un véhicule approche, enfin ! Il se réjouit : à cette époque de l'année, les routes du département sont "quasiment désertes". Il lève le pouce. Une Simca-Chrysler 180 stoppe à sa hauteur. Ce sont Tif et Tondu. Tondu baisse la vitre et s'enquiert du problème. Dupont émet alors un diagnostic. "Moteur bousillé… l'engrenage de la pompe à huile a dû claquer". Tondu, affable, lui propose de monter avec eux ; ils le déposeront "près d'un garage, à Vannes". Dupont apprécie : "il n'y a pas grand-monde" et il faut marcher pour trouver un garage. Il se présente sans oublier de prononcer à voix forte le slogan de son entreprise : "La savonnette Savon-Net qui rend propre et net !" Tif les présente alors, lui et Tondu. Soudain, un sifflement. Un panache de fumée blanche émerge du moteur de la Simca-Chrysler verte. Après avoir examiné le moteur, Tif est formel : "une durite sautée". C'est "le bouquet" ! Leur voiture est "toute neuve". Dupont, lui, semble trouver leur situation amusante... 

Fidèle à sa volonté de tirer "Tif et Tondu" vers des aventures teintées de mystère, Tillieux, après "Sorti des abîmes" en Albion, choisit la Bretagne : terreau fertile pour les contes et légendes. Tillieux utilise la plupart des poncifs issus du genre fantastique : un château fort en ruine, le clair de lune, les pierres tombales, des silhouettes fantomatiques ou encore un cimetière sous la pluie. Assez rapidement (cela arrive aux coups de feu, confer planche nº10), Tondu (et le lecteur avec lui) comprend que quelqu'un tente de profiter sans vergogne de la superstition des villageois. La peur pour éloigner les indésirables et les dissuader de se mêler de certaines affaires ; les mécanismes que Tillieux emploie ici rappelleront ceux de "Tif et Tondu contre le Cobra", dans une certaine mesure, les ficelles utilisées étant d'ailleurs très similaires. Une évolution d'un contexte fantastique - voire surnaturel - à une affaire policière : cela n'est pas non plus sans évoquer "Ric Hochet", l'humour de l'école de Marcinelle en plus et le côté réaliste du dessin en moins. Peut-être quelques mots sur les figurants, à commencer par Kiki : mise clairement sur le côté dans "Sorti des abîmes", la jeune comtesse brille par son absence. Puisqu'il a déjà établi un parallèle avec "Ric Hochet", le lecteur ne pourra s'empêcher de songer à Nadine, nièce du commissaire Bourdon, flamboyante le temps d'un album puis rapidement réduite au rang de figurante dans les suivants. Ne spéculons pas sur les raisons, mais quel dommage ! Assez curieusement, Tillieux décide d'adjoindre un jeune voyageur de commerce à Tif et Tondu. Dupont, un employé presque modèle enthousiaste et conditionné qui ne rate pas une occasion de débiter son laïus, ce slogan ridicule et sans imagination de son entreprise ; une drôle d'idée, donc, qui renverrait la série à l'ère Rosy, pour un peu. Notons encore le personnage de Georges Sarlat, "Brutus" : une brute indestructible primaire, vecteur autant de suspense que de comique de répétition. Les gendarmes français sont quant à eux colériques et sans finesse, au contraire des bobbies et de la police britannique, plutôt à leur avantage en général (cf. "L'Ombre sans corps" et "Sorti des abîmes"). Il est possible qu'il s'agisse d'un petit coup de griffe un brin mesquin, comme seuls certains belgicains apprécient d'en donner à leurs voisins. 
Will propose une jolie partie graphique, dans la lignée des tomes précédents. Le choix des véhicules (tous n'ont pu être identifiés) est toujours enthousiasmant surtout cinquante ans après. Notons quelques cases à retenir, car ce sont des compositions plus amples qu'à l'accoutumée : l'arrivée tardive du trio au village de Kermez-Er-Oïc (jeu de mots) en planche nº2, la vue sur le château en planche nº5, ou encore l'atelier d'imprimerie improvisé en planche nº27. Si Will utilise plus d'espace à l'occasion, cela demeure très (trop) rare. En règle générale, sa mise en page reste très dense, en témoignent les planches nº31 et 41, qui comptent treize vignettes chacune ou la nº39 (quatorze) ; la moyenne est élevée. L'artiste intègre dans ses décors quelques éléments de folklore bien trouvés, tels que le lit clos d'Yvonne, par exemple. 

Cette histoire des "Ressuscités" n'est aucunement déplaisante ; mais le lecteur attendait peut-être autre chose de ce tome, qui s'inscrit davantage dans la tradition des scénarios écrits par Rosy, en fin de compte. L'absence de Kiki commence à se faire cruellement ressentir, en outre. En voilà donc un qui sera rapidement oublié.  

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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Tif, Tondu, Arthur Dupont, Yvonne, Père Caradec, Bertrand Lemalou, Georges "Brutus" Sarlat, Marc Monrouge, Tillieux, Will, Dupuis

2 commentaires:

  1. La Bretagne : terreau fertile pour les contes et légendes - La phrase suivante me permet de mesurer le mode d'utilisation de ces légendes, des poncifs prêts à l'emploi, sans beaucoup de saveur.

    Cela n'est pas non plus sans évoquer Ric Hochet : ma propension à m'attarder sur les différences plutôt que sur les ressemblances (et le fait que je n'ai lu ni l'une ni l'autre des deux séries) m'avait empêché de penser à un tel rapprochement. Est-ce que ça fait longtemps que tu t'en es fait la remarque ?

    Belgicain : c'est la première fois que je lis cet adjectif. Je suis allé chercher sa signification pour éviter de faire un faux sens à la lecture.

    Tous les modèles n'ont pu être identifiés : cela veut-il dire qu'il s'agit de voitures tombées dans l'oubli, ou que les dessins ne sont pas assez détaillés ?

    Cette histoire n'est aucunement déplaisante : cette phrase répond à la question qui m'était venue à la lecture, à savoir la possibilité d'une forme de lassitude, ou de sensation de train-train. Visiblement le divertissement est au rendez-vous.

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    1. Ric Hochet. C'est la première fois que j'établis un parallèle entre les deux séries. Mais là, ça m'a paru flagrant, autant dans certains mécanismes que dans le traitement du - seul - personnage féminin récurrent de la série.

      Les modèles de voitures. Je n'ai tout simplement pas pu reconnaître toutes les voitures. Il y a notamment le tacot utilisé par Arthur Dupont, qui date de l'entre-deux-guerres et la toute dernière, qui est une Simca, mais dont je n'ai pas identifié le modèle précis (avec l'introduction, je me suis demandé si Tillieux n'avait pas une dent contre Simca, car en dernière planche Dupont percute la 504 "break" de la gendarmerie).

      Train-train. Il y a un peu de ça quand même. J'ai été déçu par l'intrigue. J'ai cru lire du Rosy. Mais je dois reconnaître que ça se lit sans aucune friction. Je ne peux nullement prétendre que cette lecture a été désagréable.

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