samedi 11 juillet 2020

Bouncer (tome 5) : "La Proie des louves" (Les Humanoïdes associés ; novembre 2006)

Publié en novembre 2006, "La Proie des louves" est le cinquième numéro de "Bouncer", série française de western créée par Alejandro Jodorowsky et François Boucq. Bien que Jodorowsky l'ait quittée au neuvième volume ("And back", 2013), elle est toujours en cours à ce jour ; Boucq assure désormais le scénario, en plus du dessin. Les sept premiers volets sont sortis chez Les Humanoïdes associés, le huitième et la suite, chez Glénat. 
C'est Alejandro Jodorowsky qui a écrit le scénario de cet ouvrage de soixante-deux planches ; le Franco-Chilien est célèbre, entre autres, pour "L'Incal", "Les Technopères""La Caste des Méta-Barons"... Les illustrations sont du Lillois François Boucq. Grand prix 98 de la ville d'Angoulême, il a travaillé sur "Little Tulip", "Le Janitor", "XIII Mystery", ou "Bouche du diable", par exemple. Il façonne la mise en couleur avec Sébastien Gérard

À l'issue du tome précédent, le shérif et le Bouncer attendent le nouveau bourreau, à la gare de Barro-City. Ils y croisent les Cooper, venus accueillir des Mexicains : la "Trinité des tueurs"
Barro-City, 17h00. Juché sur son perchoir, le Bouncer surveille la salle. Les clients arrêtent de boire. Ils patientent après les frères Van Bohlen, qui ne tardent pas. Ces derniers font une entrée fracassante. Ah, les salauds, les maudits ! Le shérif et le juge ont tout fait pour que le jury déclare Fatty coupable. Ils l'ont condamné à mort et vont le pendre. Cette accusation de vol de cheval n'a même pas été prouvée ; or, Fatty ne faisait "qu'emprunter" ce canasson. Ils prétendent encore que Fatty a assassiné le propriétaire de la monture. Nouveau mensonge : Fatty ne l'a pas assassiné, il l'a "seulement tué" ! Comme Fatty bégaye, l'autre type n'a pas compris ce qu'il lui racontait ; il a cru que Fatty était un voleur. Il a sorti son revolver, "ce con". Fatty n'a donc pu que riposter ; c'était de la légitime défense... 

"La Proie des louves" est la conclusion d'un triptyque commencé avec "La Justice des serpents". Tous les éléments de cette intrigue relativement profonde s'imbriquent dans cet album, où Jodorowsky lève le voile sur deux mystères : le motif de la croisade vengeresse de White Elk et l'identité d'El Diablo. Voilà un exemple magistral de boucle bouclée, dont cet épisode se construit autour de révélations-choc et de personnages hauts en couleur, parmi lesquels les femmes jouent un rôle prépondérant : Antoine Grant, avec qui le Bouncer satisfait son complexe d'Œdipe ; la veuve Malone, qui découvre à ses dépens que son calvaire n'est pas encore terminé ; Mara Mars, la compagne de Clark Cooper, qui démontre que les femmes n'ont rien à envier aux hommes en matière de cruauté et de sadisme ; et enfin, Yin Li, l'immigrée chinoise au cœur malmené par le Bouncer, et au verbe tellement lyrique et poétique. En face, des hommes, bien sûr. Le trio de Mexicains annoncé à la fin de "La Vengeance du manchot" tient toutes ses promesses : des démons grimaçants se délectant des souffrances qu'ils infligent à autrui et dont le mode opératoire est digne d'une danse de mort qui s'inspire du registre du fantastique. Les lecteurs pourront penser à "Blueberry", qui véhiculait une image assez négative des Mexicains. Enfin, cela s'achève en une bataille rangée à Barro-City, qui regroupe tous les ingrédients du genre, dans un ballet d'ombres crépusculaires et une fusillade spectaculaire, où les marginaux et les laissés pour compte de cette société-là (manchots, nains, immigrés, lesbiennes présumées) font front ensemble, en une riposte épique, face à cet homme qui veut accumuler des terres par tous les moyens. L'intrigue comprend un épilogue initiatique ; c'est devenu l'une des marques de fabrique de la série. Si cet album a un point faible, c'est Jodorowsky lui-même, qui ne peut s'empêcher de céder à l'appel de la cruauté ou de la violence à outrance quitte à risquer un pied du côté de la parodie. Ces incursions dans le domaine de l'exagération mettent quand même à mal une certaine idée de la vraisemblance, mais ne parviendront pas à entamer l'enthousiasme du lecteur pour ce récit explosif au dénouement jubilatoire et dont l'humour n'est pas absent. Les dessins de Boucq couronnent cette réussite : trognes uniques, belle palette d'expressions, diversité des plans et des perspectives, sens du mouvement... Les décors, urbains ou naturels, intérieurs ou extérieurs, présentent un niveau de détail satisfaisant (l'armoire dans la chambre, ou l'érosion et les motifs de la roche). 

"La Proie des louves" est l'un des numéros les plus aboutis de la série jusque-là : il est captivant, riche en révélations et en retournements de situations et généreux en action tout en livrant un tableau cru, puissant et évocateur de cet Ouest américain. 

Mon verdict : ★★★★★ 

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Enfin un tome de cette série obtient 5 étoiles. :)

    Des personnages hauts en couleur, des méchants démoniaques, des marginaux et des laissés pour compte : Jodorowsky refuse la tiédeur, et Boucq réussit à faire exister ces individus, sans en faire des caricatures, belle réussite.

    L'initiation : en le voyant ainsi écrit, je me rends compte que c'est une dimension présente dans la majeure partie des œuvres de Jodorowsky, généralement avec une approche ésotérique.

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    1. En effet ! J'ai quand même hésité, mais le plaisir de lecture à la fermeture de cet ouvrage ayant été tellement vif, je n'ai pas pu donner une note inférieure à cinq étoiles. Et c'est vrai qu'il est au-dessus des quatre premiers volumes.
      Concernant l'initiation, la composante ésotérique est présente ici aussi, mais elle est très atténuée.

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