"L'Affaire Francis Blake" est le treizième tome de la série des "Aventures de Blake et Mortimer". Cet album cartonné de soixante-six planches est sorti en janvier 1996 aux Éditions Blake et Mortimer, une filiale du groupe Média-Participations. C'est la première des "Aventures de Blake et Mortimer" à avoir été complètement réalisée sous l'ère post-Jacobs. Elle succède (dans la chronologie de parution, mais pas dans celle de la série) à "Mortimer contre Mortimer", la seconde partie des "Trois Formules du professeur Satō". Dans la chronologie de la série, cette aventure prend place entre "Le Serment des cinq lords" (le volume 21, sorti en novembre 2012) et "L'Étrange Rendez-vous" (le volume 15, sorti en décembre 2001), l'éditeur et les auteurs essayant d'architecturer une continuité.
Le scénario est écrit par Jean Van Hamme, célèbre pour ses séries à succès "Thorgal" ou "XIII", entre autres. Les dessins sont signés Ted Benoit (1947-2016), artiste récompensé au festival d'Angoulême en 1979. La mise en couleurs est de Madeleine De Mille, avec qui Benoit avait déjà collaboré sur "Ray Banana".
L'intrigue se déroule en juin 1954. Au Royaume-Uni, les nouvelles sont inquiétantes ; un espion récemment arrêté a en effet révélé l'existence d'un réseau d'agents étrangers sur le territoire britannique, et les quotidiens anglais en font leurs choux gras. À Londres, une réunion est en cours entre les responsables de l'Intelligence Service (le colonel Dorian Cartwright, directeur de l'Intelligence Service, le capitaine Francis Blake et son adjoint David Honeychurch pour le MI5, et le commander William Steele pour le MI6), de Scotland Yard (sir Charles Garrison) et le sous-secrétaire d'État au Home Office (Harold Doyle-Smith). Cartwright évoque l'impuissance de ses services à démanteler ce réseau dont l'existence a été révélée à la presse de façon bien inopportune. Il établit un constat préoccupant : cela fait des mois qu'ils ne parviennent à rien. Le ridicule guette ; il leur faut donc des résultats rapides...
"L'Affaire Francis Blake" est une réussite. Le scénario consiste en une histoire d'espionnage classique qui doit beaucoup aux "39 Marches" ("The 39 Steps", 1936) d'Alfred Hitchcock (1899-1980). Le fond de l'intrigue est encore unique dans la série. Ici, aucun savant fou, aucune invention, aucune découverte technologique majeure qui pousserait une puissance étrangère à vouloir s'en emparer. Cette histoire rythmée et sans faiblesse, riche en rebondissements, et dont l'enjeu est réel et stratégique, est construire sur ses agents, ses manipulations, ses intoxications, et ses traîtres. Les dialogues sonnent juste et l'action s'articule à la perfection jusqu'au bouquet final, à la suite d'un suspense qui monte crescendo. Van Hamme reprend les codes de Jacobs, réutilise des personnages bien connus des lecteurs, en crée de nouveaux et apporte, discrètement, des ingrédients inédits (tels que l'amour, subtilement évoqué, que Virginia Campbell semble éprouver pour le capitaine Blake). D'aucuns, à n'en pas douter, se plaindront que les "cousins" et "cousines" de Blake sont nombreux à avoir été mis dans la confidence, mais tout cela reste néanmoins cohérent et solide. Graphiquement, Benoit, qui a effectué des recherches sur le terrain, réalise ici un travail remarquable, proche du style de Jacobs. Certes, son Blake a peut-être les traits plus tirés qu'à l'habitude, et l'artiste ose parfois un léger expressionnisme, mais ses illustrations, enrichies par la coloriste De Mille, sont fidèles à l'esprit du maître. Le découpage de l'action est un modèle de limpidité. La représentation de la lande écossaise n'est pas des plus saisissantes, mais le travail sur les décors est remarquable, qu'il s'agisse des quartiers lugubres ou des intérieurs (le pub, le château, etc.). Notons les références ; la scène du fumoir, les ruelles de l'East End ou le trajet de Mortimer en train pour "La Marque jaune", celle de la poursuite à moto, qui peut faire penser au "Sceptre d'Ottokar" (1939), et certains détails (les souvenirs de voyage de Blake et Mortimer) ou personnages (le sinistre Jack) rappellent "Le Mystère de la Grande Pyramide". De tous les dessinateurs qui ont participé à la poursuite du titre, Benoit est assurément celui dont le trait se rapproche le plus de la patte de Jacobs. Il est regrettable qu'il n'ait pas voulu continuer la reprise de la série au-delà de "L'Étrange Rendez-vous" ; elle lui réclamait trop de temps, hélas.
À ce jour, "L'Affaire Francis Blake" reste l'un des meilleurs albums - sans doute le meilleur - de la période post-jacobsienne des "Aventures de Blake et Mortimer". Van Hamme n'aura plus la même réussite, Benoit arrêtera après "L'Étrange Rendez-vous".
Mon verdict : ★★★★★
Barbuz
Celui-là, je me souviens l'avoir lu lors de sa prépublication dans Télérama. Je ne l'ai pas relu depuis.
RépondreSupprimerDécidément, après avoir emprunté à plusieurs films d'espionnage pour la série XIII, Jean van Hamme emprunte à Hitchcock. J'avais également remarqué la tentative de donner plus de place à un personnage féminin avec Virginia Campbell, de manière discrète comme tu le soulignes. J'avais également été très impressionné par la prestation de Ted Benoit.
Tu as attribué 5 étoiles, c'est-à-dire autant que pour un vrai Edgar P. Jacobs de la plus belle eau, c'est dire la réussite.
Oui ! J’avais hésité entre quatre et cinq étoiles. Pas sûr que ma note soit définitive...
SupprimerRécemment , j’ai revu « Les 39 Marches », et à la relecture de cet album, j’ai trouvé les références évidentes.