"Tif et Tondu" est une bande dessinée créée par le Bruxellois Fernand Dineur (1904-1956), en 1938. L'historique de publication est compliqué, la numérotation des tomes changeant avec le temps. Si au début, Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela évolue à l'arrivée de Willy Maltaite, dit Will (1927-2000), qui se charge des illustrations dès 1949. Puis Dineur quitte le titre en 1951. Il est remplacé par Henri Gillain, alias Luc Bermar (1913-1999), et par Albert Desprechins (1927-1992), avant que Maurice Rosy s'installe jusqu'à "Tif rebondit" en 1969.
"Les Flèches de nulle part" fut d'abord prépublié dans le périodique "Spirou" : du 1399 du 4 février au 1420 du 1er juillet 1965. Puis Dupuis le rééditera, en janvier 1967, sous la forme d'un recueil de quarante-quatre planches ; c'est le dixième numéro de la seconde série classique (depuis la réédition de la série, en 1985). Rosy écrit le scénario, et Will produit la partie graphique, le dessin, l'encrage, ainsi que - sauf erreur - la mise en couleur.
Une route de montagne, dans le sud de la France ; Tif et Tondu rentrent chez eux. Tif est au volant du fameux coupé cabriolet Narval rouge. Cachés par un banc de nuages noirs, les cieux s'assombrissent. Tondu prie son ami d'accélérer afin qu'ils arrivent à l'hôtel avant la pluie. Tif acquiesce ; les dérapages, sur une route comme celle-là, ça ne doit pas être drôle ! Mais il est trop tard, les premières gouttes tombent déjà. Tif stoppe alors l'automobile pour qu'ils puissent installer la bâche. Après un instant d'énervement mutuel, l'opération aboutit. Ils peuvent repartir, au grand soulagement de Tif qui commence à ressentir la faim. L'orage est spectaculaire. Soudain, Tif fait une embardée vers le ravin. Tondu demande ce qu'il se passe. Tif explique qu'il a vu quelqu'un courir en travers de la route vers le ravin. Il a bien failli l'écraser. Malgré le temps, Tondu sort pour en avoir le cœur net, mais il ne voit rien. Tif insiste, il a vu des buissons remuer...
"Les Flèches de nulle part" constitue ce que cette seconde série classique a produit de meilleur depuis son premier tome ; c'est l'album le plus abouti de "Tif et Tondu" depuis son lancement. Rosy y déploie une intrigue d'ampleur avec une certaine complexité dans le fond, loin des spectaculaires effets d'annonce du criminel informant les forces de l'ordre et la presse de ses crimes à l'avance et de la traditionnelle course-poursuite entre gendarmes et voleurs. "Les Flèches de nulle part" se caractérise par une belle maîtrise du suspense, le scénariste parvient à insuffler une tension palpable et beaucoup de mystère. Les choix d'un quasi-huis clos - en tout cas pendant une bonne moitié du récit - et d'un nombre très restreint de personnages y sont pour quelque chose. Nos deux gaillards se livrent à un authentique travail d'enquêteur, interrogatoires, recoupement de témoignages, relevés d'empreintes de pas, ou encore analyse d'archives et de documents divers. Rosy semble surtout avoir pensé qu'il y avait un risque à surutiliser Choc d'autant que les quatre derniers face-à-face - "Choc au Louvre" ; "La Villa du Long-Cri" ; "Plein Gaz" ; et "Passez muscade" - sont loin d'avoir tenu leurs promesses. Deux indices placés dans le texte finissent néanmoins par dévoiler l'identité du méchant de cette histoire ; nul doute qu'ils étaient voulus par Rosy, mais l'effet est malhabile. Notons que l'inspecteur Allumette est absent ; plein de verve et de malice à son apparition, dans "Le Retour de Choc", sa prestance s'était émoussée au fil des épisodes (notamment dans "Choc au Louvre"). Rosy, ici, semble s'être débarrassé - au moins le temps de cet album - des scories inhérentes à la série. Il n'oublie pas que la Seconde Guerre mondiale ne s'est achevée que vingt ans plus tôt et qu'elle représente une source d'inspiration majeure ; les fantômes du Troisième Reich hanteront à nouveau les pages de "Tif et Tondu", mais cette fois-ci sous la plume du Bruxellois Stephen Desberg (dans le nº31 : "Swastika", 1983).
Le dessin n'évolue pas d'un poil, mais le lecteur finit pas oublier cette dimension qui n'entache pas son plaisir. Will reste dans le style caricatural et reproduit les codes de l'école de Marcinelle. La densité de cases par planche monte jusqu'à douze, dans un quadrillage avec gouttières très classique. Les plans utilisés (beaucoup de plans rapprochés et de gros plans) manquent de diversité. Le cadre choisi - un complexe technique désaffecté - empêche un peu Will de briller par son sens de la décoration et de l'ameublement. En revanche toutes les vignettes sont soignées, les perspectives sont impeccables et le découpage narratif est d'une lisibilité irréprochable.
"Les Flèches de nulle part" est un superbe effort de Rosy, qui retrouve ici le succès de "Tif et Tondu contre la Main blanche" et du "Retour de Choc" ; il cesse d'exploiter le filon du gendarme et du voleur, et propose une histoire aboutie, et très originale.
Mon verdict : ★★★★★
Barbüz
5 étoiles pour un tome avec un scénario impeccable, et des dessins moins savoureux du fait du lieu (le complexe technique désaffecté). Le scénario est prééminent, comme souvent, dans le plaisir de lecture.
RépondreSupprimerDeux indices placés dans le texte finissent néanmoins par dévoiler l'identité du méchant : peut-être était-ce fait sciemment à l'attention de lecteurs plus jeunes. Il m'arrive de temps en temps de tomber sur un passage ou une narration qui me font penser que je ne suis pas le lecteur visé.
Nul doute que les deux indices étaient voulus par Rosy. Je n'ai pas forcément l'eu l'impression que cela s'adressait aux jeunes lecteurs.
SupprimerTa remarque est intéressante, car avec le recul, je me demande quel était le profil type du lecteur de "Tif et Tondu" en cette époque du milieu des années soixante, finalement. Au fond, pour ce titres-là comme pour d'autres, il est évident qu'il y a plusieurs couches de lecture.